Aix 2010 : dix mesures pour une croissance européenne

Voici l'intégralité de la déclaration des Rencontres d'Aix du Cercle des économistes.

L?objet de cette Déclaration est de décrire et proposer les conditions dans lesquelles les pays de l?OCDE, et d?abord le continent européen, peuvent retrouver une place majeure dans l?économie mondiale dans les cinq prochaines années. Notre perspective résolument optimiste sur l?avenir de l?Europe ne va pas de soi. Pour atteindre cet objectif, il faudra bien plus que des déclarations, il faudra un investissement humain et capitalistique sans précédent. Et puis, sans tomber dans une vision simpliste du développement durable, il est évident que l?Europe doit concentrer une partie de ses efforts sur des domaines qui, minoritaires aujourd?hui, ne le resteront pas et dans lesquels ses atouts de compétitivité de départ sont forts, les technologies et marchés du "green business".

Ne perdons pas cet avantage d?avoir perçu les premiers le poids de ces nouvelles contraintes environnementales et d?en avoir tiré un véritable leadership. En tout état de cause, le monde ne pourrait pas connaître de véritable développement si l?Europe, et a fortiori les Etats?Unis, étaient en panne de croissance.

Ne nous leurrons pas, la crise est loin d?être surmontée, et le débat économique se focalise à juste titre sur les différentes voies possibles de sortie. Néanmoins, les trois prochaines années sont, d?abord et avant tout, les premiers maillons d?une nouvelle forme de croissance. Nous sommes confrontés à la plus forte rupture historique depuis un siècle, et les choix de politique économique définiront radicalement et durablement le chemin de la croissance. Au devant d?un tel enjeu, il est de la responsabilité des économistes de faire preuve d?audace intellectuelle, d?aider à concevoir un nouveau paradigme économique ayant pour composante importante le développement des technologies vertes, de dépasser les contradictions en conciliant croissance de qualité et croissance durable. Mais surtout, le rôle des économistes est de focaliser les énergies en montrant que la croissance est possible.

Le monde vit aujourd?hui d?illusions et d?idées reçues qui, prises au pied de la lettre, laissent entrevoir un avenir sombre :
? l?Europe se serait engagée sur la voie d?une marginalisation, nettement plus marquée au Sud qu?au Nord, liée à son vieillissement et à son impossibilité de trouver sa place dans la nouvelle division internationale du travail, et au fait que les niveaux d?immigration auraient atteint le seuil de tolérance ;
? l?orientation vers le court terme d?une part croissante de la finance serait inéluctable ;
? le monde se dirigerait vers une société où les innovations de biens et services ne joueraient plus le même rôle qu?au cours de deux derniers siècles ;
? les inégalités demeureraient à un niveau insupportable, conduisant à des difficultés sociales majeures dans les pays développés, aggravées par l?angoisse de la rigueur ;
? le continent africain, laissé pour compte de la croissance mondiale, n?aurait que peu d?avenir ;
? les grandes zones monétaires seraient condamnées à vivre avec la persistance des déséquilibres globaux sur le long terme, notamment commerciaux, synonyme d?une difficulté à gérer l?explosion des liquidités monétaires à l?échelle mondiale, dont on sait qu?elle est à l?origine de la crise ; les taux de change ne seraient que des variables de second ordre, idée renforcée par le silence jusqu?à présent du G20 sur ce sujet ;
? on ne peut rien faire contre la volatilité des flux de capitaux et contre la succession de bulles financières ;
? le progrès technique et la prise en compte de l?environnement sont contradictoires et la solution choisie ne peut finalement qu?être un compromis médiocre.
? la zone euro ne fonctionnerait que dans une vision uniforme des modèles socio?économiques tant sur les plans des secteurs d?activité que sur les plans des institutions.

Si elles se confirmaient, ces évolutions convergeraient vers un tarissement, à horizon cinq ans, de la croissance mondiale. Cette dernière ne peut s?appuyer, sans tensions graves, sur une moitié du monde en rattrapage rapide et une autre en quasi?stagnation. Si l?on ne s?attelle pas dès aujourd?hui à penser la croissance de demain, les prédictions des Cassandre ont les plus grandes chances de se réaliser.

