
En lançant lundi le processus de remise à plat de la fiscalité, Jean-Marc Ayrault ouvre, sans aucune marge de manoeuvre budgétaire, une boîte de Pandore. Annoncée par surprise, de l'aveu même de ses ministres, cette initiative vise d'abord à désamorcer la fronde fiscale en remettant sur le devant de la scène sociale des syndicats dépassés par la grogne des "bonnets rouges". Reçues lundi et mardi à Matignon, les organisations syndicales et patronales seront suivies en fin de semaine par les représentants de la majorité et par le centriste Jean-Louis Borloo, qui a accepté de participer à ce brainstorming fiscal alors que l'UMP a dénoncé elle, un "écran de fumée".
Qui des ménages ou des entreprises seront les bénéficiaires
Marqué par l'épisode des entrepreneurs "pigeons" et contraint au repli sur l'écotaxe, le gouvernement a décidé de reprendre la main, quitte à jouer l'apprenti sorcier sur un sujet sensible où les attentes sont fortes. Promise à taux de prélèvements obligatoires constants, la réforme pose de facto dans l'opinion la question de savoir qui des entreprises ou des ménages, et parmi eux quelle classe de revenus, bénéficieront du chamboulement fiscal.
Les augmentations de TVA décidées pour financer le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) font redouter aux syndicats de nouveaux transferts des ménages vers les entreprises pour financer la protection sociale, une revendication insistante du patronat.
Promesse électorale de fusionner l'impôt sur le revenu et la CSG
L'ambition de remettre à plat la fiscalité renoue avec l'engagement électoral de François Hollande de mettre en oeuvre "une grande réforme" fiscale, un projet rapidement abandonné après son accession au pouvoir. La réforme de la fiscalité, sans doute l'une des dernières réformes macro-économiques du quinquennat après les retraites et le marché du travail, remet au goût du jour la promesse du candidat socialiste de fusionner à terme l'impôt sur le revenu et de la Contribution sociale généralisée (CSG).
La CSG est prélevée à la source sur la plupart des revenus du travail comme du capital et sert à financer une partie des dépenses de Sécurité sociale. Sa fusion avec l'impôt sur le revenu impliquerait une petite révolution pour les salariés avec la retenue sur leur salaire de l'impôt sur le revenu. Si une large majorité de Français se déclare favorable à la retenue à la source, une pratique courante dans les pays industrialisés, le gouvernement reste lui très prudent même.
Complexe pour certains, pas du tout pour d'autres
"Le Premier ministre a dit qu'elle n'était pas exclue mais ce n'est pas non plus le but de la manoeuvre", estime une source gouvernementale, citée par Reuters. Interrogé spécifiquement mercredi à Rome sur cette question, le chef de l'Etat n'a pas souhaité s'engager. "C'est horriblement compliqué", estime-t-on de source gouvernementale, en rappelant que les deux impôts ont des bases différentes et techniquement difficiles à concilier. "Si on allait dans cette direction-là, ce serait un travail de plusieurs années", tempère-t-on dans l'entourage de Jean-Marc Ayrault, quitte à alimenter la frustration des défenseurs de la retenue à la source.
"Il faut arrêter de dire que c'est trop complexe, que cela va prendre au moins cinq ans", s'agaçait, dans les colonnes du journal Le Monde, l'économiste Thomas Piketty, partisan d'une "révolution fiscale".
"Tous les pays qui nous entourent ont mis en place cette réforme en un an, à des époques où l'informatique n'existait même pas", pestait encore ce proche du Parti socialiste qui a officieusement travaillé au programme de François Hollande.
Premières mesures mi-2014
Mais pour l'exécutif, l'essentiel est d'enclencher un processus de long terme sans se focaliser sur cette mesure. "La démarche est puissante politiquement et si l'on veut qu'elle aille au bout, il faut qu'elle soit raisonnable et méthodique techniquement, si vous partez la fleur au fusil sur des sujets comme ça, en général, ça se plante assez vite", juge une source gouvernementale.
Les premières mesures de cette réforme doivent être décidées à la mi-2014 afin d'être mises en oeuvre en 2015, une première étape d'un processus qui doit, selon le souhait de François Hollande, se dérouler tout au long du quinquennat. Pas de grand soir fiscal attendu en 2015, même si des avancées sont possibles sur le front de la sécurité sociale.
Feuille de route avant le 5 décembre?
Attendu en Chine à partir du 5 décembre, Jean-Marc Ayrault devrait clarifier avant son départ le périmètre de la première salve de réformes et donner une feuille de route pour la suite de l'exercice. Mandat pourrait être donné au Haut conseil de financement de la protection sociale (HCFi-PS) de réfléchir à un financement alternatif de la branche famille de la sécurité sociale, actuellement basée sur les cotisations salariales. Le gouvernement pourrait aussi, via les assises de la fiscalité des entreprises, simplifier l'impôt sur les sociétés dont la base est jugée "mitée" par les niches.
Pour Jean-François Coppé, Jean-Marc Ayrault est le maillon le plus faible
Pour Jean-François Copé, il est le maillon "le plus faible" d'un gouvernement "qui lui-même est sur un bateau ivre", a déclaré le présidernt de l'UMP, qui ne croit pas à la remise à plat de la fiscalité annoncée par le Premier ministre.
Invité du Grand rendez-vous Europe 1/Le Monde/i>Télé, le président de Jean-François Coppé a estimé que l'annonce de réforme fiscale n'avait "aucun contenu", soulignant qu'elle avait été aussitôt recadrée par François Hollande.
Qualifiant de "délire" la fiscalité sous la présidence Hollande, Jean-François Copé a noté que Jean-Marc Ayrault avait "lâché en rase campagne" son ministre de l'Economie Pierre Moscovici, qu'il n'a pas informé de ce projet.
Le président de l'UMP a également critiqué "l'inaptitude au commandement" de l'exécutif dans un pays "qui a absolument besoin dans cette période d'être dirigé."
"Où est le projet, si ce n'est des hausses d'impôts permanentes ?", a-t-il demandé, regrettant "une incapacité terrible à prendre des décisions courageuses".
Sujets les + commentés