Russie, UE, Turquie, un ménage à trois ?

Par EurActiv.fr pour latribune.fr  |   |  641  mots
Dans son discours de Nîmes, mardi 5 mai, Nicolas Sarkozy a évoqué un partenariat renforcé entre l'Union européenne, la Russie et la Turquie. Une alternative à l'adhésion turque, qui soulève pourtant des questions géopolitiques.

"Nous serions mieux inspirés d'engager dès maintenant avec la Turquie des négociations pour créer un espace économique et de sécurité commune. Cette grande ambition, nous pouvons la proposer aussi à la Russie (...) Ainsi serait créé un grand espace de plus de 800 millions d'habitants qui partageraient la même sécurité, la même prospérité." En quelques phrases, Nicolas Sarkozy a de nouveau relancé le débat sur l'avenir européen de la Turquie et proposé le resserrement d'un espace de plus de dix millions de km2.

Le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a immédiatement rejeté l'idée d'un tel partenariat, même privilégié, n'acceptant aucune alternative à l'adhésion européenne (EurActiv.fr 12/05/2009).

Ces partenariats privilégiés proposés par le président Sarkozy ne sont pas des idées nouvelles. Que ce soit pour la Turquie ou pour la Russie, les relations avec l'Union européenne sont déjà anciennes et ont été formalisées au cours des dernières décennies.

En revanche, le rapprochement Turquie-Russie via l'UE est plus original. "Obama a valorisé énormément les Turcs et leur rôle au Moyen-Orient" lors de son voyage début avril, rappelle Dorothée Schmid, chercheur à l'Institut français des relations internationales (IFRI). "Pour Nicolas Sarkozy, il faut proposer un autre partenaire important, qui semble être la Russie", poursuit-elle.

La relation bilatérale Russie-Turquie repose essentiellement sur des échanges commerciaux et l'approvisionnement énergétique. 60% du gaz et 50% du pétrole importés par la Turquie viennent de Russie. En 2007, la Turquie était le troisième partenaire de la Russie pour le gaz, et le marché russe est très important pour les petits exportateurs turcs en ce qui concerne les biens de consommation.

L'approvisionnement en hydrocarbures en provenance de Russie a un impact important dans les jeux d'alliances entre les trois régions. Il existe une interdépendance entre d'un côté les Vingt-Sept qui cherchent à sécuriser leur fourniture d'énergie et de l'autre la Russie qui exporte deux tiers de ses hydrocarbures vers l'Europe. "Les intérêts sont de chaque côté partagés", rappelle Laure Delcour, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).

Ankara et Moscou ont également des enjeux sécuritaires communs, même s'ils "n'ont pas de grande proximité politique pour le moment", rappelle Dorothée Schmid. Le Caucase constitue une frontière commune aux deux régions, et ses réserves de pétrole non négligeables rendent les négociations trilatérales sensibles. Ils "n'ont pas la même vision de l'environnement stratégique", note Dorothée Schmid.

La Russie est en effet un quatrième bloc autonome, qui dispose d'une sphère d'influence et n'envisage pas du tout une intégration européenne. "La Turquie, elle, a besoin de l'UE et des Etats-Unis pour se positionner comme contre-pouvoir face à la Russie. Elle pressent qu'elle n'a pas la dimension suffisante pour être un cinquième bloc, d'où un jeu de balance assez subtile entre les Etats-Unis et l'UE", ajoute-t-elle.

Un jeu auquel le Conseil de l'Union européenne est sensible, en raison des enjeux géostratégiques très imbriqués de la région, entre l'Otan, l'UE et son partenariat oriental la Russie et le Caucase.

Au niveau national, note Dorothée Schmid, "Nicolas Sarkozy reprend un thème habituellement porté par le Front national, et le fait coller à la vision que se font les Français de l'étranger". Mais, ajoute-t-elle, "les Turcs perçoivent cela comme la prise en otage d'une question importante pour eux au profit d'un discours de campagne". Une perception qui tendrait à expliquer en partie la réaction du ministre turc des Affaires étrangères et de la presse turque après le meeting commun franco-allemand du dimanche 10 mai à Berlin.


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