Présence française en Afrique : ce qu’il reste de la Coopération

Un ministère pour l’Afrique, un pour le reste du monde… L’”anomalie” du ministère de la Coopération a été corrigée il y a 10 ans, et l’actuel gouvernement martèle sa volonté de “normaliser” les relations franco-africaines, notamment via une loi sur le développement présentée cette semaine à l’Assemblée. Suffisant pour faire taire, une fois pour toutes, la suspicion d’un retour de la “Françafrique” ?
Depuis son arrivée au pouvoir, comme ici lors du sommet de l'Elysée, François Hollande entend mettre en place une nouvelle politique vis-à-vis de l'Afrique. (Reuters/Thibault Camus)

Au 20 de la Rue Monsieur, dans le 7e arrondissement, à Paris. Un grand bâtiment banal, à peine surveillé par une paire de caméras. L'ancien ministère de la Coopération. Vendu en 2007, il fut pendant 50 ans l'état-major d'une administration puissante, qui a façonné les relations diplomatiques et économiques de la France avec son ancien empire colonial.

Depuis sa création par le Général De Gaulle en 1959, la "Coop" a permis à la France d'asseoir son influence sur une partie de l'Afrique désignée sous le nom de "pays du champ". En 1960, de nombreux pays de cette aire coloniale française accèdent à l'indépendance. Par ordre chronologique : le Cameroun, le Togo, le Mali, le Sénégal, Madagascar, le Bénin, le Niger, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Tchad, la Centrafrique, le Congo, le Gabon et la Mauritanie.

Quatorze pays, qui ont besoin de quatorze administrations. La puissance coloniale va donc proposer ses services en dépêchant sur place des coopérants, détachés de l'administration des Affaires étrangères ou des Finances bien sûr, mais également de celles de l'Agriculture ou de l'Intérieur. Leur mission: le conseil, dans un second temps, et la "substitution", explique Michel Lunven.

La carte des décolonisations par date, en Afrique.
La carte des décolonisations en Afrique, réalisée par la revue d'histoire Hérodote. (DR)

"40 ans de vie en Afrique"

Rosette d'officier de la légion d'honneur au revers, il détaille les "40 ans de sa vie en Afrique". Comme ambassadeur, au Niger, au Gabon, en Centrafrique, (expérience qu'il raconte dans son ouvrage autobiographique, "Ambassadeur en Françafrique"), comme conseiller de Jacques Foccart à la cellule Afrique du cabinet de Jacques Chirac en 1993, et comme coopérant dans plusieurs pays d'Afrique francophone. "Au début des indépendances, explique-t-il, ces fonctionnaires français jouaient un rôle d'experts", soit comme conseiller, soit comme acteur. 

Ingérence ? Le système, plaçant des fonctionnaires français à tous les niveaux de responsabilités des États africains est en tout cas un avantage stratégique déterminant pour la France et ses entreprises, explique Michel Lunven. "Ça permet d'être au contact de la population, de faire remonter une quantité d'informations", et de les répercuter ensuite à Paris. 

Mais les scandales d'un système bientôt baptisé "Françafrique", affaiblit l'administration. Selon une étude du Ceri datée de 2007, le nombre de coopérants a décliné rapidement. Ils étaient 9.000 en 1990, 5.000 cinq ans plus tard. Et en 1998, le ministre de la Coopération est finalement digéré par le Quai d'Orsay.

"A mon sens, c'est à partir de la chute du Mur de Berlin que les pays africains ont vraiment cherché à devenir indépendants. Il y a clairement eu un changement d'époque. Ce rapprochement, il fallait le faire un jour. On ne pouvait pas avoir un ministre pour le monde, et un pour l'Afrique", explique Michel Lunven.

Changement d'époque

C'est aussi un changement d'époque qu'a acté le rapport Védrine, remis fin 2013 au ministère de l'Économie. La part de marché de l'ancien colonisateur en Afrique subsaharienne est en déclin, de 10,1% en 2000 à 4,7% en 2011.

