Le vote sur l’immigration montre qu'il y a deux Suisse

L’analyse du scrutin de la votation « contre l’immigration de masse » montre que la Suisse est coupée en deux entre « gagnants » et « perdants » de la mondialisation.
La votation de dimanche a montré une Suisse profondément divisée

L'Europe n'a pas fini de s'interroger sur le sphynx suisse. Il est vrai qu'il est difficile de saisir ce que veut ce petit pays alpin qui depuis quinze ans est à la fois une des économies les plus ouvertes et les plus prospères d'Europe tout en faisant la part belle aux partis xénophobes et tout en montrant un mal-être certain.

Le Röschtigraben toujours profond

C'est qu'en réalité, il y a non pas une, mais des Suisses. La Confédération est en effet une construction complexe, faite de contradictions multiples que le vote d'hier a mis en exergue une nouvelle fois. La plus évidente et la plus fréquemment citée, c'est celle entre les Romands et les Alémaniques, le fameux « Röschtigraben » (fossé des Röstis, du nom de ce plat de pommes de terres râpées apprécié des Alémaniques). Dimanche, il s'est encore creusé : tous les cantons à majorité francophones ont rejeté l'initiative contre « l'immigration de masse », parfois comme le canton de Vaud avec une large majorité (61,1 %). Ceux qui ont accordé une majorité plus faibles sont les cantons bilingues ayant une minorité germanophone (Fribourg et Valais). Comme lors de la votation sur l'entrée dans l'UE en 1992, le contraste est donc frappant puisque seuls trois cantons germanophones ont rejeté l'initiative (Bâle-Ville, Zurich et Zug).

La coupure villes-campagne

Mais le Röschtigraben n'explique pas tout. Loin de là. Pascal Sciarini, politologue à l'Université de Genève, souligne que « lorsque l'on regarde les résultats dans le détail, on voit surtout une coupure entre la Suisse traditionnelle et la Suisse moderne. » Coupure qui se décline sous plusieurs formes. La première est celle entre la Suisse des Villes et la Suisse des Champs. Toutes les grandes villes de Suisse : Zurich, Berne, Bâle, Genève, Lausanne et Saint-Gall ont voté contre l'initiative. Si l'on regarde de près les résultats à l'intérieur d'un même canton, on voit cette  rupture très nette entre les villes et les campagnes. La ville de Berne a ainsi rejeté l'initiative à 72,3 % tandis que le canton l'a accepté à 51,1 %. Cette carte des résultats dans le canton de Saint-Gall montre que le contraste entre les zones urbanisées et les zones rurales.

Une division entre « gagnants »  et « perdants » de la mondialisation

Autre contraste : le niveau de vie. Comme le note le quotidien genevois Le Temps ce lundi, c'est la Suisse « moins prospère qui a fait gagner le oui. » S'appuyant sur une carte communale des résultats, le quotidien souligne que ce sont les régions les moins riches et aussi les moins prospères qui ont accepté l'initiative. Ce qui ramène à une dernière coupure : celle entre gagnants et oubliés de la mondialisation.

Là où les entreprises sont les plus présentes sur les marchés internationaux et où on a profité de l'ouverture des marchés européens, on a rejeté l'initiative : c'est le cas des bords du Lac Léman, de Zurich et Bâle ou des régions où fleurit l'industrie horlogère. En revanche, la Suisse intérieure, plus dépendante des transferts des autres cantons et de l'économie traditionnelle a dit « oui » à l'initiative contre l'immigration de masse. Même en Suisse romande, ce contraste a joué : les communes enclavées du Jura bernois ont voté comme leurs consœurs alémaniques. « La division qui a prévalu, c'est celle entre gagnants et perdants de la mondialisation », explique Pascal Sciarini.

Le cas du Tessin

Un mot enfin sur ce canton qui a fait basculer un vote qui, rappelons-le, s'est joué à seulement 19.000 voix et 0,3 point de pourcentage, c'est le canton italophone du Tessin. Ce canton a adopté l'initiative à 68,2 %, apportant près de 83.000 voix au « oui. » Un résultat qui traduit une évolution profonde de ce canton. « Voici trente ans, le Tessin avait une sensibilité très proche de la Suisse romande, aujourd'hui, il y a une dérive droitière et un fort sentiment anti-italien », souligne Pascal Sciarini. Cette évolution s'explique, selon ce dernier, par trois éléments. D'abord, le Tessin a souffert économiquement de la concurrence des cantons alémaniques depuis vingt ans et en a développé un fort sentiment « d'abandon » vis-à-vis de Berne. Ensuite, le nombre de frontaliers en provenance d'Italie a beaucoup augmenté, notamment après l'accord de libre circulation avec l'UE. Et enfin, un parti politique, la Lega dei Ticinesi (Ligue des Tessinois) a émergé à partir des années 1990 en exploitant un sentiment de défense contre l'Italie et contre la Confédération. Progressivement, ses thèmes ont occupé tout l'espace public tessinois.

