"Au FMI toutes les parties du monde doivent se sentir représentées"

Entretien avec le président de la Banque africaine de développement (BAD), Donald Kaberuka, à propos de la prochaine direction du Fonds Monétaire International (FMI), des engagements du G8 envers l'Afrique, de son partenariat avec l'Afrique du Nord et de l'évolution économique du continent.
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Que peut apporter le partenariat de la Tunisie et de l'Egypte avec les pays du G8 qui sera signé ce vendredi ?

Donald KABERUKA
: Le plan d'ensemble d'appui à l'Afrique du Nord que nous avons élaboré avec la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque européenne d'investissement (BEI) et la Banque islamique de développement et transmis à la présidence française du G8 comporte deux aspects : l'appui aux Etats et celui aux sociétés privées. La Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) mettent chacune 500 millions de dollars à la disposition de la Tunisie, auxquels s'ajoutent 100 millions débloqués par l'Union européenne. A court-terme nos 500 millions doivent soutenir le budget de la Tunisie en difficulté et sont dirigés vers des programmes essentiellement sociaux : pour la création d'emplois, la jeunesse défavorisée, la gouvernance, soit tous les éléments critiques qui ont contribué à l'explosion de ce pays.
Quels sont les problèmes à résoudre à long terme en Afrique du Nord ?


Les pays d'Afrique du Nord, du Maroc à l'Algérie en passant par l'Egypte, souffrent surtout de trois maux: la croissance économique y est forte, même très forte, mais les créations d'emplois sont insuffisantes. Le cas de la Tunisie me paraît assez frappant : malgré un taux de croissance annuel autour de 5 % dans les années précédant la révolution [NDLR : 6,3 % en 2007, 4,6 % en 2008 et de 3,7 % en 2010] le pays ne créait que 60 000 emplois. Il faut donc d'abord une action spécifique pour les petites entreprises qui créent des postes. Il faut aussi réformer le secteur financier: l'octroi de crédits n'obéissait pas vraiment à la transparence et aux lois du marché. Dans le cas de la Tunisie il s'agissait de crédits politiques dirigés vers certains secteurs, pas forcément les plus performants, avec des taux d'intérêt trop élevés, notamment pour les PME. Enfin le commerce entre les pays d'Afrique du Nord ne représente que 5 % de leurs échanges. C'est une région assez homogène mais leur intégration est très faible. Il faut trouver des solutions nationales mais aussi régionales. Il suffit de penser que la Libye est le deuxième partenaire commercial de la Tunisie après l'Europe.


La BERD va réorienter une partie de ses efforts d'Europe de l'Est vers l'Afrique du Nord. comment se fera ce partenariat ?


La BERD a joué un rôle très important en Europe de l'Est et a donc une expérience que je crois utile pour aider les pays en transition.
Cette lettre commune des organismes financiers internationaux à la présidence du G8 a d'ailleurs été est cosignée par le président de la BERD, cette stratégie a été élaborée avec son établissement. Je me réjouis de l'arrivée de la BERD en Afrique du Nord avec son expérience du secteur privé, qui sera très utile pour la Tunisie, l'Egypte, le Maroc et l'Algérie.


Les moyens financiers promis seront-ils suffisants ? Quels investissements doivent-ils être privilégis en Afrique ?

En tant qu'organisme financier international nous voyons notre rôle comme effet de levier : ce ne sont pas nos seuls moyens qui suffisent. Chaque fois que nous investissons un dollar dans le privé cela attire six à sept dollars investis parallèlement par les investisseurs privés. Ensuite, souvent au bout de deux ou trois ans nous nous désengageons.
C'est notre rôle. En ce moment en Afrique du Nord notre présence crée confiance.
Dans le passé en Afrique les investissements se portaient surtout vers l'industrie extractive (mines, hydrocarbures). Mais à partir des années 2000 nous avons constaté un boom dans les télécommunications. Aujourd'hui cette évolution reste positive : on constate un intérêt pour les infrastructures, surtout celles de télécommunications les câbles sous-marins, la fibre optique. Ce domaine, assez rentable, nous intéresse beaucoup.
Ce qui nous manque, et nous y travaillons, est de créer des cadrages PPP (Public Private Partnerships, des partenariats public-privé) sur le plan national et régional afin de favoriser l'interaction des fonds privés et publics notamment dans le domaine de l'énergie.


Les pays africains producteurs de matières premières profitent de la hausse des prix des matières premières, mais l'envol des prix des produits alimentaires pénalise aussi beaucoup leur population. Comment voyez vous cette situation ?


