Comment Obama relance le "made in America"

L'Amérique se réindustrialise, grâce à une meilleure productivité, une énergie bon marché et une stratégie générale de l'American Manufacturing. Simple rebond ou renaissance ?
Le président américain, Barack Obama, en visite dans une aciérie d'ArcelorMittal, le 14 novembre dernier à Cleveland, Ohio. / DR

« Plus d'une tonne d'acier par ouvrier. Pas mal, la production, hein ? », s'exclame Barack Obama devant un parterre de bleus de chauffe et de casques jaunes.

Ce 14 novembre 2013, il est en visite dans une aciérie d'ArcelorMittal, à Cleveland, dans l'Ohio. Fermée en 2008, la fabrique a réouvert. Aujourd'hui, elle tourne à plein régime.

Et le président d'enfoncer le clou : « L'histoire de cette usine est celle de l'Amérique sur les cinq dernières années. Sur les 44 derniers mois, nos entreprises ont créé 7,8 millions de nouveaux emplois, de nombreux l'ont été dans l'industrie », assure-t-il.

Empêtré dans une réforme de la santé qui cafouille, Barack Obama, au plus bas dans les sondages, préfère mettre l'accent sur l'amélioration du marché du travail, et rappeler qu'il a aidé à sauver l'industrie automobile, laquelle a participé au renouveau du secteur industriel en général et de l'acier en particulier. Mais ce renouveau est-il un simple rebond, traditionnel des périodes post-crise, ou une véritable renaissance ? Il y a bien eu rebond, ou remontée poussive, plutôt.

Après un recul de plus de 20 % entre décembre 2007 et juin 2009, la production manufacturière a quasiment regagné, entre juin 2009 et octobre 2013, le terrain perdu. Mais on ne peut pas dire la même chose de l'emploi. Les créations de postes, entre janvier 2010 et octobre 2013, ne se chiffrent qu'à 526 000, alors que plus de 2,7 millions ont été détruits entre janvier 2006 et janvier 2010 (soit 19 % du total dans le secteur).

La raison ? Les investissements en matière d'automatisation, qui permettent de produire plus - mais avec moins de main-d'oeuvre. Peut-on alors parler de renaissance industrielle ? Gus Faucher, senior économiste à la PNC Bank, à Pittsburgh, s'en tient à une « tendance ».

« Elle est bien là, dit-il. Les industriels s'appuient sur divers éléments, tels la productivité et le prix de l'énergie, pour poursuivre ou accroître leur production sur le sol américain au lieu de délocaliser, ou même la relocaliser aux États-Unis. »

Les statistiques qui pourraient donner corps à cette tendance font défaut, mais certaines de ces annonces « patriotiques » ont été, depuis 2011, saluées par la presse - et le président Obama - surtout lorsqu'il s'agissait de pionniers de la délocalisation.

Des coûts de production de plus en plus bas

D'Apple, qui a déclaré vouloir assembler l'un de ses Mac aux États-Unis, à Intel, en passant par General Electric, Ford et Caterpillar, ces sociétés ont opté, partiellement, pour le made in America. Les études pointent dans la même direction.

Selon celle du Boston Consulting Group, publiée en septembre 2013, plus de la moitié (54 %, contre 37 % en février 2012) des 200 patrons de multinationales interrogés envisagerait sérieusement ou aurait déjà décidé de rapatrier certaines de leurs activités sur le sol américain. Effectif ou en projet, le phénomène s'appuie sur diverses évolutions, voire une révolution. Ce sont les faibles coûts salariaux qui avaient poussé, depuis une trentaine d'années, le secteur manufacturier, gourmand en maind'oeuvre, à installer des usines à l'étranger.

Et c'est ce même élément qui les incite à « penser américain » aujourd'hui. Toujours faible en Chine, le coût du travail a néanmoins doublé entre 1998 et 2010 et « augmenté de 15 à 20 % par an sur les deux dernières années, tandis qu'aux États-Unis, la hausse n'a été que de 3 % », remarque David Simchi-Levi, professeur au MIT. Taux de chômage encore élevé pour les États-Unis (à 7,3 % en octobre) et désyndicalisation sont responsables de cette situation. Et si les ouvriers américains sont encore chers comparés aux Chinois, ils sont, grâce à l'automatisation, trois fois plus productifs.

« Les gains de productivité [de 16 % dans le secteur manufacturier entre début 2006 et fin 2013, ndlr] corrigent largement la hausse des salaires », relève Gus Faucher.

Autre avantage pour des industries gourmandes en énergie tels l'acier ou la chimie : le prix du gaz, de schiste en l'occurrence. Il se situait à 3,70 dollars environ l'unité ces dernières semaines (contre 11,37 en Europe et plus de 15 en Chine, cette dernière subventionnant cependant sa production d'électricité).

Entre la hausse des salaires en Chine et la baisse du prix de l'énergie aux États-Unis, le fossé entre les deux pays, en termes de coûts généraux de production, s'est réduit de moitié sur les huit dernières années, pour se situer autour de 16 % en faveur de la Chine. En 2015, certains experts estiment que Chine et États-Unis pourraient être à égalité.

Le made in America prend donc tout son sens, puisque les industriels examinent ces avantages comparatifs, et font leurs comptes. Ils ajoutent l'appréciation de la monnaie chinoise, que les autorités ont dû périodiquement accepter, mais aussi le coût du fret, en hausse en raison de l'augmentation des cours du brut, les délais de livraison, ainsi que d'autres casse-tête potentiels, tels la propriété intellectuelle, sujet toujours délicat en Chine, les interruptions dans la chaîne d'approvisionnement ou encore le fait que l'innovation se révèle moindre lorsque usines et chercheurs sont trop distants.

Du global au local, le retour de la proximité

Dans ces conditions, la stratégie de proximité vis-à-vis du marché reprend ses droits. « Les industries pensent toujours global, mais désormais aussi local, et choisissent de produire pour le marché le plus proche, y compris en Asie », conclut ainsi le professeur du MIT. Un phénomène qu'il n'hésite pas à qualifier « d'énorme transformation », voire de « nouvelle révolution ».

Révolution ou renaissance, il n'en reste pas moins que le phénomène pose quelques problèmes. S'effectuant en partie grâce à la baisse des prix de l'énergie, grâce à l'exploitation sans contrainte du gaz de schiste, cette ré-industrialisation a un coût pour l'environnement, dont personne, ou presque, ne semble se soucier actuellement.

De plus, si, comme l'estiment certains observateurs optimistes, elle devrait permettre de rapatrier de 2,5 à 5 millions de postes à horizon 2020, elle n'est pas franchement porteuse d'emplois pour l'instant. Pis, elle aura tendance à exclure les ouvriers non qualifiés du marché du travail. Autant dire que si renaissance industrielle il y a, le temps n'est pas encore venu pour que le gros des importations américaines en provenance d'Asie soit... des jobs.

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.