"Pour les Etats-Unis, la perte du triple A ne serait que symbolique"

Par Propos recueillis par Jérôme Marin, à New York  |   |  581  mots
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L'économiste de Standard & Poor's livre à La Tribune son analyse sur les débats budgétaires en cours aux Etats-Unis, et sur les conséquences de l'augmentation du poids de la dette publique.

Le plan présenté par le républicain Paul Ryan visant à réduire les dépenses publiques de 5.800 milliards de dollars sur dix ans est-il réaliste ?
Non, surtout qu'il souhaite épargner en partie les dépenses militaires. Cependant, il va falloir rapidement faire quelque chose car nous ne pouvons plus continuer à accumuler des déficits publics de cette ampleur. Il faudra certainement mener une politique budgétaire plus stricte, ce qui revient à accepter une croissance moins élevée. Mais la reprise commence à se montrer suffisamment robuste pour résister à un resserrement graduel des dépenses.

L'endettement de l'Etat fédéral est-il un problème alors qu'il peut emprunter à moindre coût ?
Les Etats-Unis ne pourront pas toujours s'endetter à faible coût. Quand l'économie va se normaliser, le "fly-to-quality" vers les titres de la dette américaine va se réduire et les taux d'intérêt vont augmenter. Nous sommes partis d'un niveau raisonnable d'endettement public, ce qui nous laisse une marge de man?uvre sur le plan budgétaire. Mais elle n'est pas illimitée. Plus la dette se creuse et plus les problèmes qui nous menacent à long terme, comme le vieillissement de la population, seront difficiles à gérer.

Justement, l'assurance santé pour les personnes âgées, Medicare, est au c?ur des débats au Congrès...
Là aussi, il convient d'agir parce que les coûts du programme grimpent sans que l'on sache comment les financer. Les républicains proposent de privatiser le système, en échange de subventions pour permettre aux personnes âgées de souscrire à une assurance privée. Mais beaucoup de retraités rencontreraient alors des difficultés pour supporter le coût financier de ce système. Même ceux qui perçoivent des retraites élevées.

Le Congrès doit encore s'entendre pour relever le plafond de la dette. Faut-il craindre un défaut de paiement ?
A l'heure actuelle, je ne pense pas qu'un tel scénario se produise. Certains républicains souhaitent au moins protéger le service de la dette afin d'éviter un défaut de paiement. Ne pas relever le plafond de la dette n'est pas envisageable sur le long terme. Cela perturberait sérieusement les opérations du gouvernement et causerait d'importants problèmes sur les marchés financiers et, au final, pour l'économie.

La difficile cohabitation qui s'amorce entre les démocrates et les républicains représente-t-elle une menace ?
Il est certain qu'ils ne font rien pour favoriser l'économie américaine. Heureusement, le secteur privé marche plutôt bien et cela ne dépend pas directement de ce qui se passe à Washington. Mais si les deux camps vont trop loin, nous pourrions alors connaître à nouveau une récession, surtout avec les nombreux risques périphériques qui subsistent : dettes européennes, cours du pétrole, Japon...

Quelles seraient les conséquences si les Etats-Unis venaient à perdre leur triple A ?
L'impact serait avant tout symbolique. Certains pays, comme la Chine, pourraient y voir une raison supplémentaire de diversifier leurs réserves de changes - ce qu'ils pourraient faire de toute façon. Les conséquences sur le prix de la dette ne devraient pas être importantes, comme on l'a vu lorsque le Japon a perdu son triple A. Une modification de la note de la dette américaine n'affecterait donc pas autant les marchés que la dégradation de la notation d'un pays déjà en difficultés.