Wolfgang Schäuble : "Le Pacte de compétitivité n'est pas un diktat ! "

A la veille des importantes réunions de l'Eurogroupe ce lundi et du G20 vendredi, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, s'explique sur le rôle de l'Allemagne et le Pacte proposé par Berlin et Paris dans un entretien accordé à La Tribune, conjointement avec les quotidiens El Pais et La Repubblica. Il y présente ses attentes, notamment envers les Etats-Unis, pour le G20 sous présidence française.
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La Tribune: Le déficit public français, en pourcentage du Produit Intérieur Brut (PIB), est actuellement près du double de celui de l'Allemagne. Côté commerce extérieur, l'an dernier l'Allemagne a dégagé un excédent de 154 milliards d'euros, alors que la France a accusé un déficit commercial de 51 milliards. De telles différences au sein de la zone euro sont-elles soutenables ?

Wolfgang Schaüble: La France s'est aussi engagée à ramener son déficit en dessous des 3% du PIB d'ici 2013. Chaque pays doit fournir son effort. Le ministre allemand des Finances a lui aussi encore beaucoup de travail à accomplir. Dans son ensemble la zone euro a une balance commerciale presque équilibrée. Les importations allemandes en provenance d'autres pays de l'Union européenne (UE) ont d'ailleurs plus augmenté en 2010 que les exportations allemandes vers ces mêmes pays. Notre dynamique de croissance doit entre temps plus aux forces de la demande intérieure allemande qu'aux exportations.

La conjoncture économique relativement favorable en Allemagne profite donc aux autres membres de l'UE et ne leur cause pas du tort. Nous avons été l'an dernier un peu la locomotive de la croissance en Europe. Aussi je n'ai pas à m'excuser auprès de nos partenaires européens de ce rôle de l'Allemagne.

Les PME-PMI françaises peuvent-elles réussir à l'export comme leurs homologues allemandes?

Mais pourquoi ne serait-ce pas possible ? C'est tout le sens justement de nos propositions pour réduire les différences de compétitivité en privilégiant les meilleures pratiques et apprendre les uns des autres. L'Allemagne est actuellement dans une bonne phase économique mais au début des années 2000 elle avait encore beaucoup de problèmes. Nous les avons résolus. Aujourd'hui d'autres pays ont plus de difficultés, mais ils vont aussi les surmonter.

A travers " le Pacte de compétitivité" proposé avec la France, l'Allemagne essaie d'augmenter son influence...

Non. Mais une des leçons de la crise est que nous devons nous attaquer aux problèmes de la disparité des compétitivités. Nous avons mis au point des propositions qui ont peut-être été mal comprises dans l'opinion publique. Le Pacte de compétitivité ce sont des propositions, pas un diktat ! Chacun propose et ensuite on se réunit et travaille à des positions communes.
Je peux comprendre qu'un pays comme la Belgique ait une autre position sur la question d'une interdiction de l'indexation des salaires sur l'inflation.

En Allemagne, cette indexation n'existe pas et notre modèle de partenariat social responsable n'est pas si mauvais. Le Pacte qui vient d'être signé en Espagne va dans cette direction. Et je le redis : Angela Merkel et Nicolas Sarkozy n'ont fait que des propositions. Il ne faut pas en faire un conflit. C'est toujours la même situation : si la France et l'Allemagne s'efforcent de faire avancer un dossier en présentant des propositions communes, nous sommes critiqués. Si Paris et Berlin ne le font pas, nous sommes critiqués pour notre inaction...Il y a ici beaucoup de malentendus. Je crois, par exemple, que le gouvernement espagnol est d'accord avec les propositions.

Et si ce Pacte n'était pas accepté par vos partenaires...

Ce qui est important est de trouver une solution commune sur la base des propositions. Les décisions du Conseil européen nous obligent à renforcer la compétitivité de l'Europe.

Ce Pacte est-il la contrepartie que vous exigez pour accepter une augmentation du Fonds européen de stabilité financière (FESF) ?

