"L'aide publique donnée à l'Afrique constitue une rente"

Dambisa Moyo, auteur de "L'aide fatale", d'origine zambienne, est diplômée de Harvard et d'Oxford. Elle a travaillé à la Banque mondiale et chez Goldman Sachs. Le magazine Time l'a comptée parmi les cent personnalités les plus influentes du monde en 2008.

Dans votre livre, vous défendez l'idée que l'aide à l'Afrique est en partie responsable des problèmes de développement. Pourtant, le plan Marshall a été très efficace pour relever l'Europe de la Seconde guerre mondiale.....
Le plan Marshall était différent de l'aide accordée depuis près de cinq décennies à l'Afrique. Ce plan de 100 milliards de dollars était très ciblé et portait sur une période de cinq ans. En Afrique, il n'est pas question de sortir de l'aide qui est perçue comme une ressource permanente par les Etats récipiendaires. Cela permet à de nombreux gouvernements africains d'abdiquer leurs responsabilités puisqu'ils savent que d'autres financeront l'éducation, la santé ou les infrastructures nécessaires au décollage économique de leur pays.

Pourquoi l'aide ne marche pas ?
Au cours des cinquante dernières années, les pays riches ont déversé 1.000 milliards de dollars d'aide à l'Afrique. Pour quel résultat ? La croissance est moins forte et la pauvreté n'a cessé de grimper. Aujourd'hui, plus des deux tiers des Africains vivent avec moins d'un dollar par jour. L'aide des grands bailleurs de fonds, qu'il s'agisse de la Banque mondiale, des agences de développement ou encore de l'aide bilatérale, nourrit la corruption, alimente l'inflation, mine les services publics. Aux Etats-Unis, un slogan affirme qu'il ne peut pas y avoir d'impôts sans représentation. En Afrique, c'est l'inverse. Les populations ne sont pas représentées car elles ne payent pas d'impôt. Nicolas Sarkozy se soucie de savoir ce que les Français veulent car il sait que l'action de gouvernement dépend de sa capacité à lever l'impôt. Les pays africains dépendant de l'aide n'ont pas à s'inquiéter de ce que souhaite véritablement la population puisque leurs ressources dépendent d'impôts levés à l'étranger.

Selon vous, la démocratie n'est pas indispensable au décollage économique, un dictateur éclairé serait parfois préférable...
Les parcours de la Chine, de Singapour ou encore du Chili illustrent le fait que la démocratie n'est pas un préalable au développement économique. Pas question pour moi de faire l'apologie de la dictature ou des régimes autoritaires. Mais la démocratie est un régime politique qui ne peut que se développer qu'avec l'émergence d'une classe moyenne en position de demander des comptes au pouvoir. Les pays occidentaux ont d'ailleurs pris acte de l'échec de la démocratie dans de nombreux pays africains. Au Kenya ou au Zimbabwe, la communauté internationale s'est efforcée de rapprocher la majorité et l'opposition pour qu'ils exercent le pouvoir ensemble. Il n'y a plus aujourd'hui d'opposition au Zimbabwe.

Que faire ?
L'aide des pays riches n'a jamais permis de sortir un pays de la pauvreté. Elle est un obstacle au développement car elle constitue une rente au même titre que le pétrole ou d'autres matières premières. C'est une incitation à ne rien faire pour améliorer l'environnement économique. Regardez le rapport annuel de la Banque Mondiale, "Doing Busines". Année après année, il montre que c'est en Afrique que l'environnement des affaires est le plus compliqué. Aussi longtemps que ces pays recevront de l'aide, ils n'ont aucune incitation à mettre en ?uvre les réformes nécessaires.

Ne peut-on pas expliquer les difficultés du continent par la période coloniale ?
Combien de temps faudra-t-il attendre pour ne plus recourir à cette explication ? Cent ans ? Cela n'a rien à voir. La Chine, l'Inde, l'Indonésie ont été colonisés. Cela ne les empêchent pas de se développer rapidement aujourd'hui.

Si l'aide est un échec, pourquoi les pays riches continuent de déverser autant d'argent en Afrique ?
Il faut souligner le poids des valeurs religieuses imprégnant le champ politique. Il y a comme un impératif moral pour les pays riches à aider les pays pauvres. Or, c'est une erreur de penser que le seul moyen d'aider l'Afrique est de l'assister financièrement. Les économies africaines tireraient un bien meilleur avantage d'une ouverture du marché européen à ses produits, notamment agricoles. Mais pour cela, il faudrait revoir la politique agricole commune (Pac) ce qui aurait pour conséquence de mettre les agriculteurs dans la rue et un grand nombre d'entre eux au chômage.

Que proposez-vous ?
Nous disposons de trois siècles d'expérience en matière de développement économique. Nous savons désormais ce qui marche et ce qui ne marche pas. La question qui se pose aujourd'hui est comment pousser les gouvernements africains à mettre en place les bonnes politiques. Il faut donc les préparer à la fin de l'aide. Les pays riches pourraient leur proposer un doublement de l'aide pendant dix ans avant d'y mettre un terme. Cela serait plus efficace que la perspective d'une aide permanente.

