"Le credo du Tea Party : l'Etat n'a pas à se mêler de la vie privée des individus"

L'écrivain Olivier Guez a vécu trois mois dans l'Amérique profonde, parcourant durant quatre semaines 7.000 km en voiture, de l'Arizona à Chicago. Il en a tiré un livre ("American Spleen", éditions Flammarion) qui retrace ce voyage d'exploration de l'Amérique de la grande récession, à travers la découverte de la galaxie de la nouvelle droite et de ses nombreux acteurs, célèbres ou pas.
Oivier Guez, (c) Didier Pruvot/Flammarion

Malgré la fin de l'ère Bush Junior, et la victoire de Barak Obama, la droite américaine a été bousculée par le mouvement populaire des « Tea Party », qui sont-ils ?
Le mouvement est un amalgame des différentes familles de la droite americaine. Les Tea Party, c'est d'abord une réaction de raz-le-bol à la crise économique et financière de 2008 et à sa gestion par les administrations Bush et plus encore Obama. Intellectuellement, le mouvement est dominé par les libertariens, qu'incarne Ron Paul, leur candidat à l'investiture présidentielle républicaine. il réalise d'ailleurs des scores honorables. Les libertariens militent en faveur du libre marché aboslu et de la liberté des m?urs : leur credo est que l'Etat n'a pas à se mêler de la vie privée des individus, qu'il s agisse de leur vie sexuelle, de leur usage de drogue ou d'armes à feu. Ils considèrent que le rôle de celui-ci doit être limité à ses fonctions régaliennes. En politique internationale, ils s'opposent à toute intervention militaire hors des Etats-Unis autant que possible. Sociologiquement, on trouve schématiquement deux types de libertariens : il y a d'une part un population urbaine plutôt jeune et aisée, que l'on pourrait comparer à nos bourgeois bohèmes européens mais en nettement plus libéraux sur les questions economiques ; et d'autre part, les Américains qui vivent plutôt dans des régions plus rurales de l'ouest, où le mythe fondateur du pionnier reste vivace sous la figure du "self-made man".

Est-ce lié à Barak Obama ?
A l'évidence, il y a une réaction contre Obama, qui a beaucoup déçu. Pour les membres du Tea Party, et mis à part le cas des racistes, minoritaires, l'actuel président est considéré comme étatiste, interventionniste, qui est allé encore plus loin que son prédécesseur George W. Bush. Les gens considèrent que l'Etat est trop intrusif dans leur vie et que son immixion dans le champ économique est nocif et malencontreux. C'est un point de vue qui diffère radicalement de l'Europe, où par exemple une entreprise comme Goldman Sachs est critiquée per se parce qu"elle incarne la dérive de la financiarisation à outrance de l'économie ces dernières années et qu'il y a un rejet des sociétés financières depuis la crise. Aux Etats-Unis, Goldman Sachs est critiqué parce qu'il a fait des affaires en collusion avec l'Etat fédéral, avec le Trésor, et c'est à cause d'un tel lien qu'il y a rejet. Car le banquier est encore perçu par une majorité d'Américains comme un métier honorable qui fait notamment vivre plusieurs personnes en contribuant au fonctionnement de l'économie de la communauté.

