Aidants familiaux au travail : chronique d'un crash industriel annoncé ?

4 millions de Français s'impliquent auprès d'une personne dépendante, âgée, malade ou handicapée. Une activité parallèle à leur emploi qui pourrait menacer la santé économique du pays... Sauf si l'on choisit d'en tirer profit. Thierry Calvat, auteur de "Le droit à la vulnérabilité : manager les fragilités en entreprise"
Thierry Calvat est l'auteur de "Le droit à la vulnérabilité : manager les fragilités en entreprise"

La préparation du projet de Loi sur la Dépendance semble plus que jamais placer les aidants familiaux au coeur des politiques de santé publique. Soutenue par de nombreuses initiatives privées ou associatives - et quotidiennement rappelée par notre Ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l'Autonomie -, la reconnaissance progressive des pouvoirs publics constitue assurément une bonne nouvelle pour près de 4 millions de nos concitoyens qui s'impliquent aux côté d'une personne dépendante, âgée, malade ou handicapée.

Plus encore, cette mobilisation de la société toute entière semble aussi peu à peu gagner le terrain de l'entreprise en s'intéressant de façon croissante à tous ceux qui, en parallèle de leur condition d'aidant, exercent une activité professionnelle.

"Contamination" de la société

Et de fait, il y a urgence ! Une urgence pour aujourd'hui, puisque que les aidants représentent actuellement près d'un 1 actif sur 12[1]. Mais aussi et surtout une urgence pour demain, qui s'explique par l'influence conjuguée du vieillissement et de l'explosion des pathologies chroniques, l'entrée plus tardive dans le monde du travail et l'allongement inéluctable de la durée de vie active : à un horizon de 15 ans, on parle d'environ 1 actif sur 6 (voire 5)[2] susceptible d'être concerné, toutes classes d'âges confondues (et pour certaines, il est dès à présent allègrement dépassé).

Si d'ici là rien n'est fait, cet effet de « contamination » rapide, qui touchera près de 20% des effectifs salariés, ne sera évidemment pas sans conséquence sur la santé économique de nombreux acteurs de notre pays : souvent coincé entre le souci constant de celui dont il a la charge et la peur de son propre déclassement, l' aidant est en effet soumis à une pression extrême qui se marie parfois mal avec les impératifs de disponibilité ou d'effectivité que réclame les modes actuels d'organisation du travail.

Pas de statut précis

Dans ces conditions, plusieurs pistes sont d'ores et déjà l'étude, avec bien souvent la tentation naturelle d'aborder la question en y apportant une réponse prioritairement sociale, fondée sur l'acquisition de droits nouveaux et sur des mesures conçues la plupart du temps comme exclusivement à la charge de l'employeur. On ne saurait évidemment critiquer cette explosion de produits ou services - dans l'assurance ou la prévoyance entreprise notamment - ni même la (re)création de nouvelles solidarités internes - comme la fameuse loi de transfert des RTT. On peut en revanche en souligner les limites, touchant principalement à l'absence de statut précis - la définition de l'aidant familial souffre en effet d'un maquis de désignations qui ne concourt pas à la clarification - comme à l'appréhension que peut avoir chacun de sa situation - le terme générique d'aidant recouvre en effet des histoires singulières qui ont parfois beaucoup de mal à se retrouver en un agrégat opérationnel et pertinent.

 Plus encore, il convient surtout de pointer les menaces lourdes et préjudiciables d'une approche trop limitative : en obligeant l'entreprise à investir dans des dispositifs complexes et coûteux, elle peut engendrer une augmentation considérable des charges au sein d'entreprises en recherche constante de gains de compétitivité ; parallèlement, représenter l'aide familiale comme un problème ou un fardeau de plus, peut conduire à une véritable stigmatisation des collaborateurs concernés, et avec elle son cortège de doutes et de suspicion vis à vis.

