Cession de PME : si l'information préalable des salariés devenait obligatoire...

Avec le projet de loi sur l'économie sociale et solidaire qu'il présentera ce mercredi en Conseil des ministres, Benoît Hamon, le ministre délégué à l'Economie sociale et solidaire et à la Consommation, espère faciliter la reprise d'entreprises par les salariés en imposant qu'ils soient informés de tout projet de cession. Une nouvelle contrainte dont l'opportunité et l'utilité font débat, y compris parmi les professionnels du droit.
Copyright Reuters

Comment être sûr de bien répondre à l'obligation d'information imposée par la loi ? Tel sera le casse-tête des petites et moyennes entreprises (PME), si le projet de loi «portant reconnaissance et développement de l'économie sociale et solidaire», qui sera présenté demain en Conseil des ministres par Benoît Hamon, devait aboutir dans sa version actuelle.

En cas de cession de PME, le texte prescrit en effet d'informer préalablement les salariés, pour leur permettre de présenter une offre de rachat. La contrainte opérerait en cas de cession tant du fonds de commerce que d'une participation majoritaire et impliquerait, pour les PME de moins de 50 salariés, une suspension pendant deux mois des négociations externes.

Les conséquences de cette nouvelle règle du jeu seraient de taille. Certes, le ministre de l'Economie sociale et solidaire et de la Consommation a fini par renoncer à l'idée, qui circulait en 2012, d'un véritable droit de préemption attribuant aux salariés une priorité par rapport à toute autre offre. Mais si l'obligation d'information n'est pas respectée, les salariés pourront demander au tribunal l'annulation de la cession. «Une menace qui non seulement génèrera de l'incertitude, mais pourrait aussi être utilisée comme chantage à de fins de déstabilisation», estime Jean-Michel Lepretre, avocat du cabinet Orrick Rambaud Martel.

Des formalités inadaptées à la réalité

«Le tribunal est laissé libre d'apprécier si concrètement il existe des raisons suffisantes pour prononcer la nullité», explique Arnaud Langlais, expert chez DS Avocats. «Mais une notification individuelle sera le seul moyen d'éviter toute discussion, du moins dans les PME de moins de 50 salariés».

«Cela ne correspond en rien à la réalité des petites entités, qui souvent n'ont même pas de comité d'entreprise ni de délégués du personnel, qui disposent de très peu d'administratifs et encore moins des moyens de se faire assister par un avocat», regrette Jean-Michel Leprêtre, qui défend aussi l'Union professionnelle artisanale. «Dans les petites entreprises, d'ailleurs, la substitution se fait le plus souvent progressivement », précise-t-il. « Et si l'un des travailleurs veut reprendre l'activité, on le sait et on traite directement avec lui».

La publicité ainsi donnée au projet de cession pourrait même nuire à l'entreprise. «Après une telle annonce, ses interlocuteurs externes seront dans l'expectative et pourraient s'en détourner, ce qui rendra la conduite de cette phase très délicate. C'est justement pour éviter ce type de difficulté que les processus de cession sont toujours entourés de la plus grande confidentialité», explique Arnaud Langlais.

«La gestion de cette période intérimaire aura pour effet un ralentissement probable de l'activité, avec un impact inévitable sur la valorisation de la société», ajoute-t-il. Et si finalement aucune des deux offres ne devait aboutir, «l'échec des négociations sera interprété comme un message négatif donné au marché, ce qui rendra plus compliqué un nouveau processus de cession».

Une entrave à la compétitivité dont l'utilité est douteuse

Surtout, la nouvelle procédure pourrait finalement se révéler inutile. «Même les deux mois de suspension pourraient ne pas suffire pour que les salariés bâtissent leur offre», estime Arnaud Langlais. «Et entre une proposition émise par des employes mais soumise à de nombreuses conditions suspensives et une autre ferme présentée par un tiers, le cédant choisira sans doute la deuxième».

