L'habile méthode de Bruxelles pour harmoniser l'impôt sur les sociétés

Quels sont les véritables enjeux du projet de la Commission européenne, de base d'imposition commune des sociétés ? En dépit des différences persistantes de taux nominaux de taxation des bénéfices, d'un pays à l'autre, il enfonce un coin dans le dogme de la concurrence fiscale.
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L'Europe adore les querelles théologiques. L'une des plus vivaces porte sur le point de savoir si la concurrence est préférable à l'harmonisation fiscale ou l'inverse. Dans cette querelle, il y a d'un côté les tenants du dogme de la concurrence et de la souveraineté. Ils sont les plus nombreux, réunis autour de leur souverain pontife José Manuel Barroso, le président de la Commission. Et il y a les hérétiques qui, pour ne pas finir sur le bûcher, parlent de coordination mais pensent harmonisation. Nicolas Sarkozy, leur Luther, harangue l'Irlande et son dumping fiscal. Il compte quelques alliés, y compris à la nonciature. Le commissaire à la Fiscalité et ancien ministre des Finances lituanien Algirdas Semeta, fraîchement arrivé à Bruxelles, veut porter un regard neuf sur les saintes écritures.

Prenez le Pacte pour l'euro. Il dit : "une attention particulière sera portée à la coordination des politiques fiscales". Un tel pacte fiscal mezzo vocce ne frapperait pas par son audace un économiste fraîchement débarqué sur le continent. Se coordonner, c'est bien le moins que puissent faire des pays qui partagent déjà la même monnaie. La plupart des Européens, qui ont connu des décennies de débats byzantins sur la fiscalité, jugent au contraire la formule révolutionnaire. La République tchèque, la Hongrie ou encore la Suède ont refusé d'y adhérer au nom de leur souveraineté. Malte et Chypre, qui n'avaient pas le choix étant déjà dans la zone euro, ont fait annexer une déclaration au pacte disant que ce dernier n'emportait pas leur adhésion à l'harmonisation de la base d'imposition des sociétés.

Voilà justement un terrain sur lequel va se livrer la bataille de la réforme dans les années à venir. Le projet a été arraché par notre jeune prélat balte aux archives de la Commission où il avait été prudemment remisé après le référendum irlandais. Il vise à permettre aux entreprises de calculer un seul bénéfice imposable pour toute l'Europe, sur la base de règles de déductibilité communes, lequel bénéfice serait ensuite imposé séparément dans chaque pays, à concurrence de l'activité qui y est effectivement réalisée.

L'interprétation officielle du texte veut que, en harmonisant la base fiscale sans toucher aux taux, on vivifie la concurrence. Le choc entre les 12,5% de taux nominal irlandais, les 19% tchèques et les 34% français va apparaître dans toute sa brutalité, apportant émulation, croissance, etc... En apparence, le dogme est sauf. Mais cette version bute sur une contradiction. Pourquoi les Irlandais, dont l'avantage compétitif est rendu encore plus flagrant par cette transparence, freinent des quatre fers, quand les Français, dont le taux est notoirement non compétitif, veulent aller de l'avant ? La réponse se lit entre les lignes du récent rapport de la Banque mondiale et de PricewaterhouseCoopers (*) qui tente de faire la lumière sur les taux effectifs d'imposition du capital et du travail à travers le monde.

D'après ces chiffres qui tiennent compte à la fois de la base et du taux nominal, les profits sont moins imposés en France qu'en Irlande et non l'inverse. La différence est appréciable : 8,2% dans l'Hexagone contre 11,9% au pays du "dumping", la palme de la compétitivité revenant à la Belgique avec un taux effectif de 4,8% quand le taux nominal est de... 34%. Ces comparaisons éclairent d'un jour nouveau les motivations de nos grands clercs européens. Les défenseurs de l'harmonisation de la base fiscale sont animés par des considérations très prosaïques. En l'occurrence, leur but est de surmonter leur difficulté à maintenir leur propre base effective d'imposition. En d'autres termes, la concurrence a déjà laminé les bases sous l'effet du cercle vicieux du planning fiscal et du chantage à la délocalisation, le second poussant les États à faire de meilleures conditions, qui incitent leurs voisins à surenchérir et ainsi de suite. Les réformateurs, avant de le devenir, ont souvent compté parmi les meilleurs connaisseurs du dogme.

La réforme proposée par la Commission européenne, instaurant une "base commune consolidée" d'imposition des sociétés, vise donc moins à punir l'Irlande qu'à rétablir l'autorité du diocèse sur ses fidèles. Certaines administrations fiscales auraient d'ailleurs préféré que, pour les entreprises transnationales, l'utilisation de la base commune soit obligatoire, et non pas optionnelle comme le demandaient à l'unisson les organisations patronales. La nonciature a arbitré en faveur de ces dernières. Mais même assortie de cette concession au dogme, la base commune reste un projet redoutablement subversif.

(*) "Paying Taxes 2011" : https://www.pwc.com/gx/en/paying-taxes/pdf/paying-taxes-2011.pdf

Commentaires 3
à écrit le 09/04/2011 à 17:44
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Comment on passe de 34 à 8.2 serait de l'information. Le reste c'est du blabla.

le 10/04/2011 à 7:23
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J'étais en train de répondre pour expliquer que 8% c'est une moyenne, les grand groupes payent 0% avec les niches, etc... mais comme d'habitude la mise à jour automatique de page m'a fait perdre mon texte d'explication. Donc tu demanderas à LA TRIBUN...

à écrit le 09/04/2011 à 12:59
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Initiative qui ne passera jamais, mais il faut bien que la dame s'occupe.

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