Des capacités décuplées

Devant la bombe démographique et épidémiologique annoncée, il faut donc en finir avec le cloisonnement classique, entre performance d'un côté et fragilité des ressources de l'autre, pour tirer un parti collectif et positif des bouleversements à venir

Ceci suppose d'abord de se convaincre du caractère productif de l'aidant familial : de nombreuses études internationales semblent ainsi entériner l'idée que celui qui, parce qu'il doit affronter au quotidien une situation inédite l'obligeant à s'organiser et gérer à grande vitesse une multitude de paramètres, déploie de fait des facultés qui sont désormais parmi les plus recherchées chez un collaborateur: créativité, réactivité, capacité de pilotage en mode projet...

Le terreau d'un nouveau modèle français ?

Ceci suppose ensuite d'inventer des dispositifs dont la nature réciproque suscite un cercle vertueux qui pollinise toute l'organisation : de ce point de vue, les expériences pilotes menées auprès de collaborateurs aidants mettent en avant de considérables effets de leviers telle que par exemple l'amélioration du présentéisme ou l'amélioration globale du dialogue social au sein de l'entreprise. Ceci suppose enfin, d'inscrire ce type de démarche dans le cadre de véritables politiques d'engagement RH capables de mobiliser et former l'ensemble de la chaîne des parties-prenantes : collaborateurs, managers, assistants social, médecin du travail...

On le voit, plus qu'un enjeu de société, l'aide familiale peut être aussi être vue comme un formidable terrain de réconciliation entre l'économie et le social. Il peut en émerger, notamment au sein d'un pays aussi sensible à ces questions que le nôtre, une sorte de nouveau modèle français porteur de progrès et de modernité pour demain.


 

 

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[1] Panel National des Aidants Familiaux - BVA/Fondation Novartis - 2010

[2] DREES - 2010
 

Commentaires 36
à écrit le 08/05/2013 à 19:11
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Dans le "terreau d'un nouveau modèle français", ce serait bien d'inclure aussi les aides de l'Etat et des entreprises pour aider les aidants qui ont arrêté de travailler pour s'occuper de leur conjoint ou de leur parent, à reprendre le chemin de l'en...

à écrit le 28/04/2013 à 20:40
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Bonsoir JLB, Bonsoir Soucidelasynthese. Vos idées sont effectivement très bonnes. =>Suite à cet article "Aidants familiaux au travail : chronique d'un crash industriel annoncé?" rédigé par Monsieur Thierry CALVAT sur La TRIBUNE, cela serait vraiment ...

le 30/04/2013 à 13:44
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Plus d'argent au gouvernement=que des discours mais plus possible d'actions concrètes. De toute façon, ils ne comprennent rien aux aidants, alors c'est à nous les aidants de faire en sorte de ne pas être "invisibles" comme vous dites.

le 30/04/2013 à 17:09
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Bonjour Didier, Je suis d'accord avec vous, mais?et vous? que proposeriez-vous? ? Car vous savez très bien qu'un nombre important d'AIDANTS sont "cloués" à leur domicile à s'occuper de leur proche ; donc pas moyen pour eux d'aller manifester? Qui s'o...

le 30/04/2013 à 19:16
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Le moyen "le plus simple" depuis chez soi, c'est d'arroser de questions les sites d'aidants, les sites de malades, c'est d'arroser de questions et de suggestions les associations d'aidants, c'est de proposer des articles aux journaux locaux, aux jour...

à écrit le 27/04/2013 à 18:31
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Sur la capacité des entreprises à vouloir aider leurs collaborateurs salariés qui sont en même temps aidants, et à utiliser leurs "talents", je vous invite à lire cet article démonstratif sur l'Express: http://www.lexpress.fr/emploi-carriere/emploi/2...

à écrit le 26/04/2013 à 14:41
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Il y a Madame Delaunay qui est concernée pour les aidants des personnes âgées, il y a Madame Carlotti qui est concernée pour les aidants de personnes handicapées, il y a Madame Touraine qui est concerné pour la santé des aidants, il y a Monsieur Sapi...

à écrit le 24/04/2013 à 21:24
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Avez vous proposé des idées à Monsieur SAPIN, notre Ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social? Parce qu'il me semble qu'il devrait être partie prenante des bonnes idées! Et en même temps, dites lui qu'il ...

