La Chine condamnée à réviser sa stratégie économique en Amérique Latine

Depuis des années, l'Amérique latine est une destination prisée des investissements de la Chine qui veut sécuriser ses approvisionnements en matières premières. Mais le continent sud-américain se doit de rééquilibrer cette relation pour éviter une trop grande dépendance préjudiciable à long terme pour son développement.
La compagnie pétrolière chinoise Sinopec est notamment présente en Argentine/AFP

Au cours de la dernière décennie, les rapports entre la Chine et l'Amérique latine se sont construits autour d'un axe quasi unique  : les ressources naturelles. L'ex-Empire du Milieu a des besoins colossaux de minerai de fer, de cuivre, de pétrole, de soja, de blé... dont l'Amérique latine regorge. Ce dynamisme s'illustre par l'augmentation des investissements bilatéraux entre les deux régions qui ont bondi en dix ans de 1.400 %, pour atteindre un montant de 140 milliards de dollars.

Mais l'Amérique latine n'est pas l'Afrique : elle veut une collaboration plus équilibrée avec le géant asiatique qui s'organise. Une messe annuelle où se presse le mondes des affaires, le « Latin America China Investors Forum », va d'ailleurs connaître cette année sa quatrième édition. Elle se tiendra les 11 et 12 septembre à Pékin.

Un fonds commun d'investissement d'un milliard de dollars

Plus modeste mais révélateur, la Chine et la Banque de développement inter-américaine (IDB) ont annoncé ce mardi la création d'un fonds commun d'investissement doté de 1 milliard de dollars qui sera consacré à acheter des actifs sous forme financière ou de participations dans des entreprises publiques ou privées en Amérique latine.

En matière d'investissements directs (IDE), la Chine se classe première avec une part de 9% du total, focalisée sur l'extraction minière et pétrolière qui représente 90% des 15 milliards de dollars de ses IDE en 2010, selon les chiffres fournis par la Commission économique de l'Amérique latine et des Caraïbes (ECLAC). Mais contrairement à l'Afrique, les entreprises chinoises sont loin d'être dans une position dominante en Amérique latine. La plus importante se trouve au Pérou, « où elles pourraient contrôler à l'horizon 2020, si tous les investissements prévus se réalisent, quelque 25% de la production de cuivre », indique Miguel Pérez Ludeña, économiste à l'ECLAC, dans une étude publiée par le Vale Columbia Center, à New York. Autre exemple de cette participation modeste, sur les 30 milliards de barils de pétrole de réserve du Brésil, les Chinois n'en possèdent qu'un milliard.

Pas de stratégie planifiée de Pékin pour les compagnies chinoises

On pourrait penser que le gouvernement chinois, qui contrôle la plupart de ces compagnies publiques - comme la pétrolière Sinopec présente depuis le début des années 1990 au Pérou, en Equateur et au Venezuela - vise à travers une stratégie planifiée dans les plus hautes sphères du pouvoir chinois un développement international et à prendre des parts importantes dans les entreprises du continent. « C'est difficile à établir, car si on examine de prés la stratégie suivie par ces compagnies minières et pétrolières en Amérique latine on voit qu'elle est identique à celle suivie par leurs consoeurs européennes et américaines : elles cherchent une intégration verticale et à se couvrir contre le risque de fluctuation des prix », explique Miguel Pérez Ludeña.

« En fait, la plus importante contribution de la Chine aux secteurs des matières premières ne s'exerce pas tant par les IDE qu'à travers le commerce , le pays étant la plus importante destination pour les producteurs de cuivre, de minerai de fer et de soja du continent », ajoute Miguel Pérez Ludeña, économiste à l'ECLAC. L'obsession de la sécurisation de ses approvisionnements en matières premières se retrouve dans ses importations, du pétrole du Vénézuela et du Brésil, du minerai de fer du Brésil, des métaux non ferreux du Pérou et du Chili, ou encore du soja de l'Argentine et du Brésil.

Des crédits chinois d'un montant de 75 milliards de dollars

On retrouve cette même approche dans sa politique de crédits, un autre fer de lance de sa présence sur le continent sud-américain. Selon une estimation de l'« Inter-American dialogue », ce sont quelque 75 milliards de dollars de crédits que Pékin a accordés aux pays de la région, dont 82% via la China Development Bank (CDB). Les principaux bénéficiaires en ont été le Vénezuela, le Brésil, le Mexique et l'Argentine. A titre de comparaison, ce montant dépasse les prêts cumulés accordés par la Banque mondiale, la Banque inter-américaine de développement, ainsi que la Banque export-import des Etats-Unis.
Mais comme le souligne le rapport de l' « Inter-American Dialogue », ces crédits consentis à des conditions particulièrement attractives sont soumis à des clauses "imposant à l'emprunteur d'acheter de l'équipement BTP, des télécommunications, des satellites et ou encore de la construction ferroviaire chinois ».

Du côté des pays récipiendaires, cet afflux d'investissements sous toutes ses formes a pour contrepartie de développer les secteurs miniers et pétroliers, et dans une moindre mesure agricole, au détriment de l'industrie manufacturière, un déséquilibre qui pourrait avoir des conséquences sur le long terme. « Les gouvernements d'Amérique latine devraient répondre à cet afflux financier en mettant en place des politiques définissant un cadre macroéconomique, des mesures fiscales spécifiques et de véritables choix industriels de façon à orienter les IDE, notamment chinois, vers le secteur manufacturier et le développement d'infrastructures propres à favoriser des capacités de production dans d'autres domaines », préconise Miguel Pérez Ludeña.

Un marché brésilien attractif
Toutefois, la situation pourrait évoluer, notamment avec la volonté de Pékin de réorganiser la structure de son économie au profit d'une croissance plus durable et moins dépendante du dynamisme de ses exportations. En devenant une puissance économique mondiale, la Chine doit aussi penser à son développement hors de son marché local.

Ainsi dans le secteur manufacturier, les compagnies chinoises lorgnent le marché brésilien, et sa population de plus de 200 millions d'habitants. Par ailleurs, le plus grand pays du continent à un besoin criant d'infrastructures, un secteur pour lequel la Chine conjugue expertise et compétitivité acquises sur son propre territoire depuis une trentaine d'années avec l'inédite accélération de sa révolution urbaine et industrielle.

En outre, en raison de la hausse rapide des coûts de la main d'oeuvre en Chine, en particulier sur les régions côtières, certains pays, comme le Mexique, présentent un intérêt compétitif en la matière. « La focalisation courante sur la compétition avec les exportations chinoises sur les marchés internationaux peut évoluer vers une intégration du secteur manufacturier dans les réseaux de production des compagnies chinoises », souligne ainsi Miguel Pérez Ludeña. Ce serait un nouveau signe que la Chine joue un rôle de premier plan dans la globalisation de l'économie mondiale.
 

Commentaire 1
à écrit le 20/03/2012 à 21:10
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