La région Ile-de-France prend le risque... d'innover

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  1148  mots
Les gigantesques embouteillages de Moscou font de la capitale russe un prospect de choix pour MultiToll et son dispositif de régulation du trafic, Movcity.
Comment vendre un projet très innovant lorsque l'on est une TPE ou une start-up qui n'a pas assez de fonds pour des tests et des démonstrations grandeur nature? Le secteur privé étant, là, de plus en plus absent, le conseil régional d'Île-de-France prend désormais le risque de financer ce type de projets. Une aide publique de plus pour compenser la faiblesse du privé.

Des idées, il y en a. Bonnes, très inventives, un peu étranges, plus ou moins bien dimensionnées, chères, pas chères... il y a de tout dans les start-up et les PME. Une batterie d'aides et de subventions, remboursables ou non, a donc été mise en place par tous les conseils régionaux en charge du développement économique. La dernière en date émane du conseil régional d'Île-de-France et d'Oséo : « AIXPé » pour « aide à l'expérimentation de projets innovants ». « C'est le troisième étage de la fusée », explique Jean-Paul Plan-chou, vice-président en charge de l'économie.

Au premier étage, il existe en effet déjà les fonds d'amorçage qui permettent de vérifier la faisabilité d'un projet; au second, on trouve les fonds de R&D, et en haut de la pile, dorénavant, il y a les fonds pour valider les projets innovants par l'expérimentation. On teste sur six à dix-huit mois une idée prometteuse en Île-de-France, avec une aide allant jusqu'à 170.000 euros.

Démontrer en grandeur réelle, une nécessité

« Il est fondamental de démontrer à nos clients la validité de nos inventions. Personne n'achète jamais rien sur papier et nous, nous avons besoin de montrer en réel, explique Christian Defay, le patron de MultiToll, une PME de Cergy-Pontoise. Une solide PME quinquagénaire qui investit chaque année de 15 à 20% de ses 10 millions de chiffre d'affaires en R&D. Sur sa dernière idée, elle a déjà mis 1 million d'euros et a marié deux technologies : les caméras de lecture de plaque d'immatriculation et la lecture de badges passifs collés aux pare-brise des voitures par antennes UHF. Avec cela elle a mis au point Movcity, qui contrôle le flux des voitures. En gros, on contrôle qui roule, où il roule et s'il en a le droit ou pas.

Après, on sévit ou on réoriente.« En plus de Paris et des grandes métropoles françaises nous avons ciblé trois villes totalement engorgées par les voitures : Moscou, São Paulo et Shanghai. Mais c'est très compliqué même si nous investissons beaucoup sur ces prospects, continue Christian Defay. En France, les collectivités nous reçoivent et aiment le projet. Mais j'ai un peu le sentiment que personne ne veut se lancer en premier. On a beau leur expliquer que l'identification des voitures et la régulation du trafic seront un enjeu considérable pour elles, surtout en termes de santé publique, c'est long. On est presque mieux écouté à Moscou. Peut-être que plus on s'éloigne de Paris, plus le client considère l'innovation et pas la taille de l'entreprise."

Un projet en phase de test
Il faut dire que Moscou a atteint un engorgement maximal : les voitures peuvent ne pas bouger pendant deux ou trois heures et dans des cas urgents, les hélicoptères sont envoyés pour emmener certaines d'entre elles. Mais, pour les Français ou les Russes, MultiToll doit d'abord prouver, en réel, l'efficacité de son système. Il a beau avoir été élaboré dans le cadre de Mov'eo, le pôle de compétitivité transports de l'Île-de-France, cela ne suffit pas. Le test vient de démarrer grandeur nature à Cergy-Pontoise.

Même si le patron de MultiToll ne cache pas qu'il aurait bien aimé le faire dans un ou deux arrondissements de Paris avec des voitures électriques ou hybrides dûment étiquetées et contrôlées pour passer par exemple dans des couloirs de bus (« à quoi ça sert d'acheter une hybride si on reste aussi longtemps que les autres dans les embouteillages! ») ou dans des couloirs protégés comme avec covoiturage.

S'engager dans le risque
Cette semaine, MultiToll fait le show à Moscou en espérant ramener quelques Russes pour voir en vrai les bienfaits de l'innovation. « On ne peut pas vendre de systèmes aussi complexes, si on n'a pas de site de démonstration », conclut Christian Defay.« Il y a eu un retrait du financement privé dans les secteurs à risque, constate Jean-Paul Plan-chou. C'est devenu aujourd'hui un véritable effondrement. Ce n'est plus normal! » Alors Jean-Paul Planchou s'engage un peu dans le risque. Par exemple, avec Green Creative qui vient d'avoir, selon l'expression de Lucile Noury-Soyer, l'une des associées, l'idée d'une « nouvelle approche de la poubelle ». Là on est bien dans le risque, mais le conseil régional finance l'expérimentation.

La nouvelle poubelle est un petit peu moins moche que les poubelles habituelles, mais elle présente surtout l'immense avantage de recycler elle-même ce qu'on y jette. « Nous avons constaté que seulement 1% des gobelets, 50% des bouteilles et 60% des canettes sont recyclées, explique Lucile Noury-Soyer. La raison essentielle de la faiblesse du recyclage relève des lieux de travail, où les gens ne font guère attention au tri. On a donc conçu une poubelle pour ces lieux-là, qui recycle tout cela au fur et à mesure qu'on y jette dedans gobelets, bouteilles et canettes. » Green Creative en est à sa deuxième période d'ex-périmentation. Auparavant, l'entreprise a travaillé avec Procter & Gamble, puis avec Veolia sur des produits comme la récupération des déchets de supermarchés et leur méthanisation. Puis elle fait une première version de sa poubelle révolutionnaire avec le groupe de nettoyage Onet.

Un test régional pour la « poubelle intelligente »

Tout le monde était enthousiasmé mais il manquait 300000 euros pour les tests. Ce coût, malgré les récompenses du prototype dans la plupart des salons professionnels, a fait reculer tous les investisseurs privés. « On a failli abandonner après le salon Pollutec en novembre dernier, avoue Lucile Noury-Soyer devant son prototype baptisé R3D3 pour sa ressemblance avec un robot célèbre. La Région a mis 130.000 euros pour qu'on l'installe et qu'on le teste dans les locaux de collectivités et j'espère qu'on arrivera à en produire une première série dans six mois. »

Marchera? Marchera pas? Nul ne sait. Le jour du test par La Tribune, R3D3 était par exemple en petite forme digestive. À la limite, peu importe. Ce qui compte est de voir la pluie de projets à financer qui s'est abattue sur le conseil régional, faute d'avoir trouvé un euro dans le privé. Du calculateur d'itinéraires pour personnes à mobilité réduite aux plates-formes virtuelles en 3D pour le travail en commun des architectes. La Région et Oséo privilégient les projets ayant une dimension citoyenne : 77% de ceux qui ont été retenus proviennent de TPE, et plus du quart sont des projets « éco-technologiques ». Sur le papier tous ont un réel intérêt. Mais tous présentent des risques. En période de crise, c'est donc le secteur public qui s'y colle...