Les Scop, un terreau fertile de solidarité et de créativité

Loin de cultiver la frilosité, les sociétés coopératives et participatives fourmillent au contraire d'initiatives. Les réserves financières rendues obligatoires par leur statut leur permettent bien des audaces. Surtout dans les périodes de crise...
Roland Besnard, PDG de Bouyer-Leroux. Cette Scop spécialisée dans les briques en terre cuite a pu financer ses innovations, notamment en matière de réduction des déchets, grâce à ses réserves obligatoires. / DR

« Quand une entreprise s'inscrit dans une démarche prospective, le statut de Scop constitue un accélérateur et mon problème est plutôt de freiner mes équipes. » Pour Jacques de Heere, PDG d'Acome, un fabricant de câbles pour les infrastructures télécoms et ferroviaires, l'automobile et le bâtiment, la société coopérative et participative (Scop) présente bien des atouts en matière d'innovation, car « elle est naturellement tournée vers le moyen et le long terme ».

scop acome
Acome, fabricant de câbles implanté dans la Manche, n'a pas été épargné par la crise. Pourtant, la Scop a réussi à garder ses 1365 salariés, tous associés.

Sauvegarder les emplois des salariés-associés

Son groupe, implanté dans la Manche, consacre 5 % de son chiffre d'affaires à la recherche et développement et il innove dans de multiples domaines allant de la métallurgie à la chimie des matériaux (pour les isolants) ou à l'extrusion.

« Notre taille reste modeste et nous n'avons donc pas les moyens d'embaucher de grosses pointures en recherche. Mais nous faisons travailler des thésards et nous collaborons avec des centres de recherche », souligne le dirigeant.

Acome n'a pas été épargné par la crise - son chiffre d'affairesa baissé de 10 % en 2012 , à 384 millions d'euros - mais il a « serré les boulons et réduit les frais » pour garder les 1365 salariés, tous associés. Et n'a « surtout pas sacrifié la R&D ».

« Le statut de Scop favorise la créativité, confirme Jacques Landriot, le PDG du groupe Chèque Déjeuner, qui emploie 2.000 personnes. Les salariés ont l'habitude de travailler ensemble, ils sont très impliqués dans la vie de l'entreprise et il est donc facile de mettre en place des commissions de créativité. »

Le grand défi du groupe, en ce moment, c'est la dématérialisation des titres restaurants.

Une mutation « qui devrait nous coûter de 20 à 25millions d'euros en cinq ans, estime le dirigeant. Techniquement, nous sommes prêts, mais la bagarre va se faire sur la création de valeur, par exemple sur ce qu'on pourra apporter aux utilisateurs de ces titres, que nous ne connaissons pas vraiment, et aux restaurateurs affiliés ».

Toutes les idées des salariés sont donc les bienvenues.

« Les salariés dans une Scop sont très proactifs », renchérit Roland Besnard, PDG de Bouyer-Leroux, dans le Maine-et-Loire, un petit groupe spécialisé dans les briques en terre cuite, qui a doublé de taille le mois dernier en reprenant Imerys Structure et emploie désormais 740 personnes.

Cette libération des énergies favorisée par le statut de Scop, les salariés de SET, en Haute-Savoie, la décrivent bien. Cette PME créée en 1975 et spécialisée dans les machines d'assemblage de composants électroniques a été ballottée ces dernières années entre divers repreneurs étrangers. Le dernier, américano-suédois, en difficulté financière après de multiples erreurs de gestion, a reporté une bonne partie de ses dettes sur sa filiale française, entraînant le redressement judiciaire de SET en avril 2012. Les salariés ont monté un projet de reprise en Scop qui a finalement emporté l'adhésion du tribunal de commerce d'Annecy, en décembre dernier.