Pascal Sciarini souligne qu'il existe des réalités objectives aux difficultés issues de l'explosion des frontaliers. « L'Italie a beaucoup profité de l'ouverture des frontières en envoyant en Suisse des travailleurs et des entreprises, le Tessin beaucoup moins », indique-t-il avant d'ajouter : « le problème, c'est l'ampleur donné à ces problèmes. » Au Tessin, le discours italophobe est devenu si puissant que même les Verts du canton ont appelé à voter « oui » à l'initiative…

Malaise interne

Cette division profonde de la Suisse, presque en deux parties égales, traduit un vrai problème identitaire. Comme le notait justement dimanche l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, les Suisses aujourd'hui semblent surtout se définir en « négatif » : les Alémaniques ne veulent pas être allemands, les Romands ne veulent pas être français et les Tessinois ne veulent pas être italiens. Fautes de mieux, ils sont Suisses. Mais trouver une identité « positive » sera beaucoup plus difficile.

Ce vote a montré que la division identitaire entre une « Suisse ouverte aux réalités et une Suisse refermée sur ses traditions » - pour reprendre les propos de Pascal Sciarini va encore se renforcer. Plus que jamais, les Suisses le seront donc « par défaut. » Le politologue genevois estime, du reste, que la classe politique helvétique va tenter d'ici aux prochaines élections de 2015, dans un an et demi, de « limiter la casse. » Mais la tension interne, attisée par l'UDC, la Lega dei Ticinesi ou le MCG genevois, risque de rendre la situation de moins en moins aisée. Ce vote du 9 février est certes un pied de nez à l'Europe et au reste du monde, mais c'est aussi la traduction d'un malaise interne à la Confédération.

Commentaires 33
à écrit le 11/02/2014 à 17:56
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Finalement les cantons ne sont pas aussi maîtres chez eux que ne le disent les Suisses, puisque l'un deux, le Tessin, peut décider ce qui vaut pour tous.

à écrit le 11/02/2014 à 17:01
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Peut-on parler encore de ville et de campagne dans ce pays ou tout est proche notamment grâce à un réseau de transports en commun unique au monde et de superbes autoroutes à CHF 40.-/an ? On n'est plus l'époque de Hedi avec le grand père dans sa fer...

à écrit le 11/02/2014 à 11:03
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Les campagnes contre les villes c'est un peu vite dit non ou alors donner les chiffres car pour 50/50 il faut autant de monde dans les campagnes que dans les villes! sinon les campagnards se sont déplacés en masse et en ville ils seraient aller au sk...

le 11/02/2014 à 12:20
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C'est précisément ça le problème. Il y a autant de monde dans les campagnes que dans les villes...

à écrit le 11/02/2014 à 10:56
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est-ce que l'on aurait dit ça si le vote avait été inversé ! certainement pas ! alors c'est une sélection de l'esprit dans un but recherché .........

à écrit le 11/02/2014 à 9:07
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Il y a quelques erreurs, le vote des romands soit des Suisses français, le wagon branlant de la Suisse a été un vote anti-parti de Blocher, car sinon comment expliquer que la campagne et les villes romandes aient tous voté contre l'initiative alors q...

le 11/02/2014 à 12:18
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Si l'on regarde la contribution de la Suisse romande au PIB suisse, la croissance économique de la Suisse romande ces dernières années, le nombre d'entreprises, de fédérations sportives et d'organisations internationales ayant installé leurs sièges e...

à écrit le 11/02/2014 à 8:45
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C'est consternant les propos de café de commerce des réactions de gens sur ce sujet, "style c'était mieux avant" mais avant quoi? Restez sur votre ligne Maginot!

à écrit le 11/02/2014 à 7:08
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Les suisses sont des gens de bon sens , au pays de la montre de précisions ...faut pas se laissé abuser par les abus socialo/technocrates de l'UE , d'ailleurs ,quand les suisses n'ont pas voulu rejoindre l'Euros ...c'était encore une décision de bon...

le 11/02/2014 à 19:41
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Les technocrates de l'UE sont libéraux et pas ou très peu socialo ! Les réformes libérales sont légions tandis que les mesures sociales sont rares.

à écrit le 11/02/2014 à 7:07
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il faudras bien examiner le resultat du fn aux cantonales .....!

le 11/02/2014 à 13:45
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Vous voulez dire les élections européennes du 25 mai 2014. Je n'ai jamais voté FN, mais je vais le faire. Sous Tonton la veille d'une élection il a parlé, sinon, ce fut l' NON, idem sous Sarkozy, il a légiféré, en ne tenant pas compte du désir des...

à écrit le 11/02/2014 à 6:17
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Les politiques et les médias sont unanimes!C'est touchant.