Il s'agit de tirer les bonnes leçons de la crise en introduisant un ensemble de mesures comprenant le renforcement du Pacte de stabilité et de croissance, l'amélioration de la compétitivité dans tous les pays membres et enfin la création d'un mécanisme permanent pour préserver la stabilité financière de la zone euro à partir de la mi-2013 (Mécanisme européen de stabilité, MES). Le Conseil européen et l'Eurogroupe l'ont ainsi décidé. Il ne faut pas prendre un aspect isolé de ce « paquet ». En agissant dans ces trois domaines, nous convaincrons les marchés financiers que l'euro reste stable. Il n'est pas, selon nous, nécessaire à ce jour d'augmenter la dotation du FESF. Mais nous devrons discuter d'ici fin mars de ce futur MES et se mettre d'accord sur ses compétences.

Ce débat sur une éventuelle hausse de la dotation du FESF envoie d'ailleurs des signaux tout à fait erronés aux marchés financiers : en parlant de la nécessité à court-terme de son renforcement on attise seulement la spéculation sur la situation des pays-membres. Les marchés se montrent en revanche assez stables depuis le début de cette année.

Est-il pertinent d'introduire, comme en Allemagne, un « frein à la dette » dans les constitutions des autres pays de la zone euro ?

J'ai lu à ce sujet les formulations les plus insensées, qu'il s'agit d'«une germanisation forcée » ! Ce n'est absolument pas le cas. Ni le gouvernement fédéral, ni les Allemands n'entendent imposer leur modèle à d'autres. Nous disons seulement que nous avons eu de bons résultats avec notre plafond à la dette. Si d'autres veulent faire de même ce serait bien. De nombreux problèmes récents, notamment en Grèce, auraient pu peut être être évités grâce à cet instrument. Nous devons apprendre les uns des autres. Nous avons beaucoup débattu sur comment réduire les déficits publics sans pénaliser la croissance. On voit que cela est possible en Allemagne.

L'idée d'émettre des emprunts d'Etat (« eurobonds ») au niveau européen reste un tabou ?

Nous avons toujours dit au sujet de ces "Eurobonds" que nous ne pouvons pas renoncer, dans la configuration actuelle de l'Union monétaire, à l'incitation que produit l'existence de taux d'intérêts différents.

Le Pacte de compétitivité proposé est aussi critiqué car il contourne les institutions européennes supranationales privilégiant la coopération intergouvernementale.

Quand la chancelière a proposé il y a quelques mois une modification des Traités européens, les réactions n'ont guère été euphoriques. En particulier de la part de ceux qui maintenant prônent une plus grande intégration. Il faut voir la réalité en face : peu sont favorables à un amendement des Traités. L'accord en décembre dernier pour une modification limitée des Traités par la procédure simplifiée a été un succès. Dans un avenir proche la marge de man?uvre pour des modifications importantes des Traités européens est faible. C'est pourquoi nous devons agir dans le domaine du possible. L'article 136 du Traité de l'UE nous le permet.

Mais si la Commission européenne et le Parlement, qui en fait ont pour mission de faire avancer la construction européenne, donnent l'impression, dans leur réaction à nos propositions, qu'ils se soucient avant tout de leurs propres intérêts, cela crée un malentendu que ces institutions devraient éviter.

Craignez vous un dérapage de l'inflation en Europe ?

Je crois que nous allons continuer, en Europe, à contrôler le risque d'inflation. La Banque centrale européenne (BCE) demeure attachée à son objectif de stabilité et depuis la création de la monnaie unique elle l'a fait de façon tout à fait remarquable.

Qu'attendez-vous de la BCE face à l'inflation ?

Notre conception de l'indépendance de la banque centrale a pour principe de ne pas lui donner de conseils. Le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, indique régulièrement et tout à fait à propos que la valeur intérieure et extérieure de la monnaie européenne est stable depuis sa naissance. En moyenne l'euro est plus stable que l'a été le deutschemark. Je suis très confiant que cela demeurera le cas à l'avenir.

