Devises : "Les grandes entreprises des émergents pourraient avoir des difficultés"

Les devises des pays émergents ont subi une forte dépréciation ces dernières semaines. Est-ce le signe d'une crise plus générale pour ces économies ? Non, répond François Faure, responsable risque pays chez BNP Paribas, qui pointe cependant l'apparition de nouveaux risques.

La Tribune - Assiste-t-on à une crise des émergents à proprement parler ?

François Faure - Non, je ne pense pas que l'on ait à faire à une crise généralisée des émergents. Le "tapering", c'est à dire la réduction de la politique accommodante de la Fed, a un effet dépréciatif sur les devises des pays émergents. C'est un problème que l'on connaissait déjà et qui avait été anticipé. Le contexte a changé par rapport à 2013. L'an dernier, seules certaines devises avaient été touchées. Mais diverses monnaies d'Europe centrale et asiatiques s'en étaient bien tiré. C'est plus généralisé depuis ce début d'année car il y a une inquiétude globale sur la capacité des émergents à générer de la croissance.

Mais à y regarder de plus prêt, trois devises, en plus du peso argentin, ont particulièrement été touchées. Il s'agit du rand sud-africain, du rouble russe et de la livre turque. Chacun de ces trois pays souffre d'un mal particulier qui en même temps que le "tapering" et les craintes pour la croissance. La Turquie est en pleine crise politique, l'Afrique du Sud a connu des mouvements de grève importants et les Russes n'interviennent plus sur le marché des changes. Ce qui contribue à une plus grande volatilité. Mais finalement dans le reste des émergents, la dépréciation n'est que de 4% en moyenne depuis le début de l'année. Ce n'est pas énorme.

Comment s'expliquent ces craintes d'un ralentissement ?

Il y a un facteur nouveau qui est la hausse des taux domestiques dans les émergents. Ce qui induit forcément un ralentissement de la croissance à des niveaux faibles par rapports à leurs standards habituels dans ce type de pays.

On note aussi une inquiétude nouvelle mais encore un peu diffuse suite aux mouvements de devises. Les dépréciations atteignent des niveaux tels que les grandes entreprises des émergents qui se sont financées à l'international en devises étrangères pourraient connaitre des difficultés. Elles doivent en effet faire face à une croissance qui ralentit et donc à des gains qui risquent de se réduire. Dans le même temps, la charge de leurs intérêts des emprunts contractés en devises étrangères pendant la période faste va s'alourdir. Il y a donc un problème de risque de crédit qui fait son apparition.

Je pense à l'Inde qui cumule des taux élevés, qui participent à ralentir la croissance encore plus, et des grosses entreprises endettées en dollars. Il y a aussi la Turquie qui est dans un cas similaire. Les pays dont les matières premières occupent une grande place dans l'économie, parmi lesquels le Brésil, le Chili ou l'Indonésie par exemple, qui sont eux aussi endettés en dollars.

Et quid de la Chine ?

Le vrai nouveau problème est bien le risque de crédit en Chine. Il y a eu des alertes ces derniers temps sur des problèmes de remboursements de crédits, comme avec le cas d'ICBC la semaine dernière. Mais on a du mal à savoir si l'on est face à un risque systémique.

Les trusts funds qui ont pris le relais des banques ces dernières années pour financer les entreprises détiennent certainement des créances de qualité mais pas seulement.Or, elles représentent entre 15 et 20% du produit intérieur brut chinois. Etant donnée l'étendue des réserves chinoises on a plutôt tendance à se dire qu'il n'y a pas de risque systémique. Mais un choc causerait au moins des tensions importantes sur le marché interbancaire et pèserait donc sur la croissance.

Certains analystes disent que de telles tensions pourraient toutefois arranger Pékin. Une hausse des taux pourrait, selon eux, favoriser le rééquilibrage de l'économie chinoise, contrairement à ce qu'on pourrait penser intuitivement, car une épargne mieux rémunérée permettrait aux Chinois d'avoir moins besoin d'économiser pour les études des enfants ou leurs dépenses à venir et donc d'allouer une part plus importante de leur revenu à la consommation.

Personnellement je ne crois pas vraiment à cet argument car les effets seront à mon sens trop faibles pour compenser le ralentissement de la croissance des revenus.

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