Fleur Pellerin "Il faut imaginer l'entreprise de demain"

Par Propos recueillis par Fabien Piliu et Delphine Cuny  |   |  1159  mots
Copyright Reuters
Après le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, le gouvernement a lancé à la mi-janvier les Assises de l'entrepreneuriat, qui se dérouleront jusqu'en avril. Objectif : faire de la France un pays plus accueillant pour les entrepreneurs. Explications.

LA TRIBUNE - On attendait depuis cet été un plan PME, voici que vous lancez les Assises de l'entrepreneuriat? Quelle est la différence?
FLEUR PELLERIN -
En toute logique, le plan PME a été intégré dans le Pacte pour la compétitivité et l'emploi présenté en novembre par le Premier ministre. Il eût été illogique de présenter deux plans d'actions aux objectifs similaires. Si le Pacte doit être un choc rapidement positif pour l'économie, les Assises répondent à une philosophie différente. Cet événement a un objectif à plus long terme. Il doit permettre de stimuler l'esprit entrepreneurial des Français, insuffisamment développé selon moi : qu'on ne se méprenne pas sur mes propos. Je pense que les Français ont envie d'entreprendre mais, souvent, de nombreux obstacles - culturels, réglementaires, etc. - les empêchent de réaliser leur projet. À l'occasion des Assises, tous les sujets doivent être abordés, de la fiscalité à la simplification en passant par les multiples facettes de l'accompagnement du chef d'entreprise. Tous ensemble, les chefs de fi le des neuf groupes de travail, mais également les Français qui donneront leur avis sur le site des Assises - ils le peuvent d'ores et déjà sur www.assises-entrepreneuriat.gouv.fr -, nous devons faire un point complet sur l'entrepreneuriat en France, réfléchir aux moyens de stimuler les initiatives et imaginer l'entreprise de demain capable d'embaucher, d'innover et d'exporter.

Pourtant, les créations d'entreprises n'ont jamais été aussi nombreuses!
C'est vrai. Mais il faut bien distinguer les créations d'entreprises classiques et les créations d'autoentreprises. Celles-ci représentent un peu plus de la moitié des 550.000 entreprises nées en 2012. Un certain nombre d'entre elles ne déclarent pas de chiffre d'affaires.

Certes, mais selon l'Union des autoentrepreneurs, près d'un tiers d'entre elles deviennent des entreprises classiques au bout d'un an d'existence!
C'est la raison pour laquelle il faut agir avec pragmatisme sur ce dossier. En attendant les conclusions du rapport de l'Inspection générale des a? aires sociales [IGAS] et de l'Inspection générale des finances [IGF] en février, je pense qu'il faut surtout intervenir pour limiter les abus tels que la concurrence déloyale et le salariat déguisé, sans jeter le bébé avec l'eau du bain : brider un dispositif qui a déjà séduit 1 million de personnes et qui libère les énergies serait malvenu.

Ces Assises ne visent-elles pas aussi à calmer la grogne des entrepreneurs, consécutive à l'alourdissement de la fiscalité prévue par la loi de finances 2013?
Ce n'est pas un plan com' ! L'entrepreneuriat est un sujet majeur. En revanche, il est certain qu'il est nécessaire d'instaurer un dialogue serein avec les chefs d'entreprise. Le gouvernement a fait des choix courageux en demandant des efforts à tous pour restaurer nos finances publiques. Les entreprises n'ont pas été plus ciblées que les ménages, il me semble, et j'ajouterai que les PME n'ont pas été impactées par les mesures prises afin de mieux répartir le poids de l'impôt sur les sociétés entre les grandes et les petites entreprises.

Vous considérez donc que les critiques du monde entrepreneurial étaient injustes?
En quelque sorte, oui. L'ampleur prise par le mouvement des Pigeons était largement disproportionnée. Bien que le gouvernement ait revu largement sa copie, les critiques sont restées vives. Il y a eu un peu de mauvaise foi.

Pour quelles raisons selon vous?
C'est un faux procès que l'on fait à la gauche depuis des années. Une partie de l'opinion considère que la gauche connaît mal l'entreprise et est mauvaise gestionnaire des comptes publics. Il suffit pourtant d'observer l'évolution des comptes publics ces dix dernières années pour comprendre que ce procès est infondé. L'explosion de la dette et du déficit public n'est pas le fait de la crise. Celle-ci a bon dos.

Pour soutenir les PME à l'export, quelles sont les pistes que vous souhaitez tracer?
La France compte moins de 100.000 entreprises qui exportent régulièrement. C'est insuffisant. L'État et ses structures de soutien aux entreprises comme la Banque publique d'investissement (BPI), Oséo, ainsi que les réseaux consulaires, les collectivités territoriales, et en particulier les Régions, ont un rôle éminemment important à jouer pour détecter les entreprises ayant le potentiel suffisant pour conquérir les territoires à l'export. Ce sujet sera largement abordé lors des Assises, d'autant que l'on constate qu'il y a de plus en plus d'entrepreneurs qui se projettent désormais à l'international dès les premières années. Les modèles d'appui à ces exportateurs précoces doivent tenir compte de cette nouvelle donne. Il faut également réfléchir aux moyens d'améliorer la maîtrise des langues étrangères, en particulier de l'anglais.

Ne craignez-vous pas de freiner un peu plus les initiatives à l'export des entrepreneurs? Ne faudrait-il pas plutôt les encourager à se lancer, quitte à ne pas maîtriser totalement l'anglais?
Comment peut-on imaginer remporter des succès à l'export si l'on ne parle pas anglais? Lors de ces Assises, nous essaierons de trouver des solutions, en particulier dans le domaine numérique, pour résoudre ce problème. Penser à l'export, à l'international, c'est aussi une tournure d'esprit, une démarche qu'il faut encourager par un mentorat en amont. En Israël, il y a un écosystème incroyable malgré un marché restreint : une cinquantaine de start-up sont cotées au Nasdaq, et ces entreprises ont tout de suite pensé de manière globale.

Des parlementaires de tout bord souhaitent limiter les stratégies de groupe qui peuvent parfois avoir pour conséquence le pillage des PME sous contrôle des grands groupes. Soutiendrez-vous la proposition de loi qu'ils déposeront bientôt au Parlement?
Des problèmes se posent, par exemple pour des start-up craignant de se faire piller leurs brevets. Une chose est certaine, les relations entre les PME et les grandes entreprises ne sont pas assez bonnes en France. Il y a trop de rapport de forces et pas assez de coopération. C'est l'une des raisons pour lesquelles les projets de recherche collaborative entre entreprises ne décollent pas. En décembre dernier, j'ai remis à quatre entreprises pionnières en la matière un label « Relations fournisseurs responsables », délivré par la Médiation des relations interentreprises.

Les PME qui fournissent les grands comptes publics et privés se plaignent régulièrement de l'allongement des délais de paiement, allongement qui provoque des tensions parfois dramatiques sur leur trésorerie. Ce sujet sera-t-il abordé lors des Assises?
Non, cette question sera traitée dans le cadre de la modernisation de l'État. En attendant, la loi doit être respectée, des pénalités sont prévues en cas de manquement à la loi. Par ailleurs, l'État doit être exemplaire. Ce n'est pas toujours le cas.