En Irlande, l'opposition annonce qu'en cas de victoire aux élections parlementaires du 25 février prochain, elle renégociera les conditions du plan de sauvetage de l'UE et du Fonds Monétaire International (FMI). Cela vous inquiète-t-il ?

Il faut, tout d'abord, en tant que ministre avoir de la retenue dans ses propos sur une campagne électorale dans un autre pays membre. Tout nouveau gouvernement d'un Etat-membre est placé toutefois dans la continuité de la responsabilité. Déjà l'an dernier nous avons eu une situation complexe dans un autre pays, où le nouvel exécutif ne voulait pas respecter les décisions du précédent gouvernement. Cela ne nous fait pas avancer en Europe. Beaucoup de choses sont dites durant les campagnes électorales, les décisions après le scrutin sont souvent différentes.

Une Europe "à deux vitesses", un "noyau européen" ("Kerneuropa") comme vous l'aviez formulé jadis sont-ils inévitables ?

Notre idée, en 1994 dans notre proposition avec Karl Lamers, était que, pour réaliser la double mission d'approfondir et d'élargir l'Union européenne, l'Europe a besoin d'un noyau [de pays, NDLR] qui fasse avancer son intégration. Cela ne devait pas diviser l'Europe mais l'unir.

Aujourd'hui, quinze ans après, nous sommes bien plus avancés : nous disposons de la monnaie unique européenne et de l'article 136 du traité de l'UE de Lisbonne qui donne à cette coopération renforcée dans la zone euro une base juridique.

Et l'objectif n'est pas de diviser l'Europe mais d'essayer le plus possible, qu'au mieux, un jour tous les pays de l'UE soient également membres de l'Union monétaire européenne. Il faut bien sûr respecter les décisions des Etats comme la Grande-Bretagne ou la Suède. Mais le but n'est pas une division durable. C'est d'ailleurs pourquoi la proposition du président Sarkozy et de la chancelière Merkel pour cette coopération renforcée concerne no seulement la zone euro mais aussi tous les pays de l'UE, s'ils le souhaitent, et sur la base du volontariat.

Les responsables politiques allemands répètent à l'envi qu'il ne peut être question de transférer des compétences vers Bruxelles. L'intégration européenne à travers des institutions supranationales apparait comme quelque chose de négatif. Est-ce a fin du projet européen ?

Je me permets de vous rappeler que le Traité constitutionnel européen n'a pas échoué en Allemagne mais dans d'autres pays de l'UE. Et ailleurs il y a des courants eurosceptiques plus forts lors des élections qu'en Allemagne

Jusqu'en 1990 l'Allemagne n'était pas seulement divisée mais ne disposait pas non plus de sa pleine souveraineté. . Quand grâce à la chance de la fin de la division de l'Europe, nous avons recouvré notre souveraineté, beaucoup parmi nos amis et partenaires en Europe nous exhortaient à être enfin à la hauteur de notre responsabilité en tant que pays relativement grand et solide et de ne plus demeurer discrets. Et naturellement la question réapparait périodiquement parmi les Allemands de savoir si l'Europe n'est pas parfois trop opaque et compliquée. Et il ne faut pas s'en étonner si l'on se remémore le débat récent autour du budget européen et les positions défendues par la Commission européenne et le Parlement de Strasbourg.

Cela est d'autant plus le cas quand ces institutions européennes exhortent, à juste titre, les pays membres à réduire leurs déficits mais qu'elles n'acceptent pas cet impératif pour elles mêmes. Il est dangereux de ne pas appliquer à soi-même les règles que l'on impose aux autres.

Le fait de ne pas avoir créé en même temps que l'Union monétaire une Union politique européenne a-t-il été une erreur ?