C?est pour cette raison que le Cercle des Economistes s?est emparé cette année, dans la poursuite de ce qu?il a développé dans les quatre dernières Rencontres, de ce sujet très prospectif mais pour autant très réaliste. Réalisme c?est revenir à l?essentiel, c?est à dire au grand marché européen, mais
qui suppose de la diversité et de la solidarité car les différentes parties de la zone sont confortées dans l?utilisation de leurs avantages comparatifs par la stabilité du change. Ceci inclut obligatoirement des équilibres intra?union de flux commerciaux et des transferts de financement.

I. Les risques pour l?Europe du nouvel ordre mondial

Le modèle du capitalisme mondialisé et financiarisé qui a triomphé au tournant du millénaire arrive à bout de souffle. Des forces tectoniques telles que :
? la démographie, avec le vieillissement des populations selon une chronologie à peu près définie (d?abord les pays avancés puis les pays émergents)
? l?épuisement des matières premières qui sont au fondement de la société de consommation actuelle modifient inéluctablement la donne. Le monde change radicalement, des centaines de millions de nouveaux individus vont rattraper le rythme et le mode de consommation des pays développés, rendant la trajectoire actuelle de croissance non soutenable.

Compte tenu de ces forces tectoniques, six menaces majeures planent sur le modèle de croissance européen de demain. En réalité, les changements ont lieu simultanément à l?échelle du monde et au coeur de l?organisation sociale de chaque zone et de chaque pays.

1) Les risques de non croissance
Un monde qui n?innove plus et qui converge vers la non croissance est un monde qui se meurt. Même si les constats de Malthus sont plus que jamais d?actualité, nous rejetons vigoureusement ses préconisations. La vieille antienne malthusienne, la décroissance, ne prend pas en compte les
centaines de millions d?individus sortis de la pauvreté par le progrès technique.

Il est indispensable de sortir d?une vision simpliste: la croissance n?est pas ennemie de l?environnement ou de l?écologie. Il faut croire au progrès technique, seule réponse au défi de comment concilier une croissance durable et de qualité, et ne pas voir l?industrie seulement par le prisme de la pollution et des délocalisations. Sortir de la logique malthusienne est une condition sine qua non pour augmenter la croissance potentielle malgré la dynamique démographique défavorable.
 

Mais il y également les risques liés aux déséquilibres environnementaux et aux tensions sur les ressources rares. Le sommet de Copenhague a été le théâtre des égoïsmes. Le Sud veut de l?argent, le Nord ne veut pas sacrifier son confort, et l?Union européenne malgré sa bonne volonté n?a pas été capable de faire avancer.

2) Les risques d?un monde financiarisé, favorisant les investissements à court terme et donc soumis au risque de ralentissement du progrès technique

La réforme de la régulation financière n?y changera rien : le monde reste régi par les comportements court?termistes de la sphère financière, et le risque systémique n?est pas correctement internalisé. Le capital humain reste attiré par ces métiers, et l?objectif de remettre la finance au service de l?économie réelle n?a jamais aussi été éloigné.

Au?delà des inégalités qui résultent de l?hypertrophie financière, un danger autrement plus préoccupant apparaît sur le long terme avec un tel modèle économique : le fait d?attirer un nombre excessif de talents dans ce secteur est porteur d?une mauvaise allocation des ressources et d?un ralentissement net du progrès technique.

3) Les risques d?une rigueur mal pensée
Une rigueur mal conçue et mal coordonnée pourrait abaisser une croissance potentielle déjà faible dans les scénarios au fil de l?eau. Il serait notamment dangereux de diminuer les dépenses d?éducation, d?infrastructure numérique et/ou d?augmenter significativement la taxation du travail.