La Chine est de plus en plus présente en Afrique. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?

Elle n'est pas en Afrique par charité mais pour y faire des affaires. Les Chinois ne donnent pas leur argent sans retour. Ils y sont pour les ressources naturelles qu'il s'agisse du pétrole, du cuivre ou des terres arables. Mais les investissements chinois se diversifient très rapidement vers d'autres secteurs comme la banque. Les Africains ont besoin de travail. Est-ce que l'aide des pays riches a permis de créer les emplois dont les jeunes en particulier ont besoin ? La réponse est clairement non ! Les entreprises chinoises viennent parfois avec leurs propres salariés, mais elles ont contribué à créer de nombreux emplois. Une enquête réalisée par l'Institut Pew dans dix pays africains révèle que la Chine dispose d'une très bonne image en Afrique. Au Sénégal et au Kenya, par exemple, neuf personnes sur dix estiment qu'elle a une influence positive sur leur économie.

 

"L'aide fatale", éditions JC Lattès, 280 pages, 20 euros.

Commentaires 14
à écrit le 12/09/2019 à 12:38
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Moi Je Pense Que Si L'afrique Veux Se Developpé Au Lieu De Compté Sur L'aide Des Pays Riche Ferai Mieux De Copié Leur Stratégie De Developpement Que Sera Pas Mal Un Départ Exponentielle Ils Pouront Pas Exemple Suivre L'exemple Du Japon Malgré Leur Dé...

à écrit le 12/09/2019 à 12:37
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Moi Je Pense Que Si L'afrique Veux Se Developpé Au Lieu De Compté Sur L'aide Des Pays Riche Ferai Mieux De Copié Leur Stratégie De Developpement Que Sera Pas Mal Un Départ Exponentielle Ils Pouront Pas Exemple Suivre L'exemple Du Japon Malgré Leur Dé...

à écrit le 14/05/2010 à 9:23
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Brillante interview, même si l'oeuvre humaine est perfectible à l'infini ! Je reprends le proverbe qui dit "il vaut mieux apprendre à un homme à pêcher..." IMHO, je pense que le côté pervers de l'aide c'est l'opacité qui en entoure la gestion et non ...

à écrit le 24/04/2010 à 8:26
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lorsque l'on parle de l'aide publique pour l'afrique, deux camps s'affrontent:ceux qui sont pour la continuité et ceux qui dans un contexte mondialisé voient une autre alternative. Le diagnostic de part vet d'autre est pertinent. Mais, une chose est ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Encore un livre pour démobiliser les Africains sous le prétexte de les expertiser. A lire cette interview de l?auteur, on se dit que les recettes que propose son livre seront vaines sans une idéologie propre à chaque Etat africain soucieux de mob...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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J'oubliais de mentionner qu'un tel jugement sur l'Afrique ne pourrait publiquement être porté par un non-africain sans être aussitot taxé de racisme !!! Je ne cite pas certains de vos grands confrères de la presse française chez qui je serais "modéré...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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ça recommence , à lire OMENA c'est encore la colonisation qui est responsable, jamais les africains, le discours est bien rôdé !! il serait temps de considérer deux points essentiels et de repartir sur des bases saines : - l'occident ne va s'excuser...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Au lieu de se battre la coulpe pour une éventuelle culpabilité lors de la période coloniale, demandons plutôt des comptes à ces pays pour l'utilisation qui a été faite des milliards d'Euros que nous y avons envoyés pendant ses 50 dernières années. S...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je suis en partie d'accord avec cette analyse de la situation de l'Afrique. Cependant, je pense qu'il faut conditionner l'aide à l'Afrique aux reformes structures.son reforme il ne peut y avoir de développement.

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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je ne suis pas d'accord avec cet analyse , qui a guidé la main qui a tué lumbumba , plus recent kabila , je ne dirai pas les africains eux-même , le monde a changé et les pratiques d'hier ,continue. au moins la chine apporte un plus aux africains. ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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QUESTION : Que penser de la réaction me réfutant sur le thème de la responsabilité occidentale envers la situation africaine alors que je m'exprimais sur le thème de la mobilisation politique actuelle des Africans par eux-mêmes en signalant, parmi le...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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L'heure est enfin arrivée pour que les africains orientent leur destin. L'aide permanente aboutit à la dépendance et affecte l'autonomie des africains. Pourtant, par définition, une aide est un soutien passager. Quand elle devient permanente, elle se...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Pour avoir travaillé longtemps en Afrique, je sais parfaitement de quoi parle Madame Moyo. La dépendance à l'aide extérieure des régimes africains est telle que même les populations ont pris des habitudes d'éternels assistés. Dans les ministères, les...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Voilà enfin un discours intelligent sur l'Afrique !!! Dommage que cette interview ne soit pas lue par nos dirigeants bourrés de culpabilité entretenue par leur judéochristianisme et d'idées reçues... "Aide-toi, et le ciel t'aidera" !! Proverbe chinoi...

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