Tout d'abord la flambée des produits agricoles touche une grande partie de la population urbanisée en Afrique. Elle aurait pu être bénéfique pour les producteurs à la campagne mais par manque d'infrastructures et par manque de soutien de l'Etat à ce secteur ils ne peuvent vraiment tirer parti de cette flambée des cours.
Cette flambée des prix suscite plutôt des importations. C'est le premier problème. Cela est vrai tant dans les pays producteurs de pétrole que dans les autres.
Les prix des denrées alimentaires dans les grandes villes est une grande question de politique économique.
Faut-il subventionner les produits pétroliers et les produits alimentaires ? et affaiblir les finances publiques ? ou faut-il créer des « filets de sécurité » (safety nets) ?
Plutôt que subventionner un produit, à l'instar du riz, il vaut mieux subventionner les plus démunis.
Je suis partisan des safety nets pour les franges de la population vraiment nécessiteuses mais en évitant de subventionner un produit car cela est inefficace.


L'actuelle subvention du pain en Egypte devrait elle être recadrée?

Subventionner un produit n'est jamais une bonne politique économique : cela affaiblit les finances publiques sans être efficace socialement. Quiconque va en Egypte mange du pain subventionné, quelle que soit sa situation financière personnelle. Cela subventionne à la fois les pauvres et les riches et accroit la demande. Si on identifiait les personnes à soutenir ce serait plus efficace.


Quel bilan faites vous de l'aide publique au développement (APD) promise par les pays du G8 à leur sommet de Gleneagles en 2005 ?

Le résultat est mitigé sur tous les points: un des quatre grands engagements pris à Gleneagles était de doubler l'aide pour l'Afrique d'ici 2010. L'idée était aussi d'augmenter l'efficacité de l'aide (l'agenda de Paris). Le troisième engagement concernait le commerce (cycle de Doha) et le quatrième la voix de l'Afrique dans les enceintes internationales.
L'APD n'est pas au niveau promis, même si on doit saluer la politique de certains pays comme la Grande-Bretagne qui a sécurisé l'aide par une loi. Il y a des difficultés budgétaires énormes dans tous ces pays du G8. Avec les crises de la dette souveraine, la situation dans des pays comme le Portugal et l'Espagne, cela prendra beaucoup de temps pour atteindre une part d'APD correspondant à 0,7 % du PIB.
Dans beaucoup de pays africains, à l'exception des pays les plus pauvres, le financement interne (ressources domestiques :les taxes, les marchés des capitaux, auxquelles s'ajoutent les transferts des migrants) joue un rôle plus grand que l'APD.
Il y a toutefois des pays où le financement par l'APD représente encore 50 % du budget.


L'industrie africaine devient-elle plus compétitive sur les marchés mondiaux face aux coûts croissants de l'industrie chinoise ?


En effet la Chine commence à souffrir de la hausse des salaires réels et certains secteurs se délocalisent au Cambodge, au Laos et au Vietnam. En Afrique le manque d'énergie et des infrastructures est cependant un frein, il y a deux solutions : à long terme construire des routes et des chemins de fer ce qui prend du temps. A court-terme la solution serait de faire comme en Chine où l'industrialisation s'est faite sur la zone côtière pour contrecarrer le manque d'infrastructures à l'intérieur des terres. Il faut créer en Afrique les enclaves où l'industriel trouvera tout ce dont il a besoin : énergie, télécommunications, main d'?uvre qualifiée...
L'erreur qui a été faite dans le passé a été de vouloir résoudre cette question par la voie la plus longue.

L'intégration régionale semble marquer le pas en Afrique...


L'intégration régionale n'est jamais facile, même en Europe. Il faut d'abord une volonté politique. Des critères de convergence dans certains domaines, l'harmonisation des instruments et des politiques d'investissement par exemple pour les infrastructures seraient aussi nécessaires.
Le problème principal réside surtout dans la volonté politique : nous allons essayer de les aider à les surmonter.

Que pensez-vous du débat entre pays industrialisés et pays émergents sur l'origine du prochain directeur général du Fonds monétaire international (FMI) ?


Le FMI est un organisme très important pour les questions globales mais il doit rester légitime : toutes les parties du monde doivent s'y sentir représentées. Dominique Strauss-Kahn avait commencé ce travail en changeant les quotes-parts du FMI. Dans la déclaration finale du sommet du G20 de Pittsburgh en septembre 2009, il était souligné que « les directeurs de toutes les institutions internationales doivent être désignés en adoptant un processus ouvert, transparent et fondé sur le mérite ». Ce principe est valable pour tout le monde. Si cela obéit à ces critères du G20, peu importe que le directeur général soit un Européen un Américain ou un Africain, un Asiatique. Que le meilleur gagne. Les pays développés doivent donner l'exemple. Cela dit beaucoup d'Européens peuvent aspirer à la direction générale du FMI, y compris la candidate citée aujourd'hui qui me semble excellente. Au bout du compte ce sont les actionnaires du FMI qui doivent décider.

 

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