Les défis de l'économie russe après la crise du Caucase

Par latribune.fr  |   |  775  mots
Par Jacques Sapir, directeur d'études en économie à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales).

Le conflit en Ossétie du Sud suscite des interrogations quant à ses conséquences sur l'économie russe et l'on affirme que les marchés financiers auraient "puni" la Russie. En fait, entre le 8 août et le 5 septembre 2008, 24 milliards de dollars sont sortis de Russie. Les réserves de la banque centrale ont été ramenées de 582 à 573 milliards de dollars. Seuls 15 milliards peuvent être considérés comme des "retraits". Une partie correspond à une réaction face à la guerre, une autre à la nécessité pour des institutions financières américaines de rapatrier des fonds en raison de la crise financière. Le reste provient d'entreprises russes qui ont remboursé des emprunts arrivant à échéance.

La Bourse de Moscou a aussi connu des fluctuations importantes, mais il s'agit d'un marché très étroit, dont les fluctuations ne sont pas représentatives. De plus, la Bourse ne joue pas un rôle important dans le financement des entreprises. Le rouble a aussi baissé, le taux de change passant de 23,5 roubles pour 1 dollar à 25,3 roubles. Cependant, cette évolution améliore la compétitivité des producteurs russes et favorise les entreprises exportatrices, dont les revenus sont en dollars et les coûts en roubles.

On ne peut donc prétendre que l'économie russe ait souffert du conflit en Ossétie du Sud. L'économie russe reste extrêmement saine. La croissance du PIB au premier semestre 2008 a atteint 8,2% (8,4% pour l'industrie manufacturière et 22% pour l'automobile) et celle de l'investissement 17%. L'inflation connaît un début de décélération par rapport au printemps et le revenu réel des ménages a augmenté de 8,1%. Les fondements de la croissance russe restent la forte demande intérieure et l'important investissement. Les entreprises russes affichent des profits substantiels et la productivité du travail augmente de manière sensible. Cependant, depuis mai 2008, l'activité ralentit légèrement et la croissance du second semestre devrait être plus faible que celle du premier.

La principale raison réside dans la difficulté des banques et des entreprises russes à lever les fonds nécessaires à la poursuite d'une expansion rapide dans le contexte d'une crise financière internationale qui s'aggrave. Cette dernière est le véritable problème et non la conséquence de la guerre en Ossétie du Sud. Le talon d'Achille de l'économie russe reste la faiblesse de son secteur bancaire. Les banques jouent un rôle plus important pour le financement du fonds de roulement des entreprises que dans celui de l'investissement. De plus, les banques russes manquent de moyens pour porter la croissance de l'activité. Elles ont tendance à se refinancer sur les marchés financiers internationaux, mais ces derniers se sont asséchés brutalement depuis la fin de 2007.

Les grandes entreprises russes doivent elles aussi désormais affronter les effets du credit-crunch des places financières internationales. Les premiers effets ont été sensibles dans le compartiment spéculatif de l'immobilier russe. Les mises en chantier de logements à Moscou et Saint-Pétersbourg se sont fortement contractées depuis janvier 2008. Cependant, il faut souligner que dans les provinces, où l'activité n'est pas spéculative, la situation reste très favorable. La construction progresse ainsi au premier semestre 2008 de plus de 70% à Ivanovo, Yaroslav et dans les régions du Caucase du Nord, à plus de 20% dans de nombreuses autres.

Pour que la province puisse prendre le relais de la capitale, il faut cependant s'attaquer aux problèmes de financement que l'économie russe affronte aujourd'hui. Une restructuration du système bancaire autour des grandes banques publiques récemment mises en place pourrait permettre une réforme des banques russe garantissant la poursuite de la forte croissance.

Le gouvernement devrait alors engager de manière plus forte les réserves considérables accumulées dans le Fonds de stabilisation. La création d'agences publiques de développement, ciblant les grandes infrastructures, l'efficacité énergétique et la modernisation des PME-PMI, contribuerait ainsi à maintenir l'investissement à un niveau élevé, tout en l'orientant vers une meilleure efficacité économique. Une telle initiative doit s'accompagner de garanties de la solvabilité des ménages, et en particulier les plus pauvres.

Un renforcement de la politique sociale, dont l'Etat a aujourd'hui tous les moyens, constituerait un puissant soutien indirect à la consommation. Une forte croissance, au-dessus de 7% par an, est à la portée de la Russie, si les autorités consolident ses deux piliers, soit l'investissement et la demande intérieure. Tel est le défi qui attend le nouveau Premier ministre, Vladimir Poutine. Telle pourrait être la meilleure réponse à ceux qui craignent (ou secrètement souhaitent) que le conflit en Ossétie du Sud ne compromette la croissance.