A Moscou, même les morts peuvent aller en prison...

Par François Roche  |   |  708  mots
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Par François Roche, conseiller éditorial

Les manifestations de l'opposition du 4 février à Moscou et à Saint-Pétersbourg ont répondu aux attentes de leurs organisateurs. Elles expriment une seule et même revendication, le départ de Vladimir Poutine, dont le nom était associé sur certaines banderolles à ceux de Khaddafi et de Moubarak. Quant aux manifestations organisées par les supporters du Premier ministre russe, elles ont eu lieu aussi, sans grand enthousiasme au vu des images tournées par la télévision russe, rapportant même les propos de certains des manifestants, confirmant leur hostilité à Poutine mais indiquant qu'ils étaient là parce qu'ils étaient obligés par leur employeur et leur administration... C'est dans ce contexte que se déroule une campagne présidentielle qui se caracétrise par une absence de réel débat public sur les enjeux économiques auxquels est confrontée la Russie. Vladimir Poutine a d'ores et déjà indiqué qu'il ne participerait à aucun débat télévisé avec ses adversaires. Il envoie sur les plateaux  certains de ses 499 "représentants", telle que la politologue Natalia Narochnitskaya, laissée seule dans un périlleux face à face avec le redoutable leader nationaliste Vladimir Jirinovsky, le col de chemise déboutonné, la cravate en bataille, et le ton vindicatif. Un peu comme si un responsable local de l'UMP était chargé d'affronter Marine Le Pen dans une émission politique de grande écoute...Bien sur, personne ne doute à Moscou du fait que Vladimir Poutine sera élu à la Présidence de la Fédération de Russie le 4 mars prochain. Les seules incertitudes sont celles du score, du fait de savoir s'il y aura un seul tour ou deux et quelle sera l'ampleur des manipulations si le pouvoir a la maladresse de réitérer l'expérience malheureuse des législatives. 

Retour de l'heure d'été...

Pour autant, il ne faudrait pas croire que rien ne va changer en Russie. Le pouvoir poutinien est face à un paradoxe: s'il veut se maintenir en place pour deux mandats de six ans, et préserver la mainmise sur le pays jusqu'en 2024, il doit changer. Mais ce changement ne peut se faire qu'à son détriment, car il prendra la forme d'une diminution du contrôle de l'Etat sur l'économie et d'une lutte réelle contre la corruption, dont les Russes sont de plus en plus dégoutés. Et face à cette perspective, le candidat Poutine est mal à l'aise, se déclarant tout à la fois en faveur de la libéralisation et la diversification de l'économie, de l'élimination de la corruption du sommet de l'Etat et de l'administration et du renforcement du rôle des entreprises d'Etat, lesquelles constituent précisément les place-fortes que les amis du Premier ministre ont ibnvestise ces dernières années, dans le pétrole, l'aéronautique ou les matières premières. En attendant, la déconstruction de ce qu'avait accompli Dmitri Medvedev, qui est déjà passé aux oubliettes, se poursuit et prend parfois un tour assez comique. Ainsi après avoir contredit "son" Président sur le retour de l'élection des gouverneurs de régions au suffraghe universel, Vladimir Poutine vient de promettre l'abandon d'une autre réforme de Medvedev: l'abolition de l'heure d'été en 2010. Cette dernière va être rétablie... 

Khodorkovsky applaudi

Quant à la communauté des affaires, elle considère la situation avec circonspection. Lors d'une récente conférence publique à laquelle participait beaucoup de dirigeants d'entreoprises et de banquiers, l'un des intervenants s'est attiré une salve d'applaudissements en réclamant la libération de Mikhaïl Khodorkovsky, l'ancien patron de Yukos, sous les verrous depuis 2003. Réaction très innattendue de la part d'un milieu qui avait jusque là choisi le mutisme le plus total lorsque le sort de l'ancien "whizz kid" russe était évoqué. Pour le reste, les milieux d('affaires ont tout lieu de rester prudents. Le parquet de Moscou serait sur le point d'organiser un procès pour fraude fiscale contre Sergeï Magnitsky, un avocat de la société d'investissement Hermitage Capital. Apparemment, le fait que Magnitsky soit mort en prison, faute de soins, en 2010, alors qu'il était enfermé depuis un an sans procès, ne semble pas poser de problèmes aux enquêteurs...