La bataille (fiscale) du Panama au parlement français

Le Sénat a rejeté ce jeudi après-midi le projet de loi de ratification de la convention fiscale signée par la France avec le Panama, ce dernier étant encore classé comme non-coopératif par le Forum mondial de l'OCDE. Déjà mercredi la Commission des finances s'était exprimée contre, sa rapporteure, la sénatrice Nicole Bricq (PS), jugeant prématurée cette ratification notamment car la législation panaméenne, sur les trust et autres sociétés offshore entre autres, ne permet pas encore un réel échange d'informations fiscales
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Le Panama va-t-il disparaître de la liste française des paradis fiscaux ? C'est tout l'enjeu de débats de cette fin d'année au parlement français. Ce jeudi, entre deux séances consacrées au projet de loi de finances rectificative pour 2011, le Sénat a en effet planché sur la convention fiscale que la France a signée avec le Panama. L'exécutif français a fait expressément mettre à l'ordre du jour l'examen de cet accord fiscal controversé afin de le faire ratifier d'ici la fin de l'année.

Le Sénat, après sa Commission des finances la veille, a rejeté le projet de loi de ratification jeudi, notamment à la lecture du rapport sur cette convention rédigé par la sénatrice Nicole Bricq (PS).

Le texte sera du coup examiné par la Commission mixte paritaire de l'Assemblée et du Sénat la semaine prochaine our essayer de concilier les points de vue des deux Chambres ur la convention.

"Philippe Marini, président, et la grande majorité des commissaires ont partagé la démarche de Nicole Bricq consistant à s?assurer préalablement de la capacité juridique panaméenne à coopérer, avant de ratifier la convention. Cette information devrait être fournie par le Forum mondial lors de la seconde évaluation du cadre légal panaméen au premier semestre 2012" indique le Sénat.

La fameuse liste des paradis fiscaux pénalisés par les autorités françaises (c'est-à-dire les "Etats et territoires non coopératifs") est en effet "mise à jour au 1er janvier de chaque année en tenant compte de la conclusion de nouvelles conventions et de l'effectivité de l'échange de renseignements" fiscaux avec un pays. Or pour le Panama, disparaître de la liste française serait non seulement un nouveau gage d'honorabilité obtenu d'un pays du G7 mais aussi la confirmation de ne plus être mis à l'index sur la liste "grise" des paradis fiscaux de l'OCDE.

Si une juridiction considérée comme non coopérative signe au moins douze traités prévoyant un échange de renseignements fiscaux avec des pays membres de l'OCDE, elle est automatiquement radiée de la liste infamante des Etats favorisant l'évasion fiscale. L'accord en ce sens de Paris avec le Panama conclu le 30 juin 2011 a d'ores et déjà permis au petit pays de l'isthme de ne plus être sur la liste de l'OCDE, la France étant le douzième pays à s'accorder avec lui.

Selon les dires du président du Panama, Ricardo Martinelli, à l'issue de sa rencontre en novembre avec le président français, ce dernier lui aurait promis de faire ratifier la convention fiscale entre les deux pays par le parlement français d'ici la fin 2011.

C'était sans compter avec les fortes réserves émises par le rapporteur de la convention au Sénat, Nicole Bricq. Ce mercredi elle a indiqué à ses collègues de la Commission des finances du Sénat qu'il vaut mieux "reporter la présente ratification". Son avis défavorable se fonde principalement sur l'évaluation de la transparence fiscale réalisée par l'OCDE dans le cadre du Forum mondial.

La sénatrice rappelle ainsi dans son rapport que "d'après le rapport du Forum mondial sur la transparence fiscale en 2011 présenté en novembre dernier au G20 de Cannes, le Panama figure parmi les neuf Etats (les huit autres étant Antigua-et-Barbuda, Barbade, Brunei, Botswana, Seychelles, Trinidad et Tobago, Uruguay et Vanuatu) à ne pas disposer des éléments normatifs essentiels à l'échange de renseignements".

Les neuf pays que Nicolas Sarkozy, en sa qualité de président du G20, avait justement cloués au pilori le 4 novembre dernier, pour leur "comportement inadmissible".

Le souci principal face à cette convention ne porte pas sur la transmission de renseignements sur d'éventuels contribuables français domiciliés au Panama. Le Panama s'engage à fournir formellement de tels renseignements. Mais dans sa législation interne, le petit pays d'Amérique centrale n'oblige pas forcément une société, un particulier à produire ces informations.

"La législation panaméenne ne [permet] pas à ses autorités d'avoir à sa disposition des renseignements relatifs à la propriété et à l'identité de l'ensemble des entités et arrangements concernés [ie notamment des sociétés]", rappelle Nicole Bricq.

