La Grèce au pied du mur

Austérité ou solitude ? Le dimanche 17 juin, les Grecs voteront pour choisir entre des partis qui les ont conduits à la ruine mais acceptent les mesures de rigueur exigées par les bailleurs de fonds internationaux, ou d'autres qui refusent le programme d'austérité mais risquent de leur faire perdre la vitale aide internationale pour éviter la banqueroute. Pourtant, même si nombre de Grecs souffrent de la récession économique, les efforts considérables qu'ils ont fournis ont contribué à assainir les finances publiques, comme le montre un premier bilan.
Dans le centre d'Athènes, le 28 mai 2012, une manifestation contre les licenciements et les baisses de salaires. [AFP PHOTO / LOUISA GOULIAMAKI]

Le 17 juin, les Grecs feront face à un dilemme. Soit accepter la poursuite de l'application du programme d'austérité fixé par la Troïka, condition pour continuer à percevoir l'aide financière de l'Europe et du FMI et pour pouvoir rester dans la zone euro comme le souhaitent une majorité de Grecs, soit rompre avec cette politique.

Dans le premier cas, ils devront voter pour les conservateurs (Nouvelle Démocratie) ou pour les socialistes (Pasok), les deux partis qui défendent l'application du « mémorandum ». Paradoxalement, ce sont ces deux formations qui sont largement responsables de la crise actuelle. Leur clientélisme érigé en modèle politique dans leur exercice du pouvoir depuis la chute de la dictature des colonels en 1974, s'est caractérisé par l'immobilisme, la gangrène de la corruption, voire la falsification des comptes publics. Le 6 mai, ils ont été sanctionnés par les électeurs grecs. Le seront-ils à nouveau le 17 juin ?


Dans le second cas, en particulier avec une victoire du Syriza, qui regroupe une coalition hétéroclite de 13 formations couvrant le spectre de l'extrême gauche voulant briser la logique de l'austérité, il s'agit d'un saut dans l'inconnu. Europe et FMI n'ont cessé de répéter qu'en cas de dénonciation du mémorandum qui définit la politique à suivre pour la Grèce, l'aide serait suspendue. Une sortie de l'euro et un retour à la drachme seraient alors inévitables si chacun campait sur ses positions. Dans une note d'analyse publiée lundi, l'agence de notation Standard & Poor's évaluait à une chance sur trois le choix de la sortie de l'euro. Il faudra donc attendre le 17 juin pour connaître le destin que se seront choisi les Grecs.

En attendant, il est instructif d'établir un premier bilan chiffré de la politique d'austérité menée dans le cadre du plan de sauvetage mis en place en 2010. Un bilan que ni les partis en présence, ni les dirigeants internationaux, n'ont mis en avant durant la campagne, préférant jouer sur une dramatisation à l'extrême.

D'emblée, rappelons ce qu'est « l'aide internationale ». Entre mai 2010 et décembre 2011, la Grèce a reçu 73 milliards d'euros pour pouvoir honorer ses engagements et assurer le fonctionnement de l'État et de son administration. 52,9 milliards d'euros ont été fournis par les États membres de l'Union européenne (dont 15,2 milliards d'euros pour l'Allemagne et 11,4 milliards d'euros pour la France) et 19,9 milliards par le FMI. Il est prévu de verser 130 milliards d'euros supplémentaires dans le cadre de la deuxième aide sur la période 2012-2014 par l'intermédiaire du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Les taux de ces prêts vont, selon les tranches, de 2,673 % pour la plus faible, à 4,528 % pour la plus élevée. Selon la Commission européenne, la République hellénique ne pourra pas revenir se financer sur les marchés avant au mieux trois ans. 50 milliards d'euros sont prévus dans ce plan pour la recapitalisation des banques grecques. Parallèlement, le FMI déboursera 28 milliards d'euros sur quatre ans.