à écrit le 24/04/2013 à 7:52
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Vous êtes l'un des 5 signataires d'un "Appel pour plus d'équité pour les aidants" il y a quelques mois. Il me semble que "plus d'équité" c'est quelque chose qui doit aller DE la société VERS les aidants. Enfin c'est comme ça que je le comprends. Un r...

le 24/04/2013 à 9:18
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J'ai connu une époque où la mission des DRH était de recruter des talents et de leur permettre de s'épanouir et de se réaliser, pour le plus grand profit à la fois de ces recrutés et de l'entreprise. Mais c'était une époque lointaine où les entrepris...

à écrit le 23/04/2013 à 20:27
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Je crois que vous avez oublié une dimension essentielle de l'aidant: sa capacité à tout supporter: le stress, le nombre de choses à faire, le nombre de choses à décider sur le champ, etc . Et si vous étiez vous-même un aidant, vous sauriez qu'un aida...

à écrit le 23/04/2013 à 18:01
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Bonjour, Il est normal de cumuler les mandats....pourquoi n'est-il pas possible de concilier aide à la personne handicapé dans mon cas, c'est une réalité avéré; pour mon fils, après un cancer et ablation d'une vertèbre et c'est pour la vie!!! Et emp...

le 23/04/2013 à 19:11
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"le monde que nous léguons à nos enfants à l'odeur du mensonge". Merci Sarah pour cette phrase qui est un véritable signal d'alarme collectif. Mais vous, vous ne lèguerez que des belles choses à votre fils, je le sais. Et moi, à mon échelle, j'essaie...

à écrit le 23/04/2013 à 13:58
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Bonjour Monsieur, vous écrivez : "Ceci suppose d'abord de se convaincre du caractère productif de l'aidant familial : de nombreuses études internationales semblent ainsi entériner l'idée que celui qui, parce qu'il doit affronter au quotidien une sit...

le 23/04/2013 à 14:42
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Bonjour, Je suis certain qu'à un moment, ces qualités des aidants seront enfin utilisées par les assureurs ou les caisses de retraite qui finiront pas comprendre que les aidants peuvent être aidés, mais surtout peuvent aider. Je fais partie d'un pet...

le 23/04/2013 à 18:59
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Bonsoir JLB, Vous écrivez : "Alors quand est-ce que cet assureur va passer à l'action? Aucune idée... mais est-ce que c'est ce qui se passera, grâce à un assureur ou une caisse de retraite? Oui, j'en suis certain, dans les 12 ou 18 mois" ... Ça c'est...

le 23/04/2013 à 21:22
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Je suis désolé, je viens seulement de découvrir sur mon email que vous aviez répondu. Non, je ne peux pas dire le nom de cet assureur, mais en revanche, je vous donnerai les pistes sur lesquelles il travaille et qui seraient de toute manière de bonne...

le 24/04/2013 à 19:32
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Donc voilà les pistes qui seraient utiles pour les assureurs et les caisses de retraite qui ont un site Internet dédié aux aidants et/ou qui réfléchissent comment aider les aidants. Ces différentes idées ne sont pas que de moi, elles proviennent auss...

à écrit le 23/04/2013 à 13:39
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J'ai été obligée d'arrêter de travailler parce que ce n'était plus possible de m'occuper à la fois de ma mère et de travailler à plein temps. J'ai démissioné parce que ma boite a refusé de me licencier alors qu'elle aurait pu très bien le faire si el...

à écrit le 22/04/2013 à 16:52
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Ce que je fais au bureau, je pourrais tout aussi bien le faire de chez moi. ce que je fais ne me demande pas d'être avec mes collègues, j'ai juste besoin d'un ordinateur. J'ai demandé à mon chef de pouvoir travailler depuis chez moi, il m'a dit que s...

le 22/04/2013 à 18:40
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ca se compare a peu pres a quand le representant de la drh vous dit froidement d'aller voir le responsable du rse

à écrit le 22/04/2013 à 15:52
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La maladie fait peur. Mes collègues de bureau s'éloignent de moi, et elles me reprochent de ne plus arriver à l'heure, ou de ne pas être vraiment là. Et pas question que j'en parle à ma chef, elle ratera pas une occasion de m'enfoncer. Alors... Alors...

