Les dessous du ralliement de la Pologne à l'accord sur le détachement des salariés

La Pologne a surpris l'Europe en acceptant le compromis sur la régulation du travail détaché en Europe. Un ralliement qui montre la volonté de Varsovie de jouer désormais dans la cour des grands.
La Pologne veut désormais peser sur l'avenir de l'Europe

Et la Pologne rallia le camp français. Ce fut «la » surprise de la négociation ce week-end à Bruxelles entre ministres du travail européens sur la directive d'application relative au détachement des salariés de leur pays d'origine vers un pays d'accueil.

Le camp du durcissement des règles

La France, alliée à l'Allemagne, aux Pays-Bas et au Luxembourg notamment, défendait une ligne ferme, souhaitant davantage encadrer ces pratiques de détachement souvent à l'origine d'une forme de dumping social. Paris souhaitait ainsi durcir les règles en instaurant notamment une responsabilité solidaire obligatoire entre un donneur d'ordre du pays d'accueil et ses sous traitants du pays d'origine en cas de fraude. De quoi faire réfléchir une entreprise française tentée de passer un contrat de sous-traitance… De même, la France souhaitait que chaque pays d'accueil puisse, à sa guise, dresser la liste des documents exigibles auprès d'une entreprise envisageant un détachement.

Les partisans du statu quo

Face à ce camp favorable au durcissement des règles, le Royaume-Uni et de nombreux pays d'Europe centrale (Pays Baltes, Slovaquie, République tchèque et Hongrie) étaient nettement plus sur la ligne du « laisser faire, laisser passer ». Et donc plutôt favorable au statu quo. Dans un premier temps, la Pologne, pays libéral allié au Royaume-Uni, se situait plutôt dans ce dernier camp.

Il est vrai que les Polonais détachés sont nombreux en Europe. Rien qu'en France, il s'agit de la première nationalité concernée par cette procédure, devant les Portugais. Selon les statistiques du ministère du Travail, il y a eu 37.000 Polonais détachés en 2012.

La Pologne, clé du vote

Or, la Pologne détenait la clé de la décision européenne. Car, lors des votes du Conseil des ministres, chaque pays dispose d'un nombre de voix déterminé par le Traité de Li,sbonne. Et si la France, l'Allemagne, l'Italie et la Grande-Bretagne pèsent chacune 29 voix, ou 8,9 % des 352 voix du total, la Pologne vient juste derrière, avec 27 voix, soit autant que l'Espagne.

Dans un cas comme celui-ci, qui divise clairement l'Europe en deux, il semblait impossible au camp franco-allemand, d'obtenir la majorité qualifiée requise de 260 voix sans l'appui polonais. C'est dire si l'affaire semblait perdue. Et pourtant, Varsovie s'est ralliée à Paris et Berlin sur ce camp et a abandonné ses alliés traditionnels d'Europe centrale et des îles britanniques. Pourquoi ?

« Pas de marchands de tapis »

Interrogé par La Tribune, un Français très proche du dossier raconte:

«  Nous avons entamé très en amont, et bien avant le sommet du 9 décembre, des discussions bilatérales avec la Pologne. » Et d'assurer : «  mais pas question de rentrer dans un rapport style « marchands de tapis », la France n'a rien promis en échange du ralliement polonais ».

Il n'y aurait donc pas eu de concessions promises à Varsovie sur la PAC ou les aides structurelles.

Jouer dans la cour des grands

Pour comprendre ce ralliement polonais, il faut s'intéresser à la situation économique et géopolitique de ce pays. Nous ne sommes plus en 2004 lorsque la Pologne a adhéré à l'Union européenne. Ce pays de 38 millions d'habitants a désormais des ambitions. Elle ne veut plus être un « petit poucet » ou le supplétif de la vision britannique de l'Europe, mais elle veut entrer dans de la cour des grands de l'Union.

« La Pologne veut montrer sa bonne volonté vis-à-vis des pays qui ont historiquement construit l'Europe. La Russie n'est pas loin et les autorités polonaises voient bien ce qui se passe avec l'Ukraine. La Pologne veut donc davantage s'ancrer à l'Europe », explique notre source.

Choisir Paris et Berlin plutôt que Londres

Ce compromis avec la France et l'Allemagne était l'occasion de jouer ce nouveau rôle. « C'est un signal politique fort qui affirme que le principe de la mobilité du travail ne sera pas remis en cause », explique le directeur du bureau de Varsovie de l'European Council of Foreign Relations (ECFR), Piotr Buras. Car Varsovie pouvait craindre de se retrouver le dindon de la farce britannique dans la mesure où David Cameron est assez ambigu. Dans une tribune du 27 novembre dernier dans le Financial Times, qui a eu un impact important en Pologne, ce dernier demandait en effet des « restrictions » à l'immigration européenne dans son pays.

Le double jeu manqué de Londres

Londres tente donc de jouer double jeu : réduire l'immigration en provenance de l'UE, tout en permettant aux entreprises britanniques de disposer d'une main d'œuvre bon marché temporaire grâce au détachement. Mais, comme le souligne Piotr Buras, « la Pologne n'a pas intérêt à soutenir des règles à faible niveau social, ce serait aussi négatif pour les travailleurs polonais détachés. » Du coup, Varsovie a préféré choisir la modération - mais la sécurité - offert par Paris et Berlin que la ligne ambiguë de Londres.