Rappelons également la contribution « volontaire » des investisseurs privés à travers le PSI (Private Sector Involvment), qui par un échange d'obligations (swap) a permis d'effacer 106,5 milliards de dette publique grecque (soit la moitié de celle détenue par les investisseurs privés) sur un total de 335,6 milliards d'euros, à la fin 2011 (165,3 % du PIB). L'objectif est de rendre soutenable ce poids de la dette du pays en la ramenant à 120 % du PIB d'ici à 2020.Cette aide a permis de poursuivre l'assainissement des finances publiques. en 2009, année où le Premier ministre fraîchement élu, le socialiste George Papandréou, annonce que les statistiques sont fausses, ce déficit s'est établi, selon les dernières révisions, à 15,8 % du PIB. Il devrait s'afficher à 7,3 % en 2012, soit une baisse de 8,5 points. Historiquement, cette baisse est remarquable et inédite, compte tenu d'une croissance économique négative dans le même temps. L'objectif est de ramener ce déficit à 4,6 % en 2013 et 2,1 % en 2014. le déficit primaire (hors service de la dette) s'élevait à 2,5 % du PIB en 2010, il devrait s'afficher à ­1 % cette année pour devenir largement excédentaire, de 4,5 %, en 2014.Cette politique de réduction des dépenses publiques touche en premier lieu l'administration grecque et les services publics, la règle étant, outre les réductions de certains salaires en 2010, de ne remplacer qu'un fonctionnaire pour cinq départs, avec pour objectif de réduire de 150 000 (15 %) les postes dans un secteur public qui emploie un actif grec sur quatre.la consommation intérieure (privée comme publique) qui était le soutien de la croissance - mais dopée par le crédit public depuis des années - est la première touchée par l'austérité. elle est en constante baisse depuis 2009 et ne devrait se stabiliser, au moins pour la consommation des ménages, qu'à partir de 2014. Ce qui se traduit logiquement par une contraction de l'activité. Pour 2011, le PIB s'est ainsi contracté de 6,9 %, et devrait à nouveau baisser de 4,75 % cette année. Et le retour de la croissance, initialement prévu pour 2013 sous la forme d'une stagnation, est d'ores et déjà repoussé à 2014. Mais c'est surtout l'explosion du chômage qui illustre de façon criante la dégradation de la situation sociale grecque. Il est passé de 8 % en 2009 à 18 % en 2012, avec des pointes de 20 % dans certaines régions.

Le point noir des politiques menées ces dernières années est la difficulté à engranger des recettes, en raison de la fraude et de l'évasion fiscale. en 2009, l'État grec levait 88,1 milliards d'euros de recettes, il en a levé 88,5 milliards en 2011, devrait récolter 86,3 milliards en 2012 et 85,5 milliards en 2013. Ce manque à gagner est à mettre au compte de la récession, les contributions sociales passant de 29,5 milliards en 2009 à 25,1 milliards d'euros en 2012, les impôts directs et indirects stagnant plus ou moins.

La réelle volonté de lutter contre la fraude fiscale et l'évasion fiscale ne devrait pas être mal perçue par la majorité des Grecs. Ce type de mesures devrait permettre de triompher des retards de la bureaucratie, de la résistance des différents lobbies, des intérêts corporatistes, et briser les tabous d'une politique clientéliste. Mais il manque l'essentiel : la volonté politique des gouvernements.
Par ailleurs, le programme de privatisations d'un montant de 50 milliards d'euros annoncé en 2010 et qui devait participer à l'amélioration rapide des comptes publics a vu ses ambitions révisées à la baisse, non pas sur son montant mais sur sa programmation. En effet, le climat des affaires n'était pas favorable pour l'investissement privé, qui a déjà dû accepter la dépréciation des bons du trésor dans le cadre du PSI. Aussi, à court terme, 5,2 milliards d'euros devraient être collectés cette année, 9,2 milliards en 2013, notamment à travers les cessions de parts dans le capital des compagnies de téléphones (OTE) et dans les aéroports.