« Depuis cinq ans, il n'y avait plus de développement, plus d'évolution sur nos machines, raconte Pascal Metzger, l'ancien responsable du bureau d'études qui dirige désormais SET. Dès que nous sommes repartis en Scop, nous avons démarré les projets que nous avions en tête. Et nous sommes bien plus actifs qu'avant, sur la veille technologique par exemple. »

Le respect des hommes et de l'environnement, généralement cultivé dans les Scop, constitue aussi un axe important d'innovation. Chez Bouyer-Leroux, par exemple, l'innovation porte sur les produits, bien évidemment, mais aussi sur les process, « pour consommer le moins de matière argileuse et d'énergie possibles et pour réduire au minimum nos déchets ».

L'ergonomie aussi est optimisée, « aussi bien pour ce qui est des postes de travail en interne, en réduisant les poussières et en automatisant certaines opérations de manutention, que pour les chantiers en travaillant sur le poids de nos briques et sur la facilité de préhension », détaille Roland Besnard.

C'est surtout dans le financement de ces innovations que le statut de Scop peut être un réel soutien.

« Notre industrie se caractérise par une intensité capitalistique très élevée, explique Roland Besnard. Une usine de briques représente un investissement de 30 à 40 millions d'euros pour générer 15 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel. Si nous avons réussi à survivre, c'est grâce aux réserves obligatoires amassées pendant des années qui nous donnent aujourd'hui notre indépendance et les moyens de notre croissance. »

SNA a survécu grâce à son trésor de guerre

L'exemple de SNA est plus frappant encore. Spécialisée à l'origine dans la fabrication de disques vinyle, cette coopérative de 140 salariés implantée dans l'Orne s'est ensuite reconvertie dans les CD et DVD.

Mais « depuis huit ans, cette activité est en baisse car les supports physiques pour la musique ou les films sont de plus en plus délaissés, constate Éric Robert, le directeur financier. En 2008, le conseil d'administration a donc décidé d'investir dans une nouvelle activité capable d'offrir un relais de croissance à la société, la fabrication de panneaux photovoltaïques de haut de gamme, sous licence allemande. Mais, en 2010, le gouvernement Fillon a décidé un moratoire sur le solaire et l'entreprise, qui avait besoin de 5,5 millions d'euros pour installer sa chaîne de production, s'est vu opposer une fin de non-recevoir de toutes ses banques historiques. SNA avait alors un gros trésor de guerre, grâce à son statut de Scop, et elle a pu complètement autofinancer cette chaîne. Mais cette opération, qui aurait dû être financée sur dix ans, a asséché la trésorerie. Il nous reste 10 millions d'euros de fonds propres, mais les banques continuent de nous refuser tout concours ou de nous accorder la moindre facilité de caisse. Notre problématique aujourd'hui, ce n'est pas le long terme puisque notre outil industriel a été financé et que nous n'avons aucune dette, mais c'est le court terme ».

SNA Solar a fini par écouler les 5 000 panneaux produits, malgré le coup d'arrêt donné par le moratoire. Et elle vient d'emporter un marché pour un grand groupe de BTP qui va lui assurer six mois de production. « Il s'agit de remplacer des panneaux défectueux, d'importation asiatique, dont les boîtiers de jonction ont brûlé. »

L'entreprise mise également sur un nouveau produit, le Glasswing, trophée d'or de l'innovation au dernier salon Energaïa de Montpellier. Il s'agit d'un panneau photovoltaïque intégrant des diodes électroluminescentes (LED). Une partie de l'électricité produite sert à alimenter ces LED.

« Ce système d'éclairage autonome pourrait intéresser les installateurs de mobilier urbain, les architectes pour des pergolas ou bien les magasins obligés d'éteindre leurs vitrines la nuit. » Un brevet a été déposé. « Heureusement, la grande force de la Scop, c'est sa flexibilité en termes d'aménagement du temps de travail. S'il y a un besoin important en photovoltaïque, on peut détacher une équipe venant du disque. »

Ces réserves financières tellement importantes, encore faut-il pouvoir les accumuler. Pour une jeune Scop, l'exercice est difficile.

