Mahindra, champion indien en quête d'image de marque

Par Marjoie Cessac, à Bombay  |   |  1320  mots
Mahindra Two Wheelers, entreprise du groupe Mahindra spécialisée dans les deux-roues, a présenté un nouveau modèle de scooter au récent salon d'Ahmedabad, la principale ville de l'État du Gujarat, au nord-ouest de l'Inde.
L'homme qui vient de mettre la main sur les scooters Peugeot est l'un des hommes d'affaires les plus influents d'Asie. Mais l'Indien, installé à Bombay, veut désormais rivaliser avec les plus grands... Pour lui, la France peut devenir « le prochain marché émergent de l'Europe », où le monde voudra investir si le gouvernement achève ses réformes pro-entreprises.

« Vous verrez, un jour Mahindra sera l'une des 50 premières marques les plus admirées au monde : c'est un objectif ambitieux, mais nous avons sept ans pour y parvenir ! Tout peut aller très vite si l'on innove. Google, Tesla étaient encore inconnues il y a dix ans, voire cinq ans ! »

Chevelure grisonnante, moustache à l'ancienne, regard pétillant, Anand Mahindra, 59 ans, affiche un air confiant dans son spacieux bureau du Gateway Building, véritable oasis située dans le très affairé quartier d'Apollo Bunder, au sud de Bombay. Après tout, ce grand patron indien est déjà lui-même l'un des hommes d'affaires les plus respectés de son pays. Et compte, si l'on en croit le magazine Fortune, parmi les 50 personnalités les plus influentes d'Asie. L'homme qui vient de prendre les rênes des scooters Peugeot (il vient d'acquérir 51% du capital) est à la tête d'un véritable empire. Fondé en 1945, par son grand-père, JC Mahindra, ce groupe, à l'origine dans le seul commerce de l'acier, est aujourd'hui présent dans 18 secteurs d'activité, dans 40 pays, de la Silicon Valley à l'Afrique, et compte plus de 180.000 salariés...

Une ambition globale, une "vitrine" de l'Inde

Devenir homme d'affaires n'était toutefois pas la vocation première de ce patron méticuleux.

« Il a étudié le cinéma, l'architecture avant de se lancer dans les affaires, rapporte un proche, précisant qu'il a fait son mémoire sur le film d'Alain Resnais Hiroshima, mon amour. « On ne peut pas faire plus parisien ! » sourit-il. Il n'empêche, l'histoire familiale rattrape vite le jeune homme.

Formé dans les plus grandes universités américaines, au Harvard College puis à la Harvard Business School, il rejoint la Mahindra Ugine Steel Company dont il prend la présidence en 1989. À l'époque, l'Inde commence tout juste à expérimenter ses premières politiques économiques libérales. Un environnement plus ouvert, dont le patron tire parti pour entamer une diversification tous azimuts.

Résultat : lorsqu'il prend les rênes de l'ensemble du groupe en 2012, à la place de son vieil oncle Keshub, l'activité a plus que décuplé. Aujourd'hui, Mahindra est partout. Dans l'informatique, au travers de Tech Mahindra, la cinquième SSII indienne. Dans l'immobilier, via Mahindra Lifespaces, qui se revendique comme incontournable dans l'urbanisme, axé sur le développement durable. Dans la banque, grâce à ses divers établissements, dont Kotak Mahindra. Mais aussi dans la défense et les transports, bien sûr. De ses chaînes de montage sortent aussi bien des voitures, des 4x4, des motos, que des camions, scooters, yachts ou encore des avions.

« On qualifie souvent notre société de conglomérat », souligne-t-il. Or nous sommes plutôt constitués de plusieurs sociétés avec beaucoup d'activités différentes. Une fédération de sociétés en quelque sorte. Et dans cette fédération, chaque société a ses propres ambitions et son propre plan sur cinq à dix ans », détaille-t-il.

« Par exemple, le secteur des tracteurs avait pour ambition de devenir numéro un mondial en nombre de tracteurs vendus en 2005, ce qu'il est devenu en 2008. »

Dans ce secteur, le groupe compte désormais des usines d'assemblages au Tchad, au Mali, au Ghana et au Nigeria, ainsi qu'un important réseau de distribution sur le continent. Pour l'heure, l'Afrique ne représente qu'un quart des exportations de tracteurs, 3.000 véhicules par an, mais Mahindra espère bien doubler ce chiffre d'ici peu... Que se cache-t-il derrière cette apparente boulimie ? Sans doute l'envie de reconnaissance. De faire de cette méga-entreprise l'une des plus belles vitrines de l'Inde. À l'opposé de Lakshmi Mittal, parti s'installer en Angleterre (c'est l'une des premières fortunes anglaises), Mahindra, lui, assume sa formation américaine, dont il a gardé l'efficacité et le ton direct, mais revendique aussi son profond attachement à son pays. Et la volonté de le servir au mieux. En témoignent ses discours galvanisants devant les nouveaux diplômés d'IIM, prestigieux institut de management, ou ses tribunes élogieuses sur les méthodes pragmatiques du très capitaliste Premier ministre Narendra Modi.

