Bruxelles face à des conditions inédites pour fournir une aide au Portugal

Par Marie-Line Darcy, à Lisbonne, Yann-Anthony Noghès, à Bruxelles et Céline Jeancourt-Galignani  |   |  698  mots
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Acculé, le Portugal a fait officiellement jeudi une demande d'aide à l'Europe, mais la négociation des conditions d'un plan estimé à 80 milliards d'euros s'annonce complexe. En raison de la démission du gouvernement, les experts vont devoir convaincre l'ensemble des partis politiques représentés au parlement, eux-mêmes sous la pression d'une opinion qui subit les mesures d'austérité.

Lisbonne  n'a pas traîné pour soumettre jeudi à Bruxelles sa demande formelle d'une aide, longtemps ajournée. C'était logique après l'annonce faite la veille à la télévision portugaise par le Premier ministre socialiste sortant José Socratès et son concurrent de centre-droit, Pedro Passos Coelho, président du Parti social-démocrate (PSD). Les ministres des Finances européens, réunis à Budapest jeudi et vendredi, devraient donner leur feu vert à la négociation du programme d'ajustement portugais.

Mais, compte tenu de la vacance du pouvoir provoquée par l'organisation d'élections anticipées, qui se tiendront le 5 juin, les experts de la Commission européenne, de la Banque centrale et du Fonds monétaire international qui pourraient se rendre à Lisbonne dès la semaine prochaine vont devoir négocier avec tous les partis politiques sans le filet institutionnel d'un Parlement et d'un gouvernement légitimement investis par les électeurs, et surtout sous la pression d'une opinion qui supporte de moins en moins la politique d'austérité. La gouvernance économique européenne passera donc à Lisbonne son premier test politique.

La situation fournit un terrain idéal aux populistes pour faire monter la température, alors que la chute du gouvernement Socratès était précisément due à la politique de rigueur. Surnommé «PEC IV», programme de stabilité et croissance, le projet du Premier ministre sur lequel il a chuté avait convaincu ses partenaires européens, qui avait donné leur feu vert à son application le plus rapidement possible. Rigueur dans la rigueur, le «PEC IV» comprenait une quinzaine de mesures concernant les ménages : réduction des déductions fiscales sur les crédits au logement, surpression ou diminution des avantages fiscaux, augmentation de la charge fiscale sur les retraites et pensions, augmentation des impôts indirects, comme la taxe automobile, augmentation également de la pression fiscale sur les entreprises. Des mesures jugées trop sévères, et qui venaient s'ajouter à un budget 2010 d'une grande rigueur.

Pourtant, les arguments avancés par le PSD (centre droit) pour justifier d'avoir fait barrage aux propositions du gouvernement socialiste sont assez confus, relevant davantage de la politique politicienne. De nombreux observateurs considèrent en effet que José Socrates aurait assez rapidement admis qu'une aide européenne était nécessaire, mais voulait rester maître du calendrier. D'ores et déjà, ce dernier, qui se montre très combatif, a été réélu secrétaire général du parti socialiste, et candidat à sa succession en cas de victoire. Son challenger, Pedro Passos Coelho, espère bien lui ravir la vedette. Le PSD caracole en tête dans les sondages, même si l'écart se réduit dans les derniers avec 39% des intentions des votes en sa faveur contre 33 % au Parti socialiste. Le PS a opéré une spectaculaire remontée, avec + 7%.

Toutefois, les Portugais s'inquiètent. La demande de l'aide de l'Europe et du FMI va obliger à l'observation stricte d'obligations dont on ignore encore les modalités. Des incertitudes qui viennent s'ajouter à un climat économique et social fortement dégradé. Le manque de compétitivité du pays découle principalement de sa spécialisation dans des industries à faible valeur ajoutée, comme le textile. Avec la mondialisation, le Portugal se trouve en concurrence directe avec des pays dont la main d'?uvre est à bas coûts (tigres asiatiques, Tunisie ou encore Turquie), et handicapé par un euro fort. Ainsi, les coûts unitaires du travail de son secteur manufacturier y ont augmenté de 23% en dix ans, contre 6% en Allemagne. Ce qui se traduit par une diminution des exportations et une croissance faible (-1,8 % en 2010). Le pays, accusé d'avoir trop dépensé pour soutenir sa consommation intérieure, cherche à réduire son déficit public qui représentait 7,3% du PIB en 2010. Le gouvernement a d'ailleurs entrepris des réformes ayant pour objectif de flexibiliser le marché du travail, de réduire les coûts des entreprises et de soutenir les exportations. Un programme de privatisation des entreprises est également prévu, qui permettra l'amortissement d'une partie de la dette publique, de 86% du PIB l'année dernière.  Des objectifs qui risquent d'être ajournés en attendant une stabilisation politique.