"Il faut que la France fasse davantage de réformes structurelles" (Jouyet)

Par Propos recueillis par Philippe Mabille et Sylvain Rolland  |   |  1811  mots
Jean-Pierre Jouyet était l’invité du Live Media de La Tribune vendredi 4 avril. / DR
Jean-Pierre Jouyet était l’invité du Live Media de La Tribune vendredi 4 avril à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Ile-de-France. Nommé ce jeudi secretaire general de l'Elysée à la place de Pierre-René Lemas, nous publions ici le compte rendu de ce qui sera donc la dernière interview de Jean-Pierre Jouyet comme patron de la CDC. Avec des résultats revenus dans le vert en 2013, il fait le point sur les grands enjeux qui attendent la Caisse des dépôts, et les orientations stratégiques qui attendent son successeur parmi lesquels sont cités Pierre-René Lemas, candidat proposé par François Hollande, et Dominique Marcel, le président de la Compagnie des Alpes, qui pourrait reprendre plutôt la présidence de Bpifrance.

Manuel Valls a-t-il les moyens de mettre en œuvre la relance de l'économie française ?

 

Manuel Valls est à la tête d'une équipe resserrée, bien composée, c'est ce dont la France a besoin en ce moment. Passer de 7 à 2 ministres à Bercy est un grand progrès. Je suis sûr que Michel Sapin saura trouver le bon équilibre avec Arnaud Montebourg. Le fait que le chef de la diplomatie, Laurent Fabius, obtienne le rattachement du Commerce extérieur à son ministère est aussi une bonne nouvelle, car la diplomatie va ouvrir des portes pour nos entreprises à l'étranger et aider à développer notre compétitivité à l'international.

Manuel Valls me paraît l'homme de la situation pour mener la relance économique dont la France a besoin. Sa déclaration de politique générale est offensive et modernisatrice. Nous allons dans une phase nouvelle du quinquennat. Le pacte de responsabilité lancé par François Hollande est un tournant, un acte politique très fort qui va permettre d'alléger les charges des entreprises et de simplifier les procédures qui entravent le développement des petites entreprises. Mais en même temps, l'avertissement qui a été exprimé lors des élections municipales doit être entendu, notamment avec le pacte de solidarité.

Il faut garder en tête que le paysage économique français et européen est en pleine mutation. Même s'il y a des signes encourageants, la période reste difficile sur le plan conjoncturel. La mondialisation et les évolutions de l'Europe vers davantage de libéralisme ont pour conséquence que la voix de la France pèse moins. Or, l'Europe a besoin d'une France qui aille bien, et la France a besoin d'une Europe dont la gouvernance s'améliore.

 

Trois scénarios sont possibles pour l'Europe : une nouvelle crise, un lent déclin, ce qui ne serait guère mieux, ou un sursaut grâce à une gouvernance recentrée sur la zone euro. Ce dernier scénario vous paraît-il crédible ?

 

C'est non seulement crédible, mais indispensable. La zone euro doit être identifiée par un ministre des Finances avec de vraies marges de manœuvre, et il est important que ça aille vite. Il faut avancer au second semestre de 2014, après les élections européennes, pour être en situation d'agir au début de 2015 quand la nouvelle Commission sera nommée. L'euro reste une devise très importante qu'il faut bien contrôler, comme l'a fait Mario Draghi en stoppant sa progression face au dollar, qui nuisait à la compétitivité. La France et l'Allemagne ont un rôle central à jouer, mais c'est du donnant-donnant.  Il faut que la France fasse davantage de réformes structurelles en échange d'une trajectoire de redressement plus souple. Je n'ai jamais été un fétichiste des 3% du PIB. L'important est que la France redresse ses comptes publics à un rythme adapté à la conjoncture pour diminuer sa dépendance à l'égard des marchés financiers. De son côté, l'Allemagne doit assouplir sa trajectoire et mettre en place davantage d'intégration et de fédéralisme.

