Reportage au coeur de la BCE : drôle de cohabitation à Francfort...

La BCE cohabite avec les "indignés" du mouvement Occupy. Entre survie au quotidien et ateliers de haut niveau sur la finance, le camp s'apprête à passer l'hiver au pied de la Banque centrale européenne (BCE). À l'intérieur comme à l'extérieur de l'institution, les discussions et les interrogations vont bon train sur l'avenir de l'Europe.
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Assis à une table du café Fellows, dans le centre financier de Francfort, Hans Scharpf ne ressemble pas à un « alter ». La soixantaine, les mains soignées, cet avocat spécialisé dans l'immobilier, « à l'abri du besoin », soutient le mouvement des « occupiers » qui campent depuis six semaines dans le petit parc situé au pied de la Banque centrale européenne (BCE). « Le camp offre un lieu de contacts avec le milieu environnant », explique-t-il.

C'est surtout le soir, après les heures de bureau, et le week-end que les discussions entre occupants et salariés du quartier se multiplient. « Les gens nous voient là dans le froid, ils viennent nous parler. Les banquiers sont dans une situation privilégiée. Mais ils savent que leur avenir est aussi fragile que le nôtre », explique Erik. La vingtaine, il passe quatre jours par semaine au camp, le restant à l'université et à son travail. Le week-end précédent, s'est tenu un atelier où il a été question du Fonds européen de stabilité financière (FESF) et des différents scénarios pour la zone euro. Hans Scharpf y a exposé ses vues sur les dysfonctionnements du système.

« L'essentiel se joue dans l'immobilier car c'est un phénomène d'économie de bulle... », explique l'avocat. « Les gens y sont financièrement incités à distribuer du crédit, l'économie est surfinancée, ce qui crée une pression au refinancement, et ainsi de suite », dit-il. Trois jours avant, au Centre d'études financières à Francfort, Adair Turner, président de la Financial Services Authority (FSA) britannique, ne disait pas autre chose. Transparent et chiffres à l'appui, il décrivait le cercle vicieux de l'accumulation de crédit... et les risques du processus de « deleveraging » en cours.

Dans le petit parc envahi de tentes, les préoccupations de Frank sont plus prosaïques : « Une bataille au couteau a eu lieu il y a deux jours. J'ai démissionné de mon poste de porte-parole », dit-il. « Le camp est chaotique, admet Erik, mais quand vous êtes ici, vous vous sentez optimiste pour l'avenir. »

La police n'est apparemment pas présente autour du camp, dont l'installation a été autorisée après les manifestations du 15 octobre. « Mon modeste voeu est que nous soyons plus nombreux et de réussir à passer l'hiver », dit Pablo, artiste et aide de vie pour handicapés « six jours par mois, vingt-quatre heures d'affilée ». Et le grand ? « Ce qui serait marrant, ce serait d'abolir le capitalisme sans le dire » espère-t-il. « L'effondrement a déjà eu lieu, intervient Claudia. Les gens n'ont pas de quoi nourrir correctement leurs enfants, ils se sentent seuls, on manque d'argent pour l'éducation. »

Culture d'autonomie

Au vigile qui garde l'entrée de la cantine de l'opéra, face à la BCE, à 50 mètres des tentes, Matthias glisse : « Nous sommes du camp. » L'entrée de service réservée au personnel s'ouvre miraculeusement. Ici, on peut se restaurer pour quatre euros. « Depuis des années, j'ai l'idée que quelque chose ne fonctionne pas. Le 15 octobre, je suis venu à la première manifestation. Je ne pensais pas que j'allais rester », explique le jeune homme. Pendant l'entretien, le patron de son agence d'intérim l'appelle. Il ne veut pas reprendre. Pas pour l'instant. « On n'a jamais appris à travailler ensemble. On ne nous a appris que la concurrence. Il faut sortir de ce système, de cette prison qui est mauvaise pour les gens et pour la nature », affirme-t-il.

Le parti de gauche Die Linke sponsorise une tente, mais Oskar Lafontaine, son président, n'a pas fait le détour quand il est venu faire un discours sur la place du vieil opéra au début du mois. Les activistes d'Attac passent régulièrement. Le député européen écologiste allemand, ancien d'Attac, Sven Giegold, est aussi venu. Mais les occupants cultivent une culture d'autonomie et assurent ne vouloir se rallier à aucune chapelle.

Qu'est-ce qu'Occupy Frankfurt ? Claudia rit puis tranche : « C'est être ici. » « C'est un mémorial. Aussi longtemps que nous sommes là, ils se souviennent que ça s'est passé. » « Ça », c'est Lehman, l'effondrement financier, la domination de la finance sur la politique. Pablo ramène du bois. Le brasero dégage autant de fumée âcre que de chaleur.

« Ils sont pacifiques, assure un employé de la BCE, ils en veulent aux banques commerciales, pas à nous. » Le 23 novembre, la BCE a annoncé un programme de fourniture illimité de liquidités à trois ans à un secteur bancaire au bord de l'asphyxie. « Les gens sont de plus en plus en colère contre les banques, avec raison », explique une source financière. Que pense-t-elle des occupants qui campent sous ses fenêtres ? « C'est ce que chaque génération doit faire. » Et d'ajouter : « Je préférerais que ma fille soit là plutôt que devant Facebook. » Sur Facebook, Occupy Frankfurt compte 16.000 « amis ».

Florence Autret, envoyée spéciale à Francfort

Commentaire 1
à écrit le 28/11/2011 à 11:22
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