La remise du rapport d'Hubert Védrine au ministre de l'Economie et des Finances, le 4 décembre 2013.L'ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine a remis en décembre 2013 un rapport sur la relation économique franco-africaine à Bercy. (Philippe Ricard, secrétariat général des ministères économiques et financiers)

 

Il y a bien sûr l'explication de la "Chinafrique". Selon le FMI, la moitié des importations du continent proviennent de partenaires non traditionnels - BRIC, États-Unis, auxquels sont destinés 60% de ses exportations. Il y a aussi celle d'un "changement de génération", estime Yves Gounin, auteur de "La France en Afrique, le combat des anciens contre les modernes"

Les relations franco-africaines, argumente-t-il, sont articulées comme un mouvement de balancier autour d'une question centrale : faut-il, oui ou non, considérer que la relation de la France à l'Afrique est "spéciale" ?

Les "Anciens", souvent plus âgés - "même s'il existe des jeunes Anciens et des vieux Modernes !" - veulent garder cette spécificité, basée sur la langue, l'histoire, des liens issus de cette politique de coopération. Quant aux "Modernes", ils entendent normaliser ces relations pour faire de l'Afrique un partenaire parmi d'autres.

"De fait, l'ère Hollande va peut-être marquer la fin de cette querelle", estime Yves Gounin. "Ne serait-ce qu'en raison du vieillissement des acteurs, on n'a plus cette relation de paternalisme un peu gnangnan. "

 

François Hollande à Tombouctou à Bamako, en février 2013.
François Hollande à Bamako, en février 2013. (Reuters/Joe Penney)

En finir avec la Françafrique

Au cours de sa campagne, François Hollande avait annoncé vouloir en finir avec la Françafrique. Pas de ministre délégué à la Coopération, mais au Développement, pas de cellule africaine à l'Elysée - mais deux conseillers, Hélène Le Gal et Thomas Mélonio. Avant l'élection présidentielle, ce dernier écrivait que "la coopération traditionnelle doit laisser place à des formes de partenariats plus modernes et plus lisibles". "François Hollande a cette volonté, de rompre avec les pratiques du passé, chevillée au corps", ajoute Pascal Canfin, le détenteur du portefeuille depuis le changement de majorité. 

Loin des Invalides et de la rue Monsieur, c'est désormais quai Javel Citroën que le ministre en charge du Développement a ses bureaux. Dans un bâtiment refait à neuf, appartenant au ministère des Affaires étrangères. A peine a-t-on le temps d'y apercevoir, au détour d'un couloir, le portrait des anciens ministres de la "Coop'" au mur, que le ministre a déjà dégainé sa formule : "Ce changement de nom, ce n'est qu'un symbole, mais c'est tout un symbole !"

"Normaliser les relations avec l'Afrique est un long combat de la gauche", poursuit-il. "On veut tourner la page d'un passé pas si lointain. Aujourd'hui, il n'y a plus de Claude Guéant pour gérer les affaires africaines à l'Elysée." L'actuelle majorité entend désormais mettre bon ordre dans les pratiques françaises en Afrique. Pascal Canfin défendra cette semaine à l'Assemblée un projet de loi sur le développement (lire encadré). "La première de l'histoire de la République sur le sujet !", martèle-t-il. Objectif : "instaurer un contrôle démocratique sur cette politique"... Et compliquer tout retour en arrière.

Car Nicolas Sarkozy aussi avait promis de "rompre" avec la Françafrique avant l'accession à la présidence, en 2007. Avant que Claude Guéant, son Secrétaire général à l'Elysée, "ne ressuscite la figure de Jacques Foccart" et son interventionnisme africain, explique Yves Gounin. 

Développement : une loi "simple" pour "clarifier la doctrine" (Canfin)

Faire en sorte que développement et développement durable ne fassent qu'un. C'est l'objet de la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement, défendue cette semaine par Pascal Canfin à l'Assemblée. Une loi "simple", comptant 10 articles.

