Le silence assourdissant de Paris sur les réformes institutionnelles bloque toute avancée

Par Florence Autret, à Bruxelles  |   |  704  mots
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Une réponse à la crise actuelle de la zone euro serait une réforme institutionnelle qui favoriserait davantage d'intégration et de contraintes pour les États nationaux. Sur ce point, la France n'avance aucune proposition.

Les sismographes bruxellois n'ont aucun doute là-dessus : une vague de réformes institutionnelles est en train de se former au large. « Ce sera un traité à 27 ou à 17 ou à moins que cela, mais il en faudra un. Et je n'imagine pas qu'on ne reparte pas, dans cette refonte de l'eurozone, des principes posés par la Cour constitutionnelle allemande. » Ainsi parle le dirigeant d'un think tank bruxellois.

Depuis deux ans, Berlin le souhaite et s'y prépare. La chancellerie sonde discrètement les uns et les autres. La CDU, lors de son dernier congrès, a esquissé des pistes. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a tracé des lignes rouges. L'air de rien, en un an, la chancelière a marginalisé les populistes de son allié libéral, le FDP, et a préparé son parti et son pays à un saut fédéral.

Côté français, on a beau tendre l'oreille, on n'entend rien. Récemment, le président de la République a successivement défendu une avant-garde franco-allemande et une Eurozone plus intégrée... tout en se défendant de vouloir mettre en péril l'Europe des Vingt-Sept. Nicolas Sarkozy a réussi à excéder le Premier ministre britannique David Cameron, pas à rassurer Angela Merkel.

En réalité, Paris n'a eu de cesse que de retarder le moment du débat institutionnel et fédéral. Christine Lagarde, à l'époque où elle était à Bercy, a tout fait pour dissuader Wolfgang Schäuble d'ouvrir une réforme du traité. Il fallait « aller vite », réformer à traité constant. Au nom de l'urgence. Résultat, on a passé un an à négocier le « Six Pack », une réforme institutionnelle à traité constant qui ne sera jamais vraiment appliquée, parce qu'elle a été conçue par temps calme et qu'elle s'avère déjà impuissante à combler le déficit de démocratie et d'efficacité qui s'est creusé.

Les changements de gouvernement récents en Grèce et en Italie montrent dans quelle impasse démocratique mène le traité existant. Une partie de l'Europe vit dans un « vacuum » politique, une sorte d'état d'urgence. Les Allemands, c'est vrai, s'en servent pour imposer leurs choix. Mais ils ne s'en accommodent pas. Leur Constitution n'a pas d'article 16.

Si la réponse européenne à la crise a été inadaptée jusqu'à présent, c'est aussi parce que Paris n'a pas voulu donner de gage institutionnel et fédéral à Berlin. La France a perdu du temps et en a fait perdre aux autres. Elle a dilapidé son pouvoir de négociation car le décrochage économique par rapport à son premier partenaire devient chaque jour plus évident. À présent, elle plaide, toujours au nom de l'urgence, pour une intervention massive de la BCE pour calmer les attaques contre l'union monétaire. C'est un peu commode de critiquer l'intégrisme monétaire de Berlin, qui s'oppose fermement à cette option.

Jusqu'à 1991, comme le rappelait récemment l'économiste André Sapir, la Bundesbank exerçait seule le pouvoir monétaire en Europe, les autres banques centrales étant forcées d'ajuster leur politique de taux sur la sienne. Avec l'Union monétaire, l'Allemagne a accepté de partager ce pouvoir, permettant à la France, à la Belgique, à l'Italie, de recouvrer une souveraineté qu'elles avaient perdue de facto. En échange, ces pays n'ont que virtuellement concédé de la souveraineté budgétaire puisque le Pacte de stabilité n'a pas été appliqué.

Pourquoi donc l'Allemagne ferait-elle crédit une seconde fois ? Au nom de l'urgence ? Si, à l'inverse, le roi des Français se montrait prêt à partager son pouvoir fiscal, son bien le plus précieux, à son tour, qui dit qu'elle ne serait pas prête à faire évoluer sa doctrine monétaire ? Lui a-t-on sérieusement proposé ? Y a-t-on même pensé ? En parle-t-on quelque part ?

Le président Sarkozy revendique un droit d'antériorité sur le vocable de « gouvernement économique » européen. Mais cette revendication est-elle plus qu'une tactique permettant de préserver l'« intergouvernementalisme », autrement dit la toute-puissance de l'exécutif français et de contourner les embarras d'un contrôle parlementaire ? Sur le fondement de quels principes démocratiques, économiques et politiques, ce « gouvernement européen » pourrait-il se concevoir ? On aimerait le savoir. C'est urgent.