4) Les risques liés à la dislocation des modèles sociaux existants
C?est le risque clef pour l?Europe. Seules les puissances publiques nationales ont la capacité d?accompagner la transition sur le plan social. La crise révèle aussi les pathologies sociales du monde actuel : le surendettement des ménages camoufle la fulgurante montée des inégalités, le monde du travail s?est dangereusement bipolarisé entre emplois stables qualifiés et emplois précaires de service. Plus fondamentalement, il s?agit de redonner aux classes moyennes le sentiment d?un niveau de vie satisfaisant avec de vraies perspectives. Cela passera obligatoirement par une réorganisation de l?Etat, par une hausse des prélèvements qui ne pénalise pas le travail et par une traque aux rentes de situation, dans des industries comme la finance ou l?extraction des matières premières.

5) Les risques d?une externalisation excessive des moteurs de la croissance
On ne peut pas se fier à la croissance débridée des pays émergents, "Bric" en tête, et croire que l?économie mondiale a trouvé en eux le nouveau relais de croissance et de progrès technique tant attendu. Ces économies sont encore largement des économies d?imitation, en phase de rattrapage accéléré des niveaux de richesse occidentaux, et ce modèle économique ne peut porter seul en germe les ressorts de la croissance de long terme.

6) Les risques d?un tête à tête Etats?Unis / grands pays émergents
La bataille économique a déjà commencé sur le terrain des taux de change, en attendant la course aux ressources minières et le protectionnisme commercial. A coup sur elle se poursuivra pour la captation de l?épargne de long terme.

A Copenhague le G2 a triomphé de l?Europe. Mais l?équilibre à deux est toujours instable et conduirait à une croissance insoutenable, d?autant que l?Europe rapidement comme le responsable d?une croissance mondiale déséquilibrée. A la question de savoir s?il est plus probable d?assister à une coopération qu?à la guerre, on ne peut faire preuve d?excès de prudence. L?avenir sera certainement non coopératif. Il faut s?attendre à une cohabitation chaotique entre une croissance douce, équilibrée, égalitaire et décentralisée dans les pays avancés et une croissance de rattrapage forte, déséquilibrée, centralisée et inégalitaire dans les pays émergents suscitant la volatilité des flux de migrants et de capitaux. La bataille économique a déjà commencé sur le terrain de la monnaie et on peut prédire qu?elle va se poursuivre pour la captation de l?épargne de long terme.

Quelle utilité dans ce cadre pour le G20 ? Une gouvernance mondiale et une gestion collective des problèmes mondiaux paraissent quelque peu utopiques au vu des derniers G20. Cela dit, le G20 est un apport majeur de ces deux dernières années car il situe les décisions dans le cadre d?une vision globalisée de l?économie. Il revêt en outre un rôle crucial dans cette période de transition.

II. Inventer la croissance de demain

Une fois affirmé notre espoir dans une croissance forte en Europe, tout reste à faire. Il y a en premier lieu un enjeu méthodologique. Les vocables croissance durable, croissance équitable sont si usités qu?ils ont perdu leur sens et sont devenus des concepts vides. Et puis, malgré les enjeux environnementaux et du réchauffement climatique, nous ne pouvons nous satisfaire d?une croissance "low cost". Une économie trop tertiarisée se développe principalement
sur des emplois peu qualifiés aux salaires moyens faibles.

En fait, il nous faut déterminer les secteurs et les acteurs porteurs de cette nouvelle croissance.

1) Des nouveaux secteurs
En termes sectoriels, nous pouvons énumérer certains moteurs de cette croissance, étant bien
entendu que le contenu s?entend en termes industriels qu?en termes de services :
a. "Green business" : énergie dé?carbonée, transports et bâtiments verts.
b. Economie des seniors : la bio?ingénierie au service de la santé, sciences du vivant.
c. Société numérique, les nanotechnologies, la robotique.
d. Repenser aussi les processus de production pour les rendre plus économes en
matières premières.
e. Agronomie et hydraulique pour répondre à la limitation des terres arables.
Mais les premières estimations quantitatives du potentiel en croissance et en emploi de ces
nouveaux secteurs indiquent qu?ils sont trop limités et pauvres en emploi pour suffire à tirer la
croissance mondiale de demain. Des ruptures technologiques sont donc indispensables dans tous ces
domaines pour concilier croissance durable et de qualité.