Régler le dossier avant les élections européennes

D'autant que le gouvernement polonais craignait, toujours selon Piotr Buras, que ce dossier ne s'envenime durant la campagne pour le parlement européen et qu'elle fasse les gorges chaudes des populistes de tout poil. « La Pologne était déterminé à rejeter ce dossier de l'agenda avant les élections », indique Piotr Buras. Sans compter qu'ensuite, traiter avec un parlement plus eurosceptique aurait été bien plus difficile. Tout ceci, le Royaume-Uni ne l'a pas saisi.

Le rôle de Donald Tusk

Or, le premier ministre polonais Donald Tusk est un européen convaincu. Selon notre source, c'est d'ailleurs lui qui en réalité a mené la discussion sur ce dossier. « Donald Tusk était constamment en ligne avec son ministre du Travail Wladislaw Kosiniak-Kamysz », indique-t-il. Ce dernier, membre du petit parti agrarien et chrétien-démocrate allié au parti libéral du premier ministre, était moins convaincu. « C'est exact qu'il y a eu une intense activité de lobbying en Pologne de la part de certains cercles et certaines entreprises pour que le pays ne signe pas. Mais le Premier ministre veillait au grain », conclut notre source.

Avec cet accord, la Pologne a montré que, désormais, il faudra compter avec elle en Europe. Londres l'a sans doute désormais compris. L'idée que Varsovie défendra une Europe libérale et partisane du moins-disant social semble donc révolue.

Commentaires 18
à écrit le 14/12/2013 à 9:09
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L'Allemagne souhaite un contrôle des banques européenne , mais ne veux pas payer les créances de s'est voisin... Qui le voudrai à vrais dire.....

à écrit le 12/12/2013 à 20:21
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Les anglais ont toujours profité de tout le monde, on le voit à travers les âges et plus particulièrement en Amérique, en Inde, En Australie, en Afrique du Sud, en Nouvel Zélande, n'hésitant pas à voler exemple les malouines à l'Argentine, ect....Et ...

à écrit le 12/12/2013 à 7:03
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La Pologne a su bien tirer son épingle du jeu : C' est le seul pays de l'UE avoir évité la récession ces dernières années.

à écrit le 11/12/2013 à 18:33
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Comme de nombreux forumers je suis sceptique quant au jeu de la perfide Albion et son avenir dans l UE. Ne pas oublie qu elle nous est utile pour contrebalancer la puissance de notre voisin allemand, que son libéralisme économique est partagé par nom...

à écrit le 11/12/2013 à 18:20
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Ok vaut mieux un accord que pas d accord mais franchement qui peut croire que ça va vraiment changer quelque chose....c est pas nos quelques inspecteurs du travail qui passent plutôt leur temps a prendre la tête aux artisans sur des normes de sécurit...

à écrit le 11/12/2013 à 18:09
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La Pologne a presque autant de voix que la France alors qu'elle n'a pas 40 millions d'habitants. La France est vraiment le dindon de la farce en Europe.

le 11/12/2013 à 18:22
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Moi je dirai plutôt que c est nos cousins d outre Rhin les dindons en la matière mais bon...

le 12/12/2013 à 6:40
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Moi je dirais des voisins qui profitant de leur position géographique, tirent tous les marrons du feu en se posant de surcroît en "victimes"...

à écrit le 11/12/2013 à 17:57
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Bon article!

à écrit le 11/12/2013 à 17:45
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coup dur pour les britiches. Vivement qu'ils quittent l'U. E.!!!!!!

le 11/12/2013 à 18:24
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Oh ouai super super dur...c est beau la politique et le chauvinisme....

le 12/12/2013 à 0:19
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La position anglais est incomprehensible. ... On est daccord pour recevoir des travailleurs d'une europe qu'on pretend vouloir quitter...

à écrit le 11/12/2013 à 17:03
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Pourquoi tolère-t-on encore les Anglais dans l'Union Européenne? Ils n'apportent rien et veulent profiter de tout sans rien payer. Il fut un temps où le "US GO HOME" était un slogan prisé. "ENGLAND GO HOME" me semble aujourd'hui approprié, d'autant p...

à écrit le 11/12/2013 à 16:58
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Les Polonais sont de nouveau dans la course des grandes économies et je pense que c'est le bon moment de demander à la Russie de rendre la partie de territoire annexé par l'ex-URSS et de même rendre à l'Allemagne la partie prise dès 1945 par les alli...

le 11/12/2013 à 18:10
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Je leur souhaite bien du courage quand on voit çe qui se passe en Ukraine....

le 11/12/2013 à 18:21
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A part les jeux vidéo vous n'avez pas du subir la deuxième guerre mondiale

à écrit le 11/12/2013 à 16:31
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Il est certain que les salaires et le niveau de vie ayant augmenté en Pologne, ils sont plus ou moins dans la même situation avec par exemple les immigrés Roumains, Bulgares, Ukrainiens, etc. Seul O'Leary en Irlande combat l'interdiction de main-d'oe...

le 11/12/2013 à 16:48
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Bonne analyse.

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