«Le projet de loi ne correspond en rien aux objectifs de simplification de la vie des entreprises affichés par le gouvernement», conclut Jean-Michel Leprêtre. «Si l'intention est louable, les difficultés pratiques ne manqueront pas d'apparaître et risqueront de gêner certaines transactions», admet maître Langlais. Pire: «il sera difficile d'expliquer cette nouvelle contrainte à des acquéreurs étrangers souvent refroidis dans leurs ardeurs par le poids de la règlementation française». La compétitivité de la France pourrait prendre encore un coup.

Pour aller plus loin: Le gouvernement aux petits soins pour l'économie sociale et solidaire

Commentaires 13
à écrit le 02/08/2013 à 10:34
Signaler
C'est une très bonne initiative. Si la confidentialité favorisait la reprise, cela se saurait. Ce n'est tellement pas le cas, dans la réalité, que de très nombreuses entreprises ne sont jamais reprises, disparaissent corps et bien, leurs emplois avec...

à écrit le 24/07/2013 à 14:14
Signaler
Le choc de simplification est clair. Tout entrepreneur qui aurait besoin de vendre son entreprise peut maintenant directement la liquider, tant aucune négociation de cet ordre ne s'effectue sans le secret des affaires...

à écrit le 24/07/2013 à 13:30
Signaler
Hamon a toujours en tête le rêve soviétique inachevé.

à écrit le 24/07/2013 à 10:16
Signaler
Qu'attendre d'un gouvernement de fonctionnaires qui n'ont jamais mis les pieds dans une entreprise privée, qui n'ont jamais approché la cession d'une entreprise qu'a travers le prisme de leur idéologie : Rien que des déboires et des mesures contrepro...

à écrit le 24/07/2013 à 8:20
Signaler
La seule justification serait le très hypothétique sauvetage de 50 000 emplois ! Ce monsieur semble ignorer qu il y a actuellement plus de repreneurs que d entreprises à reprendre ( voir CRA) donc si une entreprise n est pas reprise , ce n est pas là...

à écrit le 24/07/2013 à 1:48
Signaler
Qu'elle ineptie. Tout ça pour associer son nom à une loi ?

à écrit le 23/07/2013 à 22:55
Signaler
C'est à se taper la tête contre les murs. D'où sortent-ils ces gens là? La confidentialité est LE maître mot dans ces processus. Sans compter le danger qu'il fait planer sur ces transactions et souvent la continuité d'une entreprise, on s'attaque ici...

à écrit le 23/07/2013 à 19:44
Signaler
Du dilemme ainsi résumé entre bonnes intentions sociales et réalisme économique, la logique un peu brutale conduirait à clarifier la faisabilité d'une économie sociale et solidaire. Diluer ou dissoudre inexorablement les devoirs sociaux d'un Etat, au...

à écrit le 23/07/2013 à 17:59
Signaler
Une fois de plus, l'on voit bien qu'ils ne se sont jamais occupés d'une cession d'entreprise. Si cette mesure était adoptée, c'est la catastrophe assurée. La meilleure méthode pour faire capoter toute négociation en cours. N'importe quel spécialiste ...

à écrit le 23/07/2013 à 17:43
Signaler
Je pense que quiconque a été impliqué dans un processus de cession ou d'acquisition, quelque soit son bord politique, est en train de se taper la tête contre les murs. Si seulement Mr Hamon et ses conseillers pouvaient avoir un parcours un peu divers...

à écrit le 23/07/2013 à 17:35
Signaler
Le choc de simplification c'est maintenant ? F Hollande est-il compris de ses ministres ? Ou bien ceux-ci se moquent-ils pas mal de ce qu'il veut faire ?...

à écrit le 23/07/2013 à 17:25
Signaler
et puis quoi encore ? on va demander l'avis du personnel et du syndicat quand on change la couleur de la peinture sur les murs ?

à écrit le 23/07/2013 à 16:41
Signaler
D'un coté le gouvernement s'engage vers la simplification administrative et d'un autre en rajoute une couche !!!! en fait cela est la conséquence d'avoir 7 ministres à Bercy qui chacun pour exister se doit d'avoir sa loi !!! Ce comportement est quan...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.