Pourquoi les Bric (s) ne sont qu'une fiction

L'expression Brics (pour Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) s'est à ce point imposée dans le débat économique que l'on a oublié qu'il s'agit uniquement d'un acronyme symbolisant une construction conceptuelle et non une réalité. L'incapacité des émergents à opposer un candidat commun à Christine Lagarde, pour diriger le FMI, en témoigne.
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Jim O'Neill doit regretter de ne pas avoir déposé un droit d'auteur sur l'acronyme Bric qu'il a créé en 2001 pour caractériser les grandes économies émergentes : Brésil, Russie, Inde et Chine. Car il aurait fait fortune ! Mais cet économiste de Goldman Sachs ne cherchait qu'à désigner d'une formule commode pour ses clients les pays où il recommandait d'investir. Dix ans et une sévère crise financière plus tard, le concept - désormais au pluriel pour inclure l'Afrique du Sud - est passé dans le langage courant comme une entité réelle pesant désormais de tout son poids dans l'économie mondiale. À eux cinq, ils abritent plus de 40 % de la population, 18 % de l'activité mondiale, 15 % du commerce international, et attirent plus de 50 % des investissements internationaux.

Pourtant, la récente course à la direction du Fonds monétaire international (FMI), précipitée par la démission de Dominique Strauss-Kahn, aura démontré que les Brics sont, à ce jour, davantage une construction conceptuelle, voire idéologique, qu'une réalité. En effet, alors qu'ils n'ont cessé de réclamer une meilleure représentation au sein des instances internationales en rapport avec leur poids réel dans l'économie mondiale, ils se sont montrés incapables de s'entendre sur un candidat commun qui aurait pu faire concurrence à la candidate unique de l'Europe, Christine Lagarde. Pourtant, le départ de DSK pour concourir à l'élection présidentielle française de 2012 était largement connu.

Pire, les gouvernements émergents sont restés silencieux, laissant aux commentateurs le soin de multiplier les noms de possibles candidats, la plupart d'ailleurs avec d'excellents profils. Tout cela profite à la ministre française de l'Économie qui a démarré dès lundi une tournée des Brics, mais en bilatéral, ce qui montre une fois de plus que chaque émergent va jouer sa propre partition. En fait, les Brics n'existent pas, c'est un universel abstrait pratique pour désigner ce qui n'est pas l'Occident. Dans les journaux anglo-saxons, on parle de « l'Occident et du reste (du monde) », ce n'est même pas le groupe des « non-alignés » d'antan, qui développait sur fond d'anti-impérialisme un projet alternatif à cet Occident.

Bien sûr, on pourra opposer la tenue du sommet annuel des Brics depuis trois ans. Le dernier s'est tenu en avril, à Sanya sur l'île de Hainan (Chine), dont il n'est sorti rien de concret sinon la mise en place d'une « nouvelle plate-forme internationale d'échanges ».

En revanche, grâce au développement de la mondialisation, caractérisée par la libéralisation des échanges commerciaux et financiers, l'envol de ces économies a tiré des millions d'individus de la misère - 600 millions de Chinois entre 1981 et 2005 - sous l'effet conjugué de révolutions industrielle et urbaine. À tel point que ces acteurs menacent la suprématie économique de l'Occident miné par un manque de compétitivité et le fardeau des dettes souveraines. L'Asie est désormais devenue le centre de gravité de la dynamique du capitalisme mondial, l'Amérique latine suivant, avec la Russie et l'Asie centrale, en attendant l'Afrique. La géographie économique a changé. En 2009, et avec l'avènement du G20, le monde occidental s'imaginait qu'il profiterait de la dynamique émergente pour sortir de l'ornière. C'était la thèse du fameux « découplage », qui a fait long feu tout comme celle qui voyait, il y a dix ans, les émergents fournir la main-d'oeuvre et l'Occident l'innovation et la technologie dans le meilleur des mondes économiques possibles. Depuis, la Chine s'est imposée comme le premier exportateur mondial de biens technologiques en 2010, avec une part de 27 %, selon Euler Hermes.

En fait, les grands émergents sont plutôt liés par des relations commerciales, et donc de concurrence, que par des projets communs. Défendant le principe de non-ingérence dans la souveraineté des pays, chacun poursuit son développement en fonction de ses intérêts propres sans pour autant consentir à élaborer une politique commune qui s'exprimerait sous la forme de propositions originales de gouvernance, tant leurs modèles politique et culturel diffèrent. Bref, les Brics ont des points communs mais des intérêts particuliers. Comme l'indique l'économiste Alexandre Kateb dans un ouvrage qui vient de paraître (*) : « Plus que d'émergence, il faudrait donc parler de convergence pour décrire la dynamique économique à l'oeuvre entre les différentes régions du monde. Cette convergence n'ira pas sans à-coups, ni sans possibles retours en arrière mais elle semble inéluctable à plus ou moins long terme. » La future composition des instances du FMI devrait fournir un indice utile d'une telle convergence.

 

(*) « Les Nouvelles Puissances mondiales », éditions Ellipses.

Commentaires 19
à écrit le 27/06/2011 à 18:11
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Fiction ou pas, le nouveau équilibre mondial demande le transfert inéluctable de pouvoir politique et économique vers l'est! La seule solution est d'aller de l'avant dans le monde mondiisé ! Ceux qui refusent encore de voir la réalité ou à se ref...