à écrit le 22/04/2013 à 13:03
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Le vrai "crash annoncé", c'est celui de la prise en charge de toutes les personnes qui ont besoin d'aides en raison de leur maladie, de leur handicap, de leur dépendance. Sans nous, la prise en charge de ces millions de personnes serait impossible. E...

à écrit le 21/04/2013 à 21:37
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Je vous remercie sur vos compliments ("créativité, réactivité, capacité de pilotage en mode projet..."), enfin je les prends comme des compliments sans savoir au juste ce que vous voulez dire vraiment avec ca. Mais il y a aucune chance que ma boite e...

à écrit le 21/04/2013 à 20:44
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Les directeurs du personnel sont à l'image des dirigeants qui les recrutent. Si le dirigeant est un leader d'hommes, pas de pb. Si le dirigeant n'est pas un leader d'hommes, son directeur du personnel ne le sera pas plus. Et il n'y aura rien de fait....

à écrit le 21/04/2013 à 18:55
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Gageons que si nous laissons les socialos se lâcher sur ce terrain, nous aurons droit à une nouvelle taxe punitive, à de nouveaux règlements, à l'interdiction d'aider une personne de sa famille au prétexte que cela "mange" un emploi pour un ami du pa...

à écrit le 21/04/2013 à 16:48
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Vous écrivez: "Si d'ici là rien n'est fait, cet effet de « contamination » rapide, qui touchera près de 20% des effectifs salariés, ne sera évidemment pas sans conséquence sur la santé économique de nombreux acteurs de notre pays." Je peux vous dire ...

à écrit le 21/04/2013 à 11:45
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J'ai vu cet article sur la page facebook de l'Appel en faveur des aidants que vous avez signé avec Serge Guérin, Céline Dupré et deux autres personnes je crois. Pour l'Appel, je dis à tout le monde que c'est quelque chose d'important et qu'il faut al...

à écrit le 21/04/2013 à 10:03
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Je voudrais bien savoir où vous avez vu que les entreprises recherchaient des gens créatifs, réactifs... mon entreprise n'en a rien à faire, et c'est peu dire! Quant au mode projet, c'est juste des réunions qui suivent des réunions et rien n'est jama...

le 21/04/2013 à 18:58
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Tiens, on doit travailler dans la même entreprise !

à écrit le 20/04/2013 à 16:16
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Vous dites "la reconnaissance progressive des pouvoirs publics constitue assurément une bonne nouvelle". Je suis curieux de connaitre les exemples concrets qui vous permettent de dire que vous voyez le progrès de cette reconnaissance? Je ne vois que...

à écrit le 20/04/2013 à 14:19
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C'est un article très intéressant, et nous verrons bien comment les entreprises vont se préparer à ce "crash" des aidants. Il me semble en effet évident que non seulement il y aura de moins en moins d'actifs pour prendre soin de leurs aînés, mais l'...

à écrit le 20/04/2013 à 8:27
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Cher Monsieur, Le "crash industriel" dont vous parlez n'a rien à voir avec les aidants, il a tout à voir avec la capacité des entreprises à animer leurs salariés parce qu'elles les comprennent. Si vous manquez d'idées, n'hésitez pas justement à en de...

à écrit le 19/04/2013 à 12:16
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Je ne comprends pas bien votre article et ce que vous voulez prouver. Le gouvernement actuel parle beaucoup, mais les faits sont têtus: quand en tout et pour tout une personne dépendante reçoit au maximum 1300 euros par mois parce qu'elle est littéra...

à écrit le 18/04/2013 à 22:54
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Rendez-vous compte! Je menace la santé économique du pays, je suis un fauteur de crash industriel.... Il y a longtemps que le ridicule ne tue plus.

à écrit le 18/04/2013 à 22:51
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J'aide mes parents âgés qui sont dans le besoin. Juste retour des choses pour m'avoir fait ce que je suis. Ce faisant, j'enlève le pain de la bouche de ce pauvre monsieur Calvat qui lorgne sur les maigres économies d'une vie de labeur sous couvert de...

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