2) Des ruptures dans les "business models"
Ces ruptures technologiques viendront probablement de l?hybridation des domaines scientifiques. Plus que les TIC qui sont désormais matures, des domaines comme les biotechnologies sont riches de promesse. Le développement scientifique rentre dans une phase de synthèse créative. Dans le même temps, nous voyons éclore des nouveaux modes de production et de consommation. La valeur client et l?interactivité (Web 2.0, société du quaternaire) sont les maîtres mots du marketing de demain. Cela s?accompagne logiquement de "business models" émergents, en particulier à l?interface industrie?services. Ces nouveaux business modèles posent aussi de nouveaux défis, comme les questions de la propriété intellectuelle, de la gratuité, de la protection de la vie
privée, de la sécurité et de l?accès des populations défavorisées ou périphériques dans un monde tout numérique.

3) Des contraintes à gérer
On a souvent été tenté d?opposer de manière un peu artificielle croissance de qualité à la Stiglitz et croissance durable à la Stern. Le seul sujet demeure de surmonter les trois contraintes que nous impose un monde à démographie galopante, en fait les trois raretés fondamentales : matières premières, épargne et qualification. Cela suppose d?inventer des technologies économes, d?orienter l?épargne vers les investissements de long terme socialement et économiquement rentables et de créer les formations adaptées aux métiers de demain.

4) Mettre en oeuvre une nouvelle politique industrielle
Les puissances publiques doivent activer des leviers précis pour stimuler les facteurs structurels de croissance : l?investissement productif et la productivité globale des facteurs (la R&D, l?innovation, la qualification). Il ne s?agit pas de promouvoir une politique industrielle tout azimut mais une politique sélective faisant le pari d?un petit nombre de secteurs d?avenir sur lesquels se concentrent les efforts de la puissance publique, éventuellement dans le cadre de partenariats public privé. Pour cela il est clair qu?il faut mettre en oeuvre une politique de la concurrence, fondamentale à l?époque de la création du grand marché commun, plus pragmatique, comme la doctrine américaine a su nous le montrer. Plus précisément il s?agit de s?adapter à la compétition mondiale, sans pour autant abandonner l?idée que certains secteurs génèrent des rentes difficilement justifiables. L?économie verte ne verra le jour que si les puissances publiques soutiennent les technologies propres dès aujourd?hui sans attendre une rupture technologique exogène qui diminuerait du jour au lendemain les coûts de l?énergie propre. La machine à innovation doit être amorcée par l?Etat, au moyen de subventions ou d?une fiscalité avantageuse au secteur vert, soigneusement calibrée pour vérifier les effets induits. Ce n?est qu?une fois que ce secteur aura rattrapé son retard technologique sur les industries polluantes que l?on pourra laisser les forces du marché décider de l?allocation des ressources.

Mais fixer des objectifs ne suffit pas. C?est ce qu?illustre l?échec de l?agenda de Lisbonne. Il faut catalyser l?effort de recherche par le lancement de grands projets. Diriger la recherche vers les secteurs moteurs de l?économie de demain, par des partenariats public privé et des plateformes technologiques pour définir l?agenda de recherche à long terme. Mais pour développer un système productif équilibré et solide, il faut évidemment solliciter deux politiques majeures : la politique de l?emploi et la politique fiscale. Pour la première, la contrainte majeure consistera à intégrer de manière massive les jeunes, les seniors et les populations immigrées. Quant à une politique fiscale de la production, elle suppose un choix : une subvention (au travers des baisses de charge) sur le travail qualifié ou le travail non qualifié ?

5) L?innovation au coeur de la croissance
Les ruptures technologiques entrainent des transformations très profonde de la société. C?est la raison pour laquelle la puissance publique en est évidemment partie prenante. On sait bien que les trajectoires technologiques peuvent être porteuses de croissance ou non. Le rôle des puissances publiques est non pas de fixer autoritairement les grands choix mais d?éclairer les multiples interactions que les technologies ont à terme les unes sur les autres. Orienter, diriger, le changement technique, par une fiscalité (taxe carbone) favorable à l?investissement dans les technologies propres et à l?innovation verte. Un Etat "amorceur".

