"La Suisse n'est pas un paradis fiscal"

Par Propos recueillis par Romaric Godin, correspondant permanent de La Tribune en Allemagne  |   |  1031  mots
Une semaine après avoir élargi sa coopération internationale sur le plan fiscal aux cas d'évasion fiscale, la Suisse n'a pas encore échappé à la pression internationale. Le ministre des Finances allemand, notamment, Peer Steinbrück, a critiqué l'attitude de la Suisse en matière d'évasion fiscale. Dans un entretien accordé à La Tribune, la conseillère fédérale (ministre) suisse aux affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, explique que les propos de Peer Steinbrück ont tendu les relations entre les deux pays. Elle refuse également l'idée que la Suisse soit un "paradis fiscal" et puisse, à ce titre, figurer sur une quelconque liste noire.

La Tribune : Jeudi, le ministre allemand des Finances, Peer Steinbrück, a répété que la Suisse "invitait des étrangers sur son sol pour échapper aux lois de leurs pays". Comment réagissez-vous à ces propos qui font suite à d'autres critiques de votre pays?

Micheline Calmy-Rey : Ce genre de déclaration perturbe les relations bilatérales germano-suisses. Les liens entre l'Allemagne et la Suisse sont très forts: de nombreux frontaliers allemands viennent travailler en Suisse chaque jour, en 2008, près de 3.500 Allemands se sont installés chaque mois dans notre pays et l'Allemagne est notre premier partenaire économique. Ces propos sont inacceptables, méprisants et irrespectueux tant sur le fond que sur la forme. Nous avons fait un pas important dans le sens d'une coopération internationale accrue sur le plan fiscal et nous étions en droit d'attendre une autre réaction de la part d'un pays qui bénéficie beaucoup de ses relations avec la Suisse.

La décision du Conseil Fédéral d'élargir la coopération internationale aux cas d'évasions fiscales exige la renégociation des conventions de double imposition. La renégociation avec l'Allemagne est-elle retardée ?

Nous avons 74 accords de double imposition à renégocier et nous devons étudier dans quel ordre nous allons procéder. Je peux cependant vous confirmer l'engagement pris par le Conseil fédéral de modifier rapidement les conventions de double imposition.

Mais l'Allemagne est un partenaire important de la Suisse...

Oui, mais les déclarations polémiques de son ministre des Finances n'aident pas à engager les discussions. L'indignation est très vive en Suisse : je reçois de nombreuses lettres de citoyens helvétiques et d'Allemands vivant en Suisse qui se disent scandalisés. Une discussion aujourd'hui se produirait dans un contexte difficile.

Cela signifie-t-il qu'aujourd'hui, le peuple suisse pourrait rejeter un accord renégocier avec l'Allemagne?

C'est précisément à cela que je fais allusion. Les déclarations du ministre des finances sont dès lors certainement contreproductives.

Vous étiez mercredi à Paris pour rencontrer Bernard Kouchner et Eric Woerth. Comment ont-ils accueilli l'initiative de votre gouvernement en matière fiscale ?

Les deux ministres m'ont assurée qu'ils étaient satisfaits de la décision du Conseil fédéral. Je les ai informés de mon côté de notre volonté de concrétiser cette décision le plus rapidement possible. Lorsque la Suisse prend un engagement, elle le tient.

La France a gelé la convention de double imposition signée en janvier. Cela annonce-t-il une renégociation rapide ?

Cette convention a été amendée récemment. Elle n'était pas été transmise au Parlement en France et le gouvernement français a annoncé qu'il ne la présenterait pas afin de pouvoir y intégrer au plus vite la décision du Conseil fédéral. En revanche, cette convention est déjà devant le Parlement suisse. Nous devons donc réfléchir ensemble aux modalités techniques à employer pour cette renégociation.

Les relations franco-suisses sont donc bonnes ?

Oui. Nous avons avec la France des relations intenses et dynamiques. La balance commerciale est favorable à la France, les investissements suisses en France représentent 31 milliards de francs suisses et les entreprises suisses en France comptent environ 163'000 places de travail, et, par exemple, le canton de Genève rétrocède chaque année près de 200 millions d'euros à la région française entourant Genève.

Revenons à Peer Steinbrück. Sa volonté est d'obtenir un échange automatique d'informations. Cette procédure est-elle pour vous envisageable ?

Nous avons déjà réalisé un pas très important en élargissant la coopération internationale à l'évasion fiscale. Un échange automatique d'informations n'entre pas en compte.

Mais n'êtes-vous pas encore menacés de figurer sur une liste noire du G 20 ?

J'ai appris avec beaucoup de satisfaction que le Premier ministre britannique, Gordon Brown, a assuré à mon collègue Hans Rudolf Merz samedi qu'il fera son possible pour que la Suisse ne figure pas sur une quelconque liste noire de paradis fiscaux. La Suisse n'est pas un paradis fiscal. Nous coopérons en matière fiscale, nous avons une des législations les plus sévères du monde sur le blanchiment et nous sommes un des rares pays à restituer l'argent des potentats. Le Nigéria, par exemple, a reçu 500 millions de dollars détournés par son ancien dictateur, Sani Abacha. Avec notre décision d'élargir  l'entraide administrative à l'évasion fiscale, nous nous conformons aux standards de l'OCDE et nous n'avons donc aucune raison de figurer sur une liste noire.

Quelle est votre réaction à l'existence d'une liste de travail comportant la Suisse au sein de l'OCDE ?

Cette liste a été portée à notre connaissance jeudi 12 mars. Ces méthodes de travail de la part d'une organisation à laquelle nous appartenons sont inacceptables et ma collègue Doris Leuthard, ministre de l'Economie, a d'ores et déjà réagi.

Avec cette décision, la Suisse n'a-t-elle pas mis en danger la position concurrentielle de sa place financière ?

Le secret bancaire demeure, comme devoir de confidentialité du banquier. Nous modifions seulement les modalités de la levée de ce secret : elle sera désormais possible en cas d'évasion fiscale et la distinction entre évasion et fraude n'aura plus cours pour les non résidents. C'est une décision que nous avons prise en même temps que d'autres places financières qui se sont également engagées à respecter les standards de l'OCDE. Ce que nous souhaitons, c'est qu'un certain nombre de conditions cadres soit unifiées pour les places financières les plus importantes.

Pensez-vous pouvoir avancer sur la question des trusts anglo-saxons et des places financières britanniques et américaines qui pourraient concurrencer par des pratiques moins strictes la Suisse ?

Cela fera partie des thèmes que nous aborderons dans le cadre des renégociations bilatérales des conditions de double imposition.

La stratégie suisse n'a-t-elle pas été considérée comme un signe de faiblesse ?

Je crois qu'elle était la bonne. Notre position s'en trouve renforcée pour obtenir des conditions cadres unifiées sur l'ensemble des places financières.