Mobilisation sans précédent contre Vladimir Poutine

Par Emmanuel Grynszpan, à Moscou  |   |  601  mots
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Vedettes du show-biz, hommes politiques et artistes ont presque tous réclamé le départ de l'actuel Premier ministre

Jamais la grogne contre Vladimir Poutine n'a pris une ampleur aussi impressionnante que samedi, avenue Sakharov, dans le centre de Moscou. Entre 80.000 et 120.000 manifestants ont conspué, samedi, le pouvoir de l'actuel Premier ministre. Non moins surprenante fut la diversité des voix s'élevant contre la perspective de six années supplémentaires sous sa férule. Le mot d'ordre de la manifestation était de réclamer des scrutins honnêtes et la démission du président de la commission électorale, un proche ami de Poutine jugé responsable de la fraude massive qui a permis le 4 décembre dernier au parti du pouvoir de prendre une courte majorité des sièges à l'Assemblée nationale. Mais sur la tribune dominant la foule, les vedettes du show-biz, hommes politiques et artistes ont presque tous réclamé le départ de l'actuel Premier ministre, qui entend se faire réélire le 4 mars prochain dès le premier tour pour un troisième mandat de président. Ainsi, Mikhaïl Gorbatchev, qui se remémorait hier très exactement le vingtième anniversaire de sa démission du Kremlin, a enjoint Vladimir Poutine de quitter le pouvoir de son plein gré.

Éviter la révolution

L'une des rares voix à ne pas focaliser ses attaques contre Vladimir Poutine fut celle de son ami de longue date Alexeï Koudrine, ministre des Finances pendant onze ans jusqu'à septembre 2011. Dans sa brève harangue de deux minutes, Alexeï Koudrine, a épousé le mot d'ordre de la manifestation et a proposé de faire l'interface entre la contestation et le pouvoir. Il estime nécessaire « d'organiser les élections présidentielles dans des conditions différentes ». Il a souligné l'importance de « créer un espace de dialogue pour permettre une alternance pacifique vers un nouveau pouvoir choisi par le peuple » afin d'éviter la révolution. Sa proximité avec Poutine lui a valu d'être copieusement sifflé par une partie de la foule, laquelle sifflait d'ailleurs tous les orateurs de l'opposition libérale. Parmi les manifestants, on observait des groupes aussi radicalement opposés que les nationalistes, l'ultra-gauche, les anarchistes et des partis plus modérés.

Le milliardaire Mikhaïl Prokhorov, qui s'est tout récemment découvert des ambitions présidentielles, était présent à la manifestation, mais n'a pas osé prendre la parole, craignant sans doute d'être conspué par la foule. Venu sans gardes du corps, il n'a pas pu éviter quelques boules de neige lancées par des anarchistes. Les oligarques restent en effet très impopulaires, et sont considérés comme de mèche avec le Kremlin. Alexeï Navalny, lui, n'a pas ce problème. Ce blogueur de 35 ans fut le seul à se faire acclamer par une foule unanime. D'abord remarqué pour son travail d'avocat spécialisé dans la défense des droits des actionnaires minoritaires de groupes d'État russes, il est entré cette année en politique. Son expression « parti des voleurs et des escrocs » visant le parti de Poutine a fait un tort énorme au Kremlin et a été repris par les manifestants. Auréolé de sa libération après quinze jours d'emprisonnement écopés pour avoir organisé la toute première manifestation massive de l'opposition, il a prévenu par un discours enflammé le pouvoir qu'il attirera bientôt « un million de personnes » dans la rue. « Nous sommes assez nombreux pour prendre le Kremlin et la Maison blanche [le siège du gouvernement], mais nous sommes pacifiques et nous n'allons pas le faire dans l'immédiat. » Et de conclure par une prédiction : « Le pouvoir changera de mains d'ici à un an. »