6) Assurer les risques majeurs de long terme
Quel mode de financement pour la croissance de long terme et l?innovation de demain ? Les signaux prix ne suffisent pas pour attirer les investisseurs privés. Le ralentissement de l?innovation et l?absence criant de l?éclosion de technologie de rupture tient en grande part des problèmes de financement. C?est ce qu?illustrent les difficultés de structurer la filière industrielle autour de la voiture électrique. La mise en oeuvre de la nouvelle croissance ne pourra s?effectuer que si les investisseurs de long terme sont au rendez?vous. On touche là au défi du financement de cette croissance. L?Etat ne peut plus être l?investisseur de long terme de référence, mais il a un rôle dans la canalisation de l?épargne.

Il s?agit d?un renversement épistémologique : l?objectif n?est pas tant quantitatif que qualitatif. La guerre de l?épargne sera remportée si l?on réussit à orienter une épargne privée grandissante vers les investissements productifs de long terme économiquement et socialement rentables. Cela nécessite avant tout de réduire de manière déterminante la forte aversion au risque des capitaux actuels, à l?origine du raccourcissement de l?horizon de l?investissement privé. La puissance
publique doit être un facilitateur pour la canalisation de l?épargne dans l?investissement de long terme par le biais d?une allocation des risques de long terme repensée. C?est à la puissance publique, au travers de garanties et cautions, d?endosser les risques majeurs de long terme, celui?là même qui est responsable de l?envolée si paralysante du prix du risque.

Cette révolution intellectuelle serait in fine simplement le triomphe de la théorie standard de la gestion du risque telle qu?elle est pratiquée par les professionnels de l?assurance ? partage du risque entre assureurs et réassureurs. Aux marchés financiers d?absorber le risque marginal de courte et
moyenne période, à la collectivité de prendre en charge le risque résiduel, ce risque de long terme non diversifiable aux origines aussi multiples qu?imprévisibles, de nature économique, financier ou géostratégique. La puissance publique doit revêtir le rôle de réassureur de l?économie réelle.

III. Dix mesures pour bâtir une croissance européenne

Nos pays ont?ils encore un avenir ? Résolument oui. L?Europe n?a pas une vision objective ni de sa puissance ni de sa réalité. Première puissance commerciale du monde, elle a réussi à développer un marché unique de 500 millions de consommateurs, ce qui est une force incomparable. L?Europe est également une source d?innovation exceptionnelle, aujourd?hui insuffisamment utilisée, et possède des structures sociales exemplaires. Ces atouts doivent être mis au service d?une croissance dont le contenu se distingue significativement de ce qui existe ailleurs, notamment du modèle "technologie-services"
américain. Nous souhaitons conserver une base productive extrêmement solide. Ceci ne signifie pas une réindustrialisation uniforme, mais concentrée sur certains pays, et notamment la France qui a connu un des rythmes de désindustrialisation les plus forts. Sept thèmes apparaissent centraux, qui chacun suppose une vraie stratégie de rupture :
? Innovation et politique industrielle
? Education et qualification
? Financement de la croissance et régulation financière
? Croissance verte
? Politique macroéconomique
? Pacte social
? Coopération multilatérale.

Bien entendu, il serait irréaliste et peu efficace de détailler un catalogue de mesures, mais il est cependant indispensable d?illustrer l?absolue nécessité de changement radical dans les politiques européennes. C?est la raison pour laquelle le Cercle des économistes formule dix mesures pour permettre à l?Europe d?être un acteur clé de la croissance de demain :

1. Pour une politique industrielle centrée sur les secteurs porteurs de la nouvelle croissance.
Le terme de politique industrielle a beaucoup changé de sens au cours des années, c?est pourquoi il est important d?identifier les trois principes qui permettent de le définir rigoureusement et dans une perspective adaptée à la période. Il s?agit tout d?abord de préciser les secteurs à privilégier : la santé, l?énergie, les technologies vertes, les transports, le numérique et les nanotechnologies. Ensuite les domaines d?actions sont évidemment très diversifiés. Dans certains cas, par exemple l?énergie, il s?agit de grands projets européens. Dans d?autres, de financement en capital. Ou encore, dans le cas des jeunes pousses et des entreprises en développement, d?aider à l?émergence de nouvelles technologies.