 

L'Etat récupère 80% du résultat de la Caisse des dépôts. Cette contribution ne réduit-elle pas votre capacité d'investir pour l'économie française ?

 

Nous sommes le premier instrument public de soutien à l'économie et le premier investisseur institutionnel dans les entreprises. Nous sommes le financeur de logements le plus important, avec cette année 110 000 logements sociaux. Depuis la faillite de Dexia, dont nous avons repris une partie des engagements, la CDC est redevenue le premier financeur à long terme des collectivités locales. Nous avons signé des accords avec des fonds souverains étrangers pour qu'ils investissent en France, en créant une filiale spécifique, CDC International Capital. Nous avons retrouvé le niveau de fonds propres d'avant-crise, c'est-à-dire près de 28 milliards d'euros. Mais il est important qu'on puisse accroître ces fonds propres. Nous souhaitons donc trouver avec l'Etat de nouvelles règles de distribution des résultats, de manière à nous permettre d'intervenir davantage pour le développement économique.

 

On reproche souvent à la CDC de mélanger les genres, entre ses missions d'intérêt général et celles où elle concurrence le secteur privé.

 

Je refuse ce procès car les activités de la CDC sont très nettement séparées les unes des autres. Nous avons des filiales concurrentielles, qui interviennent comme les sociétés privées, pas davantage. Dans le logement avec Icade qui est cotée. Dans le tourisme  avec la Compagnie des Alpes qui est une filiale de la CDC. Nos interventions sont toujours des co-investissements avec des partenaires privés. Nous respectons le principe de concurrence et travaillons dans des conditions d'équilibre.

 

Vous avez déclaré qu'il faut débarrasser la Caisse des dépôts de « ses féodalités » dans sa gouvernance interne. Où en est-on ?

 

La CDC a besoin de davantage de transversalité, d'intégration, et de meilleures relations avec les ministères publics. Ce n'est pas facile. Je m'y atèle comme certains de mes prédécesseurs pour créer un organe plus resserré et plus efficace.

 

La Banque publique d'investissement (BPI) a un an. Quel bilan faites-vous  ?

 

Le bilan de cette première année est très bon puisqu'il y a eu près de 80.000 entreprises en France qui ont été accompagnées. Le rôle de Bpifrance est désormais reconnu au service de l'économie et de l'emploi et en ce qui me concerne j'ai le sentiment du devoir accompli. Pour la nouvelle étape de Bpifrance, il est bon qu'il y ait une nouvelle équipe.

 

Sur le rachat de SFR, Vivendi a finalement choisi Numericable alors que vous souteniez le projet de Bouygues. Cela change-t-il quelque chose à votre souhait de voir le marché des télécoms  revenir à trois opérateurs ?

 

Sur SFR, ma vision était à la fois industrielle et patrimoniale. Nous allons vers une consolidation des opérateurs de télécoms en Europe. Pour que l'Europe soit compétitive au niveau international, il faut diminuer le nombre d'opérateurs pour les renforcer. Je suis favorable à un retour à trois opérateurs en France. Je n'ai pas eu l'impression d'une amélioration de la qualité du service, ni d'un impact significatif sur l'emploi depuis que le marché s'est ouvert.

Il n'y avait aucune main cachée de l'Etat derrière la prise de position de la CDC pour la solution Bouygues. La CDC est actionnaire à la fois d'Orange, de Vivendi et de Bouygues. Sur le plan patrimonial, la solution Bouygues Télécom-SFR était celle qui nous convenait le mieux et nous avions l'accord de toutes nos instances de gouvernance pour un investissement qui représente pour la Caisse 300 millions d'euros, ce qui est en pourcentage dans nos normes d'intervention. Vivendi a choisi de faire affaire avec Numéricable. Nous avons pris acte vendredi dernier de cette décision.