Elle poursuit la rénovation de la politique de développement, entamée pour l'AFD: ne plus financer les projets de "centrales électriques au charbon, ni les OGM, mais donner la priorité aux sources d'énergies renouvelables". Si le ministre se félicite que ces orientations aient déjà été suivies en 2013, il entend désormais "clarifier la doctrine" en leur donnant force de loi.

"Il faut renforcer le caractère inéluctable de cette évolution, rendre plus difficile tout retour en arrière." Et celui que ses détracteurs présentent, un peu perfidement, comme "ministre des ONG" assure que cette évolution profitera aussi aux entrepreneurs. "Les entreprises françaises ont besoin de règles claires. Les entreprises françaises ne peuvent pas gagner au jeu du moins-disant, du plus opaque, car, et c'est heureux, il y a en France des entreprises responsables, des journalistes indépendants, une société civile exigeante pour mettre à jour ce genre de pratiques. Elles ont donc tout à gagner à davantage de RSE [responsabilité sociétale des entreprises]".

D'ailleurs, l'AFD (Agence française pour le développement) va renforcer encore ses standards en matière de RSE pour que les appels d'offre bénéficient aux entreprises les plus vertueuses. 

 

Laurent Fabius et Pascal Canfin le 5 décembre 2013.
Pascal Canfin et son ministre de tutelle, Laurent Fabius, lors du sommet de l'Elysée, le 5 décembre dernier. (Reuters/Ian Langsdon)

 

Mais malgré les accusations d'"ingérence" formulées lors des interventions militaires françaises au Mali et en Centrafrique, le climat aurait bel et bien changé en Afrique. Notamment pour les entreprises. 

"Désormais, il n'y a plus d'avantage acquis. Cela n'existe plus dans le monde des affaires", assure-t-on au Medef International. Présence des Etats-Unis, des BRIC, y compris dans les anciens "pays du champ" (dans les 14 pays utilisant le Franc CFA, les entreprises chinoises font jeu égal avec les françaises : 17,7% contre 17,2% de part de marché en 2011) : "les Africains connaissent leurs avantages et nous, nous faisons face à des concurrents… Qui n'ont d'ailleurs pas toujours les même règles éthiques ou environnementales que nous", précise l'organisation patronale.

Mises en concurrence en Afrique francophone, les entreprises françaises entendent contrebalancer le mouvement en s'implantant en Afrique anglophone et lusophone. "On veut bien sûr continuer à développer les positions qu'on a avec nos amis africains, mais aussi dans des pays où nous sommes moins présents", explique le Medef.

Mission "normalisation"

Le ministère de l'Economie est encore plus volontariste. Nigeria, Afrique du Sud, Ghana, Mozambique, Kenya… "Ces nouveaux marchés sont prioritaires", explique une source ministérielle. Pierre Moscovici, le patron de Bercy, et Nicole Bricq, à la tête du Commerce extérieur, "sont très présents sur le dossier". "Il n'y a jamais eu de ministres consacrant autant de temps à l'Afrique", assure-t-on dans leur entourage.

Là encore, l'élément de langage, c'est la "normalisation". Bercy, "à la manœuvre" sur le sommet Franco-africain à l'Elysée, voulait délivrer un message : "Concrètement, comment fait-on pour définir une nouvelle relation ?". Les ministres veulent qu'"on arrête de considérer le continent avec complaisance ou au regard du passé", pointant notamment les retombées sur les finances et l'emploi français : 400.000 emplois pourraient être créés dans le pays si l'objectif fixé par François Hollande lors du sommet de doubler aides et investissements français pour l'Afrique était respecté, selon le rapport Védrine.

"Cette dynamique, lancée au niveau du gouvernement, est plutôt bien perçue des entreprises", assure encore le ministère. Le Medef international, qui a vu l'affluence aux événements concernant le continent croître de 40% en 2013 , acquiesce : "Si en part relative, les échanges commerciaux diminuent dans les pays francophones, ils augmentent en zone anglophone. Cela devrait continuer à croître, grâce notamment à une très forte croissance sur le flan est."