Enfin, la contrainte est de trouver les moyens de financer cette croissance à long terme, sachant que les Etats ne peuvent plus jouer leur rôle antérieur d?investisseur de long terme mais qu?heureusement l?épargne européenne est très abondante. Il s?agit donc de l?orienter massivement ? plusieurs centaines de milliards d?euros par an ? vers des investissements productifs de long terme économiquement et socialement rentables. La difficulté réside dans l?existence d?un climat de forte aversion au risque, qui ne peut être surmonté que par des montages spécifiques de partage de risque entre les puissances publiques et les investisseurs privés, où l?Etat supporte le risque majeur de long terme tel un réassureur. Mais ceci est loin de suffire au financement. Une autre voie qu?il faut envisager naturellement est celle de la création d?une agence de la dette européenne, qui, plus que les Etats membres, pourrait piloter un grand emprunt européen dédié à cette politique industrielle diversifiée. Il faut noter que, pour que les Etats rééquilibrent leurs comptes et puissent ainsi assurer des financements plus traditionnels, il faudra renforcer le poids des prélèvements obligatoires. La contrainte est de ne pénaliser ni le développement de l?innovation ni le travail.

2. Pour une écologisation de la politique industrielle.
On l?a vu, Copenhague a été un échec pour les politiques mondiales de l?environnement et Lisbonne un échec pour les politiques européennes de l?innovation. Il nous semble qu?il faut reprendre la démarche de Lisbonne, mais cette fois?ci avec un réel engagement des Etats centré sur les technologies vertes. Cette stratégie pourrait déboucher assez naturellement sur une taxe carbone, consacrée exclusivement au financement de la recherche et de l?innovation vertes. Une
telle taxe permettrait en outre d?orienter le changement technique vers les technologies propres et pourrait être combinée efficacement à une politique de subvention à la R&D.

3. Pour un "Small Business Act" européen.
C?est une ancienne revendication jamais réalisée et pourtant absolument nécessaire. Le SBA américain est un outil d?une efficacité redoutable, puisqu?il permet de financer tant l?innovation que l?investissement traditionnel et de garantir une partie des marchés publics aux PME. C?est dire l?urgence de le mettre en place en Europe en dépit d?éventuelles difficultés juridiques par rapport à l?OMC. Le sujet porte à la fois sur les jeunes pousses et sur les entreprises à croissance rapide. Le SBA européen, comme son homologue, doit mettre en oeuvre une palette d?instruments, concernant aussi bien les marchés publics que le financement. Pour simplifier la démarche, cette politique doit être coordonnée au niveau européen mais peut être pilotée par les régions, sur le modèle d?intervention des Länder allemands.

4. Pour une politique de la formation et de la recherche.
Tout a été dit sur le sujet et pourtant peu a été fait. Nous pensons qu?il faut d?abord revisiter l?ensemble des formations élémentaires et secondaires, et cela dans l?ensemble des pays européens. La force européenne c?est sa formation, et celle?ci a été quelque peu mise à mal. De la même manière, l?enseignement supérieur est un enseignement de masse pour lequel il faut décider l?allocation de 2% du PIB, supérieurs aux dotations actuelles et inférieures aux dotations
américaines. Au?delà du LMD, il faut créer un titre de docteur européen et donc également une académie européenne d?évaluation. Enfin, les pôles de compétitivité ont été une initiative très positive dans un certain nombre de pays européens. Afin de leur donner plus d?ampleur, plus de moyens, plus de missions, la création d?un réseau européen est vraisemblablement la meilleure voie pour améliorer le rapport entre recherche et innovation.