 

Allez -vous céder des participations non stratégiques, comme celle dans Valeo ou Veolia environnement. La CDC a-t-elle vraiment l'intention de se désengager de Veolia ou s'agit-il surtout d'un moyen de pression dans le dossier SNCM ?

 

La rotation de nos portefeuilles d'actions fait partie de l'ordre naturelle des choses. Mais elle n'intervient que lorsque notre présence au capital n'est plus stratégique. C'est le cas pour Valeo. Pour Veolia, nous ne sommes pas pressés. Sur la base d'accords très clairs, l'Etat et Veolia sont responsables de la SNCM, pas la Caisse des dépôts. Nous pouvons avec Bpifrance accompagner le financement de nouveaux navires, nous y réfléchissons. Mais nous ne pouvons payer les 440 millions d'euros d'amende réclamés par Bruxelles, c'est aberrant.

 

Dans le très haut débit, la CDC envisage de créer une filiale avec Orange. Un rapprochement entre Numéricable et SFR ne permettrait-il pas d'accélérer la mise en œuvre du très haut débit en France ?

 

C'est Orange, dont je le rappelle nous sommes actionnaires, qui est venu nous proposer ce projet. Il est à l'étude. Le très haut débit fait partie des infrastructures que l'Etat doit mener en priorité, avec des leviers d'endettement les plus faibles possibles. L'Etat et les opérateursdoivent investir 35 milliards d'euros d'ici à 2025, ce qui nécessite une stratégie très claire lisible pour les collectivités locales.

 

Comment se positionne la CDC vis-à-vis de secteurs d'avenir comme la silver économie, l'e-santé et le développement des start-ups ?

 

Ce sont des priorités. Nous intervenons très fortement sur la biotechnologie, l'e-santé, nous travaillons à développer les logements connectés pour aider les personnes âgées et dépendantes car il s'agit d'un enjeu de société. En ce qui concerne les start-ups et les PME, nous avons créé avec Bpifrance un fond spécifique pour les aider à se financer.

 

La CDC revient en force dans le financement des collectivités locales, avec la Banque postale. Quelles ambitions avez-vous dans le financement des infrastructures et des investissements locaux, qui représentent la majorité de l'investissement public ?

 

Lorsque Dexia a coulé, personne ne se précipitait pour prendre sa place. Nous avons joué notre rôle de soutien à l'économie. Nous proposons aux collectivités des investissements à long terme, de 20 à 40 ans, jusqu'à 100% du financement. Les projets locaux pour les petites communes représentent 60% des prêts sur l'enveloppe de 20 milliards d'euros que nous avons mis en place.

 

Pensez-vous qu'il y a trop de collectivités locales et qu'il faut supprimer un niveau ?

 

Dans la culture, le développement économique, les équipements ou encore l'éducation, il y a aujourd'hui une superposition de compétences qui nuit à l'efficacité du système. Entre l'Etat, la région, le département, la métropole, l'agglomération, la communauté de communes et la commune, on s'y perd. Il faut clarifier et simplifier ce mille-feuille, comme le chef de l'Etat s'y est engagé.

 

L'un des plus grands projets d'investissement français est le Grand Paris. Comment la Caisse des dépôts va-t-elle y participer ?

 

Le Grand Paris est essentiel pour concurrencer les autres grandes métropoles mondiales. La CDC vient de signer une convention avec la Société du Grand Paris. Nous aidons au maillage des infrastructures en co-finançant le réseau Charles de Gaulle Express. Nous sommes aussi prêts à financer les nouveaux tramways aux technologies ultra-modernes, et à aider le développement de Paris-Saclay pour constituer un pôle intellectuel et universitaire puissant, de nature à rivaliser avec ceux des autres métropoles. Nos partenaires, notamment les fonds souverains, montrent un grand intérêt pour le Grand Paris. Nous pouvons les amener à investir. En tant que principal acteur foncier d'Ile-de-France, la CDC a les moyens d'aider à la modernisation du territoire. C'est un projet extrêmement enthousiasmant.