Début du G20 : le pronostic pessimiste d'un grand analyste

Par Propos recueillis par Eric Chalmet, à New York  |   |  1133  mots
« Le G20 n'empêchera pas une nouvelle crise de cette ampleur ». C'est l'analyse de Richard Bove, de Rochdale Securities, l'un des analystes bancaires les plus respectés à Wall Street, à retrouver ce jeudi dans La Tribune.

Pour avoir anticipé la crise du crédit, Richard Bove, de Rochdale Securities, a été consulté par la Maison-Blanche et les régulateurs de son pays. Il juge que les réformes prônées au G20 pèseront sur la reprise et n'empêcheront pas un futur krach.

La Tribune - Les gouvernements du G20 gèrent-ils bien la sortie de crise financière?

Richard Bove - Au quatrième trimestre de 2008, les gouvernements américain et européens ont pris des mesures très énergiques pour éviter que la crise se mue en dépression. Mais leurs objectifs de réglementation vis-à-vis de l'industrie bancaire vont aujourd'hui bien trop loin. Contrairement aux idées reçues, l'avidité des banquiers et les fraudes ne sont pas à l'origine de la crise des crédits « subprime ». Quand l'économie croît à un rythme très rapide pendant une période prolongée, elle développe des excédents de liquidités qui mènent à la spéculation, puis au krach. Ce fut le cas lors des crises financières des 400 dernières années et celle-ci n'est pas différente. Pas plus qu'ils n'élimineront les cycles, les gouvernements du G20 ne pourront éviter qu'une crise de cette ampleur se reproduise un jour. C'est impossible.

Pourquoi le Trésor américain a-t-il milité avant Pittsburgh pour des normes prudentielles plus restrictives que les Européens?

Parce que nos dirigeants sont populistes! Les autorités fédérales et les élus qui siègent à la commission bancaire du Sénat, que ce soit le démocrate Christopher Dodd ou le républicain Richard Shelby (qui avait mené la fronde contre le plan de sauvetage financier, Tarp), font preuve d'une incompétence inhabituelle en matière de banques. C'est aussi le cas du président et de son secrétaire au Trésor, Timothy Geithner qui, lorsqu'il présidait la Réserve fédérale de New York, a facilité tout ce qui allait mener le système bancaire dans le mur. Cet adepte de la dérégulation veut maintenant tout sur-réglementer en dupliquant des garde-fous existant déjà. En imposant aux banques des normes de capitalisation plus contraignantes, les pouvoirs publics vont pénaliser une reprise saine et pérenne de l'économie. Parmi les réformes proposées, celle inhérente aux normes prudentielles est la pire. En prenant une perspective historique, on observe que les banques américaines sont déjà surcapitalisées. Elles ont substantiellement renforcé leurs fonds propres, leurs liquidités, leurs provisions... du coup, elles ne prêtent plus d'argent !

Le G20 a-t-il raison de vouloir encadrer les bonus ? Sont-ils intrinsèquement dangereux pour le système financier?

Chaque travail mérite salaire ! Les modes de rémunération ne devraient pas du tout être réglementés. Les gouvernements du G20 sur-réagissent sur les bonus car ils sont incapables de réanimer l'économie. La structure des bonus n'est pas non plus responsable de la crise financière qui a eu lieu. Les Américains sont sous le choc de la récession mais chaque génération en connaît une, même si celle-ci est particulièrement sévère. Aux Etats-Unis, personne ne s'indigne du fait qu'en moyenne, un basketteur de la NBA gagne cinq millions de dollars par an, mais les gens sont furieux que, dans le même temps, un employé de Goldman Sachs touche en moyenne 800.000 dollars. C'est illogique.

Ben Bernanke assure que le « shadow banking system » (désignant les activités hors bilan et offshore des banques ainsi que les acteurs para-bancaires tels les hedge funds) ne regagnera pas sa taille d'avant la crise. Le croyez-vous?

Il a tout faux. La masse monétaire combinée de l'Europe, des Etats-Unis, du Japon et de la Chine s'élève à 40.000 milliards de dollars. Si les pays du G20 augmentent les ratios de solvabilité des banques tout en en faisant tourner la planche à billet, où vont aller les excédents de liquidité sinon vers le « shadow banking system »? Il ne va pas se contracter mais au contraire se développer. Pour vous en convaincre, vous n'avez qu'à regarder le rendement des « junk bonds », qui est revenu au niveau précédant la chute de Lehman Brothers. L'aversion au risque a disparu: le marché du papier commercial s'ouvre à nouveau, les introductions en Bourse ont lieu à un rythme soutenu en Chine... espérons que les opérations de marché soient organisées de manière plus scrupuleuse qu'il y a trois ans ! Je vous garantie que, d'ici à vingt ans, nous connaîtrons une crise financière de la magnitude de celle que nous traversons et qu'elle aura lieu pour des raisons analogues. Même le président Obama, lorsqu'il s'est exprimé à Wall Street, a reconnu que certaines habitudes d'avant la crise étaient de retour.

Malgré les efforts du G20, un retour des instruments toxiques est-il inéluctable ?

Des produits innovants continueront à être développés sur le « shadow banking market » et certains d'entre eux seront extrêmement dangereux. Mais nous sortons d'une récession majeure, les changements réglementaires sont en cours et les établissements financiers cherchent à renforcer leurs fonds propres. De fait, vous ne verrez vraisemblablement pas de produits aussi dangereux que la titrisation de crédits « subprime » se populariser d'aussi tôt. Toutefois, les choses évolueront certainement d'ici à quelques années. Les réformes qui ont eu lieu après les krachs de 1929 et de 1987 n'ont pas empêché que des bulles se forment quelques années plus tard.

La Fed devrait-elle assumer le rôle de régulateur du risque systémique ?

Non. La Fed ne devrait pas obtenir davantage d'autorité sur l'industrie bancaire. Elle dispose de pouvoirs qu'elle a délibérément choisis de ne pas employer avant la crise. Elle n'a, par exemple, rien fait pour davantage réglementer certains instruments financiers complexes. A quoi servirait de lui accorder des pouvoirs supplémentaires si elle n'en fait rien ?

Un an après la chute de Lehman Brothers, quelles sont les perspectives du secteur bancaire aux Etats-Unis?

Dans les six prochains mois, il est clair que les banques américaines vont présenter des résultats assez médiocres. Plus de 60% des banques régionales ne renoueront pas avec la profitabilité avant le courant 2010. D'ici là, les grandes banques dégageront des bénéfices mais seront, en majorité, plutôt proches de l'équilibre. Si vous vous projetez d'ici deux à trois ans, lorsque l'économie sera sortie de la récession, les pertes associées aux portefeuilles de créances auront significativement chuté et les bénéfices des banques doubleront, voire quadrupleront. Faut-il investir dans le secteur bancaire ? Oui, mais dans une perspective à long terme !