5. Pour une régulation des marchés financiers en Europe.
Dans ce domaine la démarche ne peut être que mondiale. En revanche l?Europe peut imposer, et cela dès le prochain G20, des priorités à débattre puis à mettre en oeuvre pour rendre le système financier mondial moins risqué. Nous pensons aux trois points suivants : la convergence des normes comptables et prudentielles, notamment entre les Etats?Unis et l?Europe ; le contrôle progressif des marchés de gré à gré, et l?instauration de chambres de compensation pour une large partie des produits dérivés ; et la mise en place, en suivant les Etats Unis, de politiques de pénalisation très forte des activités de trading pour compte propre des banques de dépôts.

6. Pour une politique macroéconomique active.
En réalité il s?agit d?inverser la logique du Pacte de Stabilité et de Croissance et de lui donner un caractère spécifiquement contracyclique Dans la perspective d?un redressement des fonds publics, il faut être extrêmement rigoureux sur les déficits en période de croissance favorable, et plus laxiste en période de récession. D?une manière plus générale, il faut gérer les taux d?intérêt, le taux de change et le déficit en considérant que l?Europe a une vraie stratégie de priorité à la croissance. Quant à la politique du change mise en oeuvre par la Banque centrale européenne, on ne peut la laisser être soumise, surtout dans les périodes difficiles comme celles que nous allons connaître, à la volatilité imposée par les marchés. La stratégie définie se devrait d?être coopérative, donc
débattue avec les autres grandes zones monétaires dans le cadre des réunions sur la stabilité des taux de change. Mais il faut également pouvoir la gérer en tenant compte des intérêts de la croissance européenne.

7. Pour une surveillance macroéconomique intelligente et différenciée.
Elle ne peut se limiter au Pacte de Stabilité et doit respecter la diversité des modèles de pays, tout en évitant les divergences et les déséquilibres financiers qui mettent en danger la zone euro. Dans cette perspective, les politiques de rigueur, qui s?étaleront selon toute vraisemblance sur un minimum de cinq années, doivent s?imposer qu?aucune coupe budgétaire ne touche les investissements fondamentaux pour la base productive, et qu?aucun impôt complémentaire ne
vienne frapper le travail ou ne soit désincitatif pour l?innovation.

8. Pour une immigration choisie.
Pour soutenir le dynamisme du marché de l?emploi européen, nous sommes favorables à une immigration choisie sur la base de la qualification et directement liée à une intégration sur le marché du travail. En particulier, comme cela est le cas dans les autres grandes zones, les politiques d?attraction de jeunes étudiants constituent un facteur puissant de coopération avec le pays d?origine.

9. Pour un marché du travail unifié.
Tous les pays européens sont touchés par les conflits intergénérationnels. Les difficultés sont multiples, mais la première des décisions doit porter sur les échanges dans les domaines de la formation et de l?emploi. Si l?on veut un marché du travail unifié, il faut naturellement un marché du travail intégrateur,
c?est?à?dire des passerelles multiples dans la formation, des Erasmus multipliés par dix. Le même souci de rapprochement formation?emploi s?applique aux flux migrants. De nombreuses mesures peuvent être envisagées, mais l?une des toutes premières est celle de la portabilité des systèmes de pensions.

10. Pour définir une politique européenne commune de transferts de technologie.
L?enjeu des dix années qui viennent sera celui des transferts de technologies. Dans ce domaine là, seule la coopération permet de protéger l?Europe d?un pillage de sa technologie. Le rapport avec l?Afrique est exactement l?inverse. C?est un continent qui surprend par la vivacité de sa croissance et qui aura tendance à se tourner vers des pays émergents soucieux d?obtenir contre la technologie des matières premières. Il représente toujours pour nous une opportunité. Il faut donc renforcer notre politique d?aide au développement, d?investissement, de délocalisation et de formation vers ce continent.

En conclusion, après avoir rappelé la gravité de la situation dans la continuité des Rencontres précédentes, le Cercle se veut cette année résolument porteur d?espoir. Nos pays peuvent rebondir s?ils mettent en oeuvre sans plus attendre la transition vers la nouvelle croissance. L?enjeu est de rester en course vis?à?vis des Etats?Unis et des grands pays émergents. A défaut de coopération, il faut apprendre à faire cohabiter une croissance équilibrée, décentralisée des pays européens avec la croissance de rattrapage des pays émergents.

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