à écrit le 10/02/2014 à 21:27
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Imaginons 25% d'étrangers en France et 650 000 personnes arrivant chaque année ici. Je doute que cela se passe sans anicroche.

le 10/02/2014 à 22:28
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Inutile d'imaginer, c'est déjà une réalité. Ce n'est pas pour rien que les statistiques ethniques sont interdites en France.

à écrit le 10/02/2014 à 20:06
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Les technocrates européens non élus sont ne sont pas content de voir qu’il reste une démocratie en Europe. La Suisse c’est un peu Obélix et Astérix et leur village au temps des romains…

le 10/02/2014 à 21:18
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on reparlera de ce référendum dans quelque temps : quand les entreprises suisses iront s'installer hors de Suisse et avec elles les emplois, je crois que ceux qui ont voté OUI se poseront des questions. Il ne faut pas oublier que les marchés des entr...

à écrit le 10/02/2014 à 19:07
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"Le vote sur l’immigration montre qu'il y a deux Suisse" sous-entendu: une bonne et une mauvaise. La bonne, l'acceptation de l'immigration "la chance" et la mauvaise tous ces méchants qui refusent la mondialisation (et ces turpitudes).

le 11/02/2014 à 9:25
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+100 traduire celle qu'on aime (avec la voix de martine aubry ) et l'autre ( sous entendu celle des cretins congenitaux ect )

à écrit le 10/02/2014 à 18:48
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Dérive droitière ??? N'importe quoi !!! Montée en ligne des Fronts Nationaux...et ceci en est une des conséquences. Ce n'est ni un problème Suisse , ni un problème de Droite...D'ailleurs , la Droite , la Gauche , le Centre , le Parti de toutes les...

à écrit le 10/02/2014 à 18:20
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La fracture est encore plus grande dans beaucoup de Pays Européens qu'en Suisse , simplement on ne laisse pas les citoyens de L'U.E de s'exprimer sur cette question de l'immigration de masse . Demain un scrutin en France et le résultat obtenu par le...

à écrit le 10/02/2014 à 17:55
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La Suisse donne l'exemple à suivre..... Dire NON à l'Europe en matière d'immigration... un référendum pour la FRANCE, le citoyen doit donner son avis............

à écrit le 10/02/2014 à 17:17
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Franchement je me demande si l auteur va souvent en Suisse. Il y a une chose qui m a frappe en Suisse (alemanique certes), c est le nombre de drapeaux suisses dans les jardins de particuliers. Je me demande si ca colle tres bien avec l identite par d...

le 10/02/2014 à 18:26
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Ils ont raison les Suisses de craindre d'être tirés vers le bas par les décisions du conseil Européen , ils ne se sont pas trompés et c'était vraiment le scrutin de la dernière chance , ils l'ont échappé belle

à écrit le 10/02/2014 à 16:13
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Et il y a aussi la volonté de dire enfin non a l'Europe. Cette Europe qui les insulte ( voir le gouvernement français), cette Europe dominatrice et souvent dictatoriale qui ne les respecte pas, qui n'admet pas leurs particularités, et qui ne supporte...

le 10/02/2014 à 21:01
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@Robert. Si on posait la question aux français oui ou non à 'Europe, devinez quelle serait la bonne réponse ? Pas de danger qu'on nous demande notre avis.

à écrit le 10/02/2014 à 16:02
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Une chose est sûre. Les journalistes sont complètement coupés des réalités du monde et des sentiments du peuple. Ils n'écrivent que pour eux-mêmes.

à écrit le 10/02/2014 à 16:01
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Ce sphinx suisse a confiance du fait qu'elle est un pays démocratique. Elle peut dire stop a toute dérive et se permet donc d'avoir a la fois une économie ouverte et prospère mais aussi un garde-fous politique! Chose que nous avons pas en Europe!

à écrit le 10/02/2014 à 15:58
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C'est la Suisse qui a gagné , elle montre la voie . Interrogeons citoyens et sans l'assentiment des politiques qui trainent sur les plateaux que nous payons bien chère vu leurs capacités à maitriser l'économie de notre pays .

à écrit le 10/02/2014 à 15:54
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coupe en deux ,ceux qui en profitent et ceux qui la subissent

à écrit le 10/02/2014 à 15:52
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"Dérive" ? "Droitière" ? Vraiment ? On ressent l'arrière-fond et l'intention d'un article rien qu'à certaines expressions et stéréotypes utilisés par l'auteur. Lisez les résultats de dimanche autrement que dans cette vision manichéenne propre...

le 10/02/2014 à 16:00
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Bien dit @Géraldine rien à ajouter !

à écrit le 10/02/2014 à 15:45
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Bravo aux Suisses le premier principe de la gauche est de lutter contre la barbarie ,des etats ,des economies mais aussi des religions et de leurs obscurantismes et ca les suisses l'on bien compris

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