Le secteur bancaire grec est à genoux. Le PSI l'a fortement impacté, et les retraits importants effectués ces derniers mois ont encore réduit sa marge de man?uvre en tant qu'acteur essentiel du financement de l'économie, en particulier les PME. Il y a donc nécessité à recapitaliser les banques, notamment à travers le fonds grec de garantie bancaire, le fonds hellénique de stabilité financière (FHSF) abondé à travers le FESF, et piloté dans ce but. Le FHSF a déjà reçu 18 milliards d'euros qui seront répartis entre les quatre principales banques du pays (Banque nationale de Grèce, Banque du Pirée, alpha Bank et Eurobank). En tout, le programme prévoit le versement au secteur bancaire de 50 milliards d'euros.la Grèce ayant depuis des années un problème de compétitivité pour renouer avec la croissance, le mémorandum prescrit l'adoption de réformes structurelles pour l'améliorer avec l'objectif de réduire de 15 % en trois ans le coût du travail dans le secteur privé. Cela passe notamment par la fin du numerus clausus de nombreuses professions. Vingt d'entre elles, notamment les notaires, ont déjà fait l'objet d'une telle libéralisation. Ainsi la concurrence a entraîné une baisse en moyenne de 30 % des frais notariaux. Pour la Commission européenne, l'une des conditions nécessaires de l'amélioration de la situation économique est le retour à la compétitivité par des réformes structurelles. Sans ces réformes, martèle Bruxelles, l'amélioration de la compétitivité prendra plus de temps, et s'opérera essentiellement par la réduction des importations et une baisse du coût du travail par la pression du chômage.

C'est précisément ces réformes que refuse le parti de la gauche radicale, Syriza. Il rejette en particulier la réforme du marché du travail, censée favoriser la compétitivité, la croissance de l'emploi et la réduction des coûts de production. Ce parti qui pourrait arriver en tête du scrutin du 17 juin propose, en revanche, de réduire les dépenses publiques moins rapidement que ne le prévoit le mémorandum. Il n'est cependant pas favorable à une hausse de ces dépenses : il entend simplement redéployer les aides sociales et faire le ménage dans les exemptions fiscales, notamment aux armateurs et à l'Église orthodoxe. Exemptions qui ont été conservées par les partis favorables au mémorandum. Syriza cherche en réalité à faire repartir la consommation par une baisse de la TVA sur les produits « de base ». Une stratégie inverse de celle prônée par l'Europe qui voit dans une reprise de la consommation un nouvel accroc à la compétitivité et un accroissement des déséquilibres macroéconomiques.

Le seul vrai point positif obtenu pour le moment est l'amélioration des exportations (nettes) qui ont apporté, en 2011, 2,4 points de PIB au pays. Elles devraient, du reste, être la seule source de croissance cette année. Pour autant, la Grèce est victime depuis l'année dernière du ralentissement de l'activité dans l'ensemble de l'union européenne, ce qui pèse sur leurs exportations. Surtout, cette amélioration ne permet pas, pour le moment, de compenser la chute de la demande intérieure.les Grecs se retrouvent finalement à devoir choisir entre la peste et le choléra. Vouloir quitter la zone euro ne résoudra pas les problèmes structurels, et sa souveraineté pourrait bien se retrouver limitée par des problèmes plus aigus. D'autre part, la politique imposée par Bruxelles en échange de l'aide est subie avec difficulté et prendra du temps à produire des effets positifs. Surtout, le problème récurrent des élites grecques reste entier. Elles n'ont jamais été véritablement à la hauteur des enjeux notamment européens. Aucune formation n'arrive véritablement à rassembler une majorité. La Grèce paye aujourd'hui surtout son histoire. Si le réalisme devait s'imposer, la mise en place d'institutions capables de traiter à égalité les citoyens grecs pourrait être à même de faire supporter l'austérité présente, qui ne devrait s'atténuer que dans quelques années.

Commentaire 1
à écrit le 16/06/2012 à 16:04
Signaler
En Grèce se sont les élections qui créent problème donc il faut les supprimer. Depuis l'euro le peuple n'est plus souverain. F. Hollande fait la leçon aux Grecs afin qu'ils votent bien c'est à dire comme le veulent les tirants qui nous gouvernent. No...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.