« L'Inde continue de renvoyer l'image d'un immense centre d'appel où des opérateurs travaillent dans l'ombre, déplore-t-il. Le pays a remporté des succès dans les nouvelles technologies. Mais il n'a créé ni Google ni Apple, juste des services pour les autres. Il nous faut changer les mentalités. »

Sa voiture électrique est la moins chère du monde

Anand Mahindra s'y emploie. Exemple, le véhicule électrique.

« Nous y croyons et pensons que c'est une des solutions pour l'Inde, explique-t-il. Delhi est devenue l'une des capitales les plus polluées au monde. La pression est en train de devenir intense sur le gouvernement indien pour promouvoir des incitations au lancement de véhicules autres que ceux à essence. »

Pionnier dans ce domaine, le groupe revendique la production de la voiture électrique la moins chère au monde, la Reva. En tout, 1.000 voitures de ce type ont été vendues en Europe, avant que la production ne soit stoppée en 2012, lors du lancement de la nouvelle e20.

« Lorsqu'il est venu en Inde, David Cameron m'a passé un coup de fil. Il voulait savoir quand nous allions de nouveau introduire la nouvelle voiture électrique à Londres. Il était très intéressé à l'idée que nous investissions dans le secteur automobile en Angleterre ».

Lancée sur le marché indien l'an dernier, l'e20 devrait être disponible dès 2015 en Europe.

« En Angleterre mais aussi en France et en Scandinavie », espère-t-il.

Il croit à Peugeot... et au potentiel de la France

Au sein du groupe, cette technologie s'applique d'ailleurs aussi aux deux-roues : GenZe 2.0, un scooter électrique conçu à Palo Alto, devrait être commercialisé au printemps prochain, dans un premier temps en Californie, dans l'Oregon, au Michigan. Puis sans doute en Floride. Dans ce marché du deux-roues, Mahindra est encore relativement novice. Mais il regarde de près ce segment juteux qui, l'an dernier, a crû de 23 % en Inde. D'où son entrée au capital de Peugeot Scooters.

« Cette acquisition va lui permettre de se développer sur le haut de gamme, insiste-t-on dans son entourage, mais aussi sur des marchés africains, notamment au Maghreb où la marque française est très connue ».

Mahindra n'en est d'ailleurs pas à son coup d'essai avec les entreprises de l'Hexagone. En 2005, on s'en souvient, il s'était allié à Renault dans le but de vendre la Logan en Inde. Une expérience qui cependant tournera court, cinq ans plus tard, faute d'intérêt sur le marché indien.

À quoi tient ce regain d'intérêt pour la France ? Entre autres, à la crise et aux opportunités qu'elle crée.

« Si François Hollande met réellement en oeuvre son plan pour faciliter le business en matière d'imposition et de bureaucratie, les investisseurs vont affluer, et la France peut devenir le prochain marché émergent de l'Europe », espère-t-il.

Que faut-il entendre par là ? Que la France va devenir un vivier de main-d'oeuvre bon marché ? Pas vraiment. De ce point de vue, l'Espagne aurait plutôt une longueur d'avance.

« La péninsule Ibérique a déjà pris des mesures d'austérité dont elle perçoit les premiers bénéfices », acquiesce-t-il. L'Hexagone, quant à lui, pourrait être davantage perçu comme un « nouveau gisement de croissance ».

Notre problème, selon lui, c'est que « la France est forte en innovation mais elle a toujours du mal à transférer son savoir dès lors qu'il s'agit d

e le commercialiser : regardez le TGV, le Rafale ou encore le Renault Espace. Ce dernier a été le premier minivan au monde, mais au bout du compte c'est Chrysler qui a le plus vendu ce type de véhicule ! »

C'est sur cette innovation que le patron indien veut capitaliser. « On pourrait, je pense, imaginer une plus grande coopération sur ce terrain entre l'Inde et la France », déclare-t-il. À bon entendeur...