REPORTAGE : Chaque jour, trois nouveaux Français s'installent à Dubaï

Par Elisa Perrigueur, à Dubaï  |   |  1104  mots
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Le nombre de Français installés dans cet Émirat a doublé en cinq ans. Et ce n'est pas fini : 100 nouveaux ressortissants français s'inscrivent chaque mois au consulat. À Dubaï, ils constituent désormais la deuxième population d'origine européenne, après les Britanniques. 75% d'entre eux ont moins de 40 ans...

Sur les immenses avenues qui traversent les forêts de gratte-ciel de Dubaï, le luxe insolent s'exhibe sans complexe : des Lamborghini, des 4x4, toujours plus puissants, se comptent par milliers. Au volant de l'un d'eux, Dominique Caron, un expatrié français. « Ici, personne ne vous reproche d'avoir de l'argent, c'est un plaisir », jubile ce dentiste. Ce praticien a exporté son activité ici il y a cinq ans. Séduit, à l'image de nombreux étrangers, par la politique fiscale de l'Émirat : ni impôts sur les sociétés, ni impôts sur le revenu. Indiens, Pakistanais, Bri-tanniques, Américains... Les expatriés venus faire fortune à Dubaï représentent 88% des 2 millions d'habitants. « Je peux travailler comme je veux, avec le matériel que je veux, viser la qualité et je gagne bien plus qu'en France », affirme le dentiste, souriant de toutes ses dents.
Le cabinet dentaire de Dominique Caron, un « Versailles » miniature, se fond parmi les établissements médicaux du quartier Health Care City. Fauteuils Louis XIV, tapisseries fleurs de lys jaunes sur fond bleu... Un style pompeux pour attirer sa riche clientèle. À l'entendre, les Émirats arabes unis sont un véritable Far West. Dans cette société « sans syndicats, ni grèves », Dominique Caron se réjouit d'embaucher à sa guise, « quant aux licenciements, c'est... très libre ».

Des français de culture arabe, un plus valorisé

À l'instar de ce dentiste, les Français sont nombreux à avoir rejoint ce qu'ils surnomment « l'eldorado Dubaï ». Aujourd'hui, 100 de nos compatriotes s'inscrivent chaque mois au consulat de France. « Nous sommes environ 15000 Français aujourd'hui, précise Hubert Sévin, directeur de l'Alliance française, fraîchement arrivé dans l'Émirat. Le nombre a doublé en cinq ans. Les moins de 40 ans représentent 75% des expatriés. Les lycées saturent, il y a des listes d'attente, observe-t-il. Beaucoup de Français, issus de l'immigration d'origine nord-africaine parlant arabe ont trouvé leur place ici. » Des diplômés qui « se sentent sans doute un peu victimes de discriminations en France », analyse Hubert Sévin, se trouvent de fait avantagés à Dubaï.
Pour Laurent Rigaud, un des dirigeants des hôtels Golden Sands, « la crise que traverse la France explique également » cet afflux de compatriotes. De son bureau niché au 33e étage d'une tour design tout en verre et acier, l'expatrié surplombe une marina ultramoderne où se coursent les hors-bord et jet-ski. « Les Français cherchent des plateformes comme celle-ci, où il y a du travail, assure-t-il, en balayant dans un large geste le panorama qu'il a sous les yeux. De nombreuses entreprises françaises viennent pour participer à la construction de la ville. »De fait, les chantiers de complexes urbains, hôteliers ou balnéaires se multiplient dans ce qui n'était encore il y a seulement quarante ans qu'un désert où quelques pêcheurs de perles survivaient le long du littoral. Avant que ne commence l'exploitation du pétrole...

Une dette colossale

Trop rapide, cette croissance, explosive ces dernières années, a failli emporter Dubaï lorsque la crise financière a éclaté. Au point où, appelé à la rescousse, l'austère Émirat voisin, Abu Dhabi, riche de ses pétrodollars et d'une gestion moins exubérante, avait dû intervenir. Il en reste une dette souveraine colossale à Dubaï, qui a culminé à 113 milliards de dollars. Pourtant, il en faudrait plus à Dubaï pour oublier sa folie des grandeurs. Avec une croissance de 13% par an et un taux d'occupation des hôtels qui frôle les 85%, le tourisme demeure l'un de ses secteurs phares.
Pour les expatriés, français ou autres, pas question cependant de songer à s'intégrer. L'intégration n'existe pas dans cet empire de buildings et de sable. « Il est impossible pour un étranger de devenir Émirati », précise le jeune Alexandre, résident depuis six ans à Dubaï. Les Émiratis bénéficient de privilèges auxquels aucun étranger ne peut prétendre. « Ils ont une maison offerte par l'État lorsqu'ils se marient, des supermarchés d'État pour faire leurs courses et des emplois réservés. » Et lorsqu'un étranger installe son entreprise, « il doit faire un partenariat avec un Émirati qui détiendra 51% des parts de la société, précise Dominique Caron. Et il est déjà arrivé qu'un entrepreneur se fasse licencier du jour au lendemain sans motif ».

Au pied de la plus haute tour du monde, Burj Khalifa (828 mètres), un flot ininterrompu de consommateurs pénètre dans l'immense Mall de Dubaï (800000 m2), un des nombreux centres commerciaux de la ville. Mille cinq cents magasins répartis sur plusieurs étages dans les allées interminables. Marie Lys y travaille dans une chocolaterie française : elle vend ses chocolats de luxe avec « une Libanaise, un Japonais, une Philippine, une Russe... » Plus de 200 nationalités différentes se côtoient dans la ville de Dubaï. « Nous sommes en compétition avec le monde entier ici, prévient Laurent Rigaud. À Dubaï, il ne sut pas de se baisser pour trouver un job. »

Une ville ghettoïsée à la tolérance zéro

Dans cette ville mosaïque, si les communautés se fréquentent sur leurs lieux de travail, elles résident dans des quartiers séparés avec des niveaux de vie très différents. Les Philippins, Pakistanais ou Indiens restent très loin du mode de vie aisé des « Westerners » (Occidentaux). « Certaines entreprises amènent ces travailleurs ici et on leur prend leur passeport dès leur arrivée, explique Hubert Sévin. Ils sont logés dans des camps, à six dans des petites pièces fournies par leurs sociétés... », où l'air conditionné n'a été installé que récemment. Un luxe? À partir de la mi-février, les températures atteignent fréquemment les 30 °C, et pendant les mois d'été, le thermomètre monte jusqu'à 50 °C en milieu de journée...

À Dubaï, leur contrat de travail est de deux ans. Ils sont payés de 150 à 300 euros par mois. Dominique Caron, le dentiste, relativise. D'après lui, « ces populations y trouvent leur compte, elles vivent mieux que dans leurs pays... Nous sommes ici dans une société de services, les gens sont là pour bosser. Si l'on reste dans les clous, personne ne nous ennuie... » Les Émirats ont une tolérance zéro face à toute infraction, délit ou... contestation. En 2011, les micromonarchies du Golfe sont d'ailleurs restées épargnées par les printemps arabes. Nasser Bin Ghaith, professeur de l'université Paris-Sorbonne à Abu Dhabi, avait osé déclarer que « l'abondance économique ne sera jamais une alternative aux droits politiques ». Il a écopé de huit mois de prison et reste interdit d'enseignement.