 

Ouverture de la conférence pour un nouveau modèle économique de partenariat entre l’Afrique et la France le 4 décembre 2013.
Le président de Medef international, Jean Burelle, la ministre nigériane des Finances Ngozi Okonjo-Iweala, le ministre de l'Economie et des Finances Pierre Moscovici et Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur. (Flickr/Dominique-Henri Simon, secrétariat général des ministères économiques et financiers)

 

Les entreprises ont leur carte à jouer face aux énormes moyens financiers de la Chine. "L'image de l'expertise française en Afrique est encore très positive", explique Anthony Bouthelier, président délégué du CIAN, le Conseil français des investisseurs en Afrique. Il assure que la qualité des offres françaises, en termes d'emplois locaux ou de RSE (Responsabilité sociale de l'entreprise), leur a déjà permis de reconquérir des marchés. "Les investissements chinois ou indiens ont relancé l'intérêt pour l'Afrique, l'ont recrédibilisée", se réjouit-il.

Le ministre du Développement, Pascal Canfin, veut croire que son projet de loi permettra aux entreprises françaises d'améliorer leur compétitivité. Il entend en effet garantir le respect d'un certain nombre de critères de bonne gouvernance dans les appels d'offres émanant de l'Agence française pour le développement (AFD).

Déclin de la décision publique

Reste que l'influence de la décision publique a décliné en Afrique. "Le volontarisme du gouvernement en matière de diplomatie économique n'a pas changé la vie des entreprises déjà implantées", estime Anthony Bouthelier. Diminution des budgets alloués, importance prise par le privé... L'ancien puissance colonisatrice n'a plus le poids qu'elle avait sur l'économie africaine.

Ce qui n'empêche pas le président délégué du CIAN de se réjouir d'une évolution des mentalités au Quai d'Orsay. La diplomatie économique de Laurent Fabius est en effet saluée par le CIAN. "Il y a 20 ans, les ambassadeurs pouvaient me dire : je ne suis pas chargé des intérêts de telle ou telle entreprise, mais des intérêts supérieurs de la France. Aujourd'hui, ils nous demandent ce qu'ils peuvent faire pour nous".

     >> Lire : Diplomatie économique : Laurent Fabius a-t-il changé quelque chose ?

"Bercy a moins la culture de "l'étranger" comme en témoigne son retrait de certains pays non francophones en Afrique", estime Anthony Bouthelier. Le CIAN va même plus loin : il prône un regroupement des différents services intervenant à l'étranger dans le domaine économique. "Sur place, il faut supprimer les cloisons étanches entre les activités commerciales, les investissements, l'AFD … Il faut les faire sauter et tout ramener au même endroit."

Rationaliser, harmoniser le fonctionnement du dispositif français à l'étranger : c'est ce que propose, d'une certaine manière, le Quai d'Orsay en voulant faire de l'ambassadeur le "capitaine de l'équipe France", chapeautant l'ensemble des services. Une proposition qui n'a pas que des partisans de l'autre côté de la Seine, au ministère de l'Economie et des Finances, qui explique que la politique étrangère est "conçue à Bercy".

La recette n'est en tout cas pas sans rappeler un passage du livre de Michel Lunven. L'ambassadeur à la retraite y retrace son expérience au Niger : "Toutes les entreprises françaises au Niger connaissent des difficultés : baisse importante de l'activité, arriérés de l'Etat, baisse du nombre des expatriés… Aussi les chefs d'entreprise franchissent-ils souvent ma porte pour que j'intervienne auprès des autorités nigériennes". Comme quoi la normalisation n'entend pas faire - tout à fait - table rase du passé.

Commentaires 2
à écrit le 24/02/2015 à 23:51
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Il est vrai que la Chine s'intéresse à l' Afrique en construisant des infrastructures dans certains pays ( routes Hôpitaux, par exemple). La Chine ne le fait pas que par bonté. Ses infrastructures sont liées à l exploitation du sous sols de ses pays ...

à écrit le 30/03/2014 à 10:49
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LES européens se sont mal comporte en afrique ils voulez la colonisse,? aujoudhui la chine si interesse en les respectant et c est tres bien comme cela ?

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