Non. Le gouvernement fédéral allemand y était certes favorable mais cela n'avait aucune chance d'être acté à l'époque en Europe. Et c'est absurde de vouloir refaire l'histoire vingt ans après et dire que l'on aurait dû et pu faire autrement. L'intégration européenne a toujours procédé ainsi : en avançant de façon pragmatique là où cela est possible. Même si l'on savait qu'il ne s'agit pas d'une solution parfaite. En général on a progressé dans l'intégration économique dans l'attente d'autres avancées dans l'intégration politique. C'était déjà le cas dans la première phase de la construction européenne dans les années 1950.

D'ailleurs Jean-Claude Juncker a eu raison, quand lors de l'introduction de 'euro, il a déclaré que l'euro rendrait nécessaire d'autres paliers d'intégration politique.
Lors de l'adoption de l'euro nous n'avons pas pu prévoir que la mise en réseau des marchés financiers aurait quinze ans plus tard avec la globalisation une telle ampleur incroyable suscitant ces dangers de contagion si élevés comme nous les connaissons désormais.

Des difficultés d'un pays membre avec une part relativement modeste de l'économie de la zone euro, à l'instar de la Grèce, créent aussi un péril de contagion pour les autres pays de l'euro. Nous devons en tirer les leçons et c'est ce à quoi nous travaillons.

La banque centrale américaine, la Fed, est-elle un facteur de déstabilisation en exportant de l'inflation dans le monde entier par son rachat massif des titres d'Etats ?

Je suis dans ce contexte favorable à ce que nous tous respectons nos engagements du Sommet du G20 de Toronto de juin dernier, à savoir de réduire de moitié nos déficits publics d'ici 2013.Ce serait déjà un grand pas. Et un bon début si, au sein du G20, chacun s'attèle à ses propres problèmes.

Les Etats-Unis et leur économie sont la puissance leader et le monde a donc un clair intérêt à une Amérique forte politiquement et économiquement. Les Américains ont une tout autre dynamique, en termes de démographie aussi, et peuvent donc plus aisément réduire leurs déficits par la seule croissance, contrairement à nous en Allemagne et en Europe. J'espère que lors des discussions du G20 nous pourrons aussi nous entendre sur la politique monétaire ou bien avancer sur les questions de l'OMC.

Dans le cadre du G20 nous avons, en tant qu'Européens, une grosse responsabilité vis-à-vis des pays émergents et des pays en développement. Nous ne devons pas penser qu'à nous-mêmes.

Une prochaine réforme du système monétaire international, comme souhaitée par Paris, est-elle réaliste ? Les Etats-Unis n'ont pas intérêt à réduire la prédominance du dollar...

Les propositions de la présidence française pour le G20 sont très bonnes et tout à fait réalistes. Il n'y aura pas de révolution mais une évolution graduelle, notamment sur comment mieux surveiller la spéculation et y réagir plus rapidement. Ainsi nous prenons la mesure pas à pas des changements dans l'économie mondiale. Cela ne se fait pas contre les Etats-Unis mais avec eux, ensemble. L'Allemagne mise beaucoup sur la présidence française du G20 et nous la soutiendrons en cela de façon décisive.

Vous êtes considéré comme " le dernier grand Européen" encore aux affaires. Ne vous sentez vous pas trop seul?

Non. Je suis seulement relativement plus âgé que la plupart de mes homologues. Et parmi eux ; beaucoup sont, comme Christine Lagarde, des Européens tout autant engagés et compétents que lagénération précédente. La jeune génération est moins marquée "nationalement" que ses parents et grands parents ne l'étaient. Cela vaut non seulement pour l'Allemagne mais aussi pour la plupart des pays européens.

Commentaire 1
à écrit le 28/06/2012 à 3:59
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"les problèmes de la disparité des compétitivités" cette disparité des compétitivités est surtout due à des facteurs naturels et immuables. S'il est vrai que la France et l'Allemagne pourraient arriver à une compétitivité comparable il n'en est pas d...

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