Cette méfiance à l'encontre de l'Etat est-elle un phénomène nouveau?
Non, c'est une constante dans l'histoire des Etats-Unis. On la constate par exemple dans les années 1970 à cause de la perte de la guerre du Vietnam et du scandale du Watergate. A l'époque existe déjà un mouvement des Tea Party, un mouvement de contestation en Californie à la fin des années 1970, qui souhaite et obtient par référendum la baisse de la fiscalité des individus ; du côté du parti républicain, la candidature à la présidence de Barry Goldwater en 1964 conteste l'intervention croissante de l'Etat dans l'économie et la société americaines depuis le New Deal de Roosevelt. Goldwater s'inspire notamment de l'?uvre qui glorifie l'individualisme de la romancière Ayn Rand. C'est cette dynamique qui aboutira 16 ans plus tard à l'élection à la présidence des Etats-Unis de Ronald Reagan, qui fait la synthèse des droites américaines, anti-étatiques, religieuses et conservatrices sur le plan des moeurs. Durant les années 1970, le parti démocrate perd une partie de son électorat traditionnel blanc, qui refuse de payer pour l'émancipation des Noirs. Les présidents Richard Nixon (1969-1974) et Ronald Reagan (1981-1989) récupèreront ainsi le vote des ouvriers blancs. C'est la même logique que l'on retrouve à l'?uvre avec le Tea Party, dont les membres, pour beaucoup des baby boomers craignent les coûts de l intégration des "Latinos" à la société americaine. Ces derniers revendiquent leur place dans la société américaine, comme les Noirs des années 1960. Après le "black power" contre le "white power" des années 1960, c'est le "brown power" contre le "grey power", celui des retraités.

Dans la primaire en cours, Matt Romney n'arrive pas vraiment à s'imposer. Pourquoi ?
Romney manque particulièrement de charisme et de convictions. Il est trop à gauche pour nombre de conservateurs, notamment issus des Tea Party. En outre, les chrétiens évangéliques sont très mal à l'aise parce qu'il est de religion mormonne, qu'ils ont très longtemps considérée comme une secte. Par ailleurs, il fait partie de l'élite fortunée du nord-est des Etats-Unis et n'a que peu à voir avec les valeurs qui animent les membres du mouvement, qui sont en colère contre la puissance de l'argent.

Dans ces conditions, Barak Obama a toutes les chances d'être réélu ?
Son mandat a été décevant mais pas catastrophique. Il manque de vision et de convictions par rapport à des présidents marquants comme Reagan ou Roosevelt. Il n a pas été à la hauteur des événements historiques qui l'ont porté au pouvoir, il n a pas pris suffisamment le pouls de son pays, de ses angoisses, de son manque d'assurance. Il a malheureusement manqué la réforme financière, celle de Wall Street, car ses collaborateurs font partie de ce monde, comme le secrétaire au Trésor Timothy Geithner. Barak Obama était trop amateur en la matière, son profil ne l'avait pas préparé à affronter les graves problèmes de l'économie américaine, il ne s'attendait pas une telle crise. La crise de 2008 assure sa victoire mais elle l'a pris au dépourvu. Aussi a-t-il dû parer au plus pressé et faute d'équipe prête à affronter la crise, il a dû reprendre en catastrophe l'équipe de Bill Clinton. On a ainsi vu revenir des gens comme Larry Summers, lequel avait présidé à la libéralisation et la déréglementation de la finance dans les années 1990. Barak Obama devrait être réélu parce que ses concurrents républicains sont faibles et si l'économie poursuit son rétablissement.

Quel est l'avenir pour les Etats-Unis ?
Avant ma traversée du pays, je pensais que l'Amérique que je trouverais serait en colère mais c'est de la mélancolie, du spleen, une crise existentielle que j'ai surtout ressentie. Depuis septembre 2001, les Etats-Unis ont perdu leur statut d'hyper-puissance. Depuis la fin de la guerre froide, le monde était américain, c'était l'époque du "consensus de Washington", de "la fin de l'histoire", d'un monde modelé sur la société américaine, ses valeurs, son fonctionnement. En 10 ans, tout a changé, à cause de la crise économique mais aussi des fiascos des guerres en Afghanistan et en Irak, de la montée en puissance des émergents et de la Chine en particulier, des scandales financiers à répétition. Les "reaganomics" sont en panne. Les Américains sont inquiets, désemparés, ils se posent beaucoup de question quant à l'avenir de leur nation et aussi plus prosaïquement de celui de leurs enfants. sans compter que l'évolution démographique va opérer un changement au sein de la population de moins en moins blanche. Les Américains sont inquiets pour l'avenir.

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