Au Panama, l'immatriculation et la domiciliation d'une société par action se fait via un avocat. Or celui-ci ne connaît que l'identité des propriétaires "immédiats ou légaux" et ne doit pas faire état d'éventuels transferts de propriété...

"L'anonymat des actionnaires est préservé (...) il n'existe aucun mécanisme permettant d'obtenir un renseignement sur l'identité de l'actionnaire effectif",rappelle le rapporteur du Sénat.

Cela est notamment facilité par l'existence d'actions aux porteurs au panama : "la difficulté est de déterminer qui contrôle les actions à un certain moment" notent la Banque mondiale et l'ONU dans un récent rapport sur les sociétés écrans souvent utilisées dans les grands cas de corruption.

Les deux organisations internationales indiquent d'ailleurs que parmi 150 cas de "grande corruption" récents qu'elles ont étudiés attentivement et représentant des malversations pour un total de 56 milliards de dollars, cinquante sociétés impliquées étaient domiciliées à Panama...

Des sociétés panaméennes faisaient notamment partie des réseaux de corruption mis en place dans les affaires Rappaport et de l'ancien premier ministre ukrainien Pavel Lazarenko.

Souvent ces firmes ont le statut de fondations de droit panaméen, ce qui leur permet d'éviter les obligations incombant aux sociétés commerciales du pays.

La sénatrice Nicole Bricq rappelle l'absence d'obligation de comptabilité pour moult de ces entités, comme "les trust ou les fondations", et en général des "sociétés commerciales off shore, immatriculées au Panama mais n'y réalisant pas d'opérations économiques".

Le Panama se dit donc prêt à fournir des informations notamment comptables qui n'existent pas pour un grand nombre de sociétés.

Nicole Bricq révèle d'ailleurs que "lors du cycle de négociations à Paris du 26 au 28 mai 2010, la partie française a été confrontée au refus du Panama d'établir une comptabilité pour les sociétés exerçant une activité off shore". Elle exhorte le pays à « abandonner un système qui a fait jusqu'à ce jour sa fortune, c'est-à-dire le placement de produits "off shore" par le biais de grands cabinets d'avocats (...) et de modifier le droit des sociétés afin de prévoir des mécanismes de transparence totale de la comptabilité des sociétés off shore".

A cela s'ajoute la législation panaméenne concernant la divulgation d'informations financières : "le secret professionnel des avocats représente un obstacle potentiellement sérieux". Dans leur rapport commun sur la corruption, la Banque mondiale et l'ONU indiquent d'ailleurs "qu'au Panama si une personne liée à un trust, un agent public dévoile une information concernant un trust, elle doit être sanctionnée par une peine allant jusqu'à six mois de prison et une amende pouvant aller jusqu'à 50 000 dollars".

Le rapporteur de la convention au Sénat souligne que "les interrogations ne portent pas, à ce stade, sur la sincérité de l'engagement du Panama à se conformer aux stipulations de la convention en matière de transparence, mais sur sa capacité à le faire".

Si en ultime lecture, le parlement français devait toutefois ratifier cette convention avec le Panama "en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu", il se montrerait beaucoup plus indulgent que ses partenaires américain ou allemand.
Washington a certes signé une convention fiscale avec Panama en novembre 2010 mais elle ne prévoit qu'un "échange de renseignements". Un accord de suppression des doubles impositions, comme exigé systématiquement par Panama, avantage ce petit pays.

C'est d'ailleurs pour cette raison que Berlin n'a jusqu'ici, malgré "des contacts" avec Panama, pas signé de convention avec le pays du canal.

La procédure suivie outre-Rhin consiste, comme vis-à-vis du Liechtenstein, à d'abord passer un accord "d'échange d'informations fiscales" avant d'envisager plus tard aussi une convention sur la double imposition.

Commentaires 4
à écrit le 19/12/2011 à 14:31
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Merci à la gauche sénatoriale de pousser N Sarkosy à tenir ses engagement du 1er discours de Toulon.

à écrit le 15/12/2011 à 19:11
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On n'arrive même pas à se mettre d'accord entre européens ... d'ailleurs, le président de l'Eurogroupe n'est-il pas luxembourgeois ? Le Luxembourg n'est-il pas un paradis fiscal ? En fait, il faudrait instaurer une préférence communautaire applicable...

à écrit le 15/12/2011 à 12:46
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pour réduire les possibilité de racket , de fraude, et de blanchiment, il faut êtretrès ferme avec tous les paradis fiscaux. pas d'accord au rabais. transparence et l'argent sale diminuera automatiquement.

à écrit le 14/12/2011 à 16:43
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comment va le Panama ??

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