à écrit le 18/06/2011 à 23:43
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Et vous qui êtes si sur de vos convictions, pensez-vous vraiment que l'Europe en tant que construction politique soit une réalité... politique... et surtout de conviction ? Je vous pose sincèrement la question !!! J'ai même très peur du mensonge de l...

à écrit le 08/06/2011 à 13:08
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Depuis quand le Brésil et la Russie ont-ils cessé de faire partie du monde occidental? Que je sache, même Lénine n'a pas remis en cause l'oeuvre de Pierre 1e. Quant au Brésil, s'est l'enfant fort peu rebelle de l'empire portugais. L'Afrique du sud n...

à écrit le 07/06/2011 à 8:32
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Un bel exemple de rapprochement utile: l'alignement de la France sur la politique américaine en rejoignant l'OTAN et son inutile "engagement" envers la démocratisation du monde. Heureusement que la moitié soi-disant "sous-développée" ne pense pas com...

à écrit le 06/06/2011 à 21:31
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Ce que je trouve cet article nombriliste, occidental et condescendant. Si ici on essaye de nous faire croire que l'absence d'intérêts commun empèchera les BRICs de farie encore mieux demain, on se trompe. Est-ce une façon encore détournée de calmer l...

à écrit le 06/06/2011 à 13:10
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comme toutes communication financiere, le terme BRIC est devenu "has been" des qu'il est devenu populaire.

à écrit le 06/06/2011 à 11:24
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apres la guerre les etats vaincus au lieu de depenser leurs ressouses a faire la guerre guerre froide guerre d'indochine algerie ou autres ont developpe leur industrie et etaient devenus 2 eme et 3eme economies du monde ; lhistoire n'a rien appris...

à écrit le 05/06/2011 à 19:16
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assez d accort avec cet article..15 pour cent du commerce international..pour la "brics".;soit 3 pour cent par pays..j ai la sensation d un mauvais" embranchement"..d une économie peu" crédible" sauf a la maintenir" la brics"...; sous perfusion comme...

le 06/06/2011 à 8:01
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Mais qui a prétendu que les BRICS était une autre façon que les pays qui ayant la plus forte population et ayant le plus fort développement deviendraient leaders du monde séparément ou en accord? Ce qui est sur c'est que dans un premier temps ils aur...

à écrit le 05/06/2011 à 18:56
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On comprend que des pays vaincus lors de la 2e guerre nondiale se soient inféodés aux US, mais on voit mal comment comment des pays intrinsèquement très grands à tous points de vue comme ceux du BRIC pourraient accepter de devenir les vassaux des aut...

le 06/06/2011 à 8:06
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C'est sur. mais dans un premier temps ils auront un intérêt commun: retirer le pouvoir discrétionnaire de l'occident à dominer le monde par tous les moyens. A noter que leur point commun est qu'à l'inverse de l'occident aucun n'a fait de guerre colon...

à écrit le 05/06/2011 à 9:46
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Est-ce que les Brics fournissent un modèle culturel, social, économique et politique complet et unique alternatif du modèle occidental. La réponse est non. Mais les convergences sont de plus en plus forte et la rapprochement progressif de plus en plu...

le 06/06/2011 à 8:26
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Oui l'inde, la chine, la russie soit près de 50% de la population mondiale ont une culture bien supérieure en particulier aux USA qui prétendent par leur force militaire dominer le monde et imposer leur loi sur ce qu'ils pensent "leur empire".. De m...

le 06/06/2011 à 9:28
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assez d'accord avec Parachute, sauf que la Chine et l'Inde se sont déjà "frictionnés" dans les années 60 et 70 ainsi que l'URSS et la Chine (incident du fleuve Amour en 69-70). Mais rien de très grave. Les temps ont changé depuis. Les Chinois et les ...

à écrit le 04/06/2011 à 20:15
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C'est en effet un genre de regroupement tout à faait formel puisque leur unité est nulle, leurs politiques non concertées, et leur type de développement largement internisé quant aux orientations théoriques. Rien à voir avec les regroupements type AS...

le 06/06/2011 à 8:31
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Mais l'Europe n'existe que depuis 50 ans après des siècles de guerre entre les pays européens. Leur unité nulle? Déjà ils ont un point commun c'est d'être contre la domination imposée souvent par la force de l'occident. Le deuxième point c'est qu'ils...

à écrit le 04/06/2011 à 19:41
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Ce Robert Jules devrait changer de métier. Cet exercice de franchouillardise ne va pas améliorer la position du FMI, ni d'ailleurs celle de Mme Lagarde. Le FMI est déjà suffisamment décrédibilisé. Le but majeure du BRICS est de se débarrasser du doll...

le 06/06/2011 à 4:28
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Excellent, bravo pour la vision d un futur que l on essaie de nous masquer avec l EU et l Euro, qui lui est fait avec de vrais "de bric et de broc"....

à écrit le 04/06/2011 à 8:32
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Effectivement, nous subventionnons ces pays au moyen de l'acceptation de déficits commerciaux pour la Chine aucune contrepartie n'a été demandé avant 2000 pour les dix années suivantes elles ont été fixées au tiers, nous entamons une période qui les ...

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