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Evosens, bureau d'études brestois spécialisé dans l'optique, a mis au point l'éclairage à LED du phare de Kermorvan (Finistère). La Scop a bénéficié du soutien des banques grâce à son business plan « réaliste ». / DR

Un bémol du côté du capital-risque

Pascal Metzger, chez SET, n'est pas trop inquiet :

« Nos machines sont surtout vendues à des laboratoires, pour de la recherche ou de la mise au point de procédés, et leur fabrication ne nous demande pas de gros investissements. Le financement de la Scop s'est fait sans difficultés et nous avons pu réunir plusieurs millions d'euros en quasi-fonds propres. Cela nous a permis de redémarrer. Pour nos nouveaux développements, nous allons faire appel aux mêmes interlocuteurs. »

Chez Evosens, une start-up brestoise qui conçoit et fabrique des systèmes optiques pour le compte d'entreprises et de laboratoires, Frédéric Bérier, le gérant, se montre plus circonspect.

« Evosens a été créée en 2009 par une équipe de six personnes qui avaient travaillé ensemble dans une autre société. Nous avons choisi une structure de Scop, car nous étions complémentaires et nous estimions que chacun avait son mot à dire. Nous avons démarré avec 40 000 euros de capital et nous ensommesaujourd'huià 80 000 euros. Nous avons cherché à intéresser du capital-risque, mais nous n'avons pas trouvé, car notre statut de Scop, avec sa règle d'une voix par personne, bloque. Les sociétés de capital-risque voulaient plus d'une voix. »

Un handicap pour la croissance de l'entreprise ?

« Pour le moment, nous avons bénéficié des aides Oséo. Les banques nous soutiennent également. Dans une Scop, le business plan est généralement réaliste. Notre objectif n'est pas de faire un développement risqué. Si un jour nous voulions entrer en phase de production industrielle pour un de nos instruments, je pense que notre choix se porterait sur la création d'une filiale sur un modèle autre que la Scop et dans laquelle Evosens serait majoritaire. Et nous ferions entrer du capital-risque au niveau de cette filiale. Nous ne voulons surtout pas mettre en péril la Scop d'origine. »

Des business plan réalistes, des salariés motivés et flexibles, de fortes capacités d'autofinancement : ce cocktail pourrait faire saliver n'importe quel patron. Visiblement, c'est dans les coopératives qu'on le trouve le plus facilement.

Commentaires 7
à écrit le 25/10/2013 à 10:25
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Le point qui me gene est le financement. Comment peuvent-ils avoir du capital si c'est une reunion de chomeurs ? Cela ne résoud donc pas tous les problemes. Quand on n'a rien, le statut ne fournit pas l'argent pour démarrer une quelconque activité. S...

le 28/10/2013 à 19:39
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En effet, Porchecolecte. Vous n'avez rien compris. Une entreprise n'a pas besoin de votre capital pour démarrer. Mais cela vous gène, à priori. Sauf qu'il n'y a pas QUE le capital, soit la dette, dans la vie. Il y a aussi le travail. Un truc qui gène...

à écrit le 24/10/2013 à 21:56
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L'autogestion est de retour...tant mieux si ça marche, mais attention, les Scop se feront scalper dès qu'elles commenceront à engranger....(l'ogre de Bercy les attend au tournant...)

le 28/10/2013 à 19:43
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Faux. Enormément de SCOP achètent des entreprises, et ... les saignent : Lur Berry, CECAB, etc...

à écrit le 24/10/2013 à 21:33
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Article enthousiasmant. Ca marche, car le capital humain contrairement aux grand groupes y est valorisé mais ne l'ébruitez pas trop car Bercy est capable de les taxer sans aucune honte et de leur couper les ailes.

à écrit le 23/10/2013 à 13:51
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Les Scop, solution d'avenir? Très certainement, leur principal capital étant le capital humain, et les raisonnements sur le moyen et long terme. Et chaque salarié étant aussi actionnaire, tout le monde tire le train dans le même sens. Dôù des perform...

le 24/10/2013 à 1:54
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bien dit , et tout dit "Les scops au service de l'homme au lieu du service de la finance..."

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