"Il faudrait une Margaret Thatcher à l'Europe"

Par Propos recueillis par Romaric Godin  |   |  606  mots
Steen Jakobsen, chef économiste de Saxo Bank. Copyright AFP
Steen Jakobsen, chef économiste de la banque danoise Saxo Bank, donne sa vision de la situation économique européenne et de la situation politique française. Décapant.

 

Comment jugez-vous la situation conjoncturelle de l'Europe aujourd'hui ?

Le principal risque que j'entrevois pour l'Europe aujourd'hui, c'est sa « japonisation », avec une croissance continuellement faible au cours de la prochaine décennie. Sans doute les Japonais eux-mêmes n'ont pas ressenti les quinze dernières années comme une catastrophe économique et une période de profonde récession, mais la dynamique de leur pays s'est lentement affaissée et ils sont passés de la deuxième à la troisième place économique mondiale. C'est ce que je redoute pour l'ensemble de l'Europe à moyen terme.

Dans l'immédiat les choses risquent d'aller de mal en pis. L'idée que les réformes permettront aux pays du sud de parvenir au niveau de compétitivité des pays du nord est impossible à réaliser. L'austérité va encore aggraver la situation économique. 1 % de PIB d'économies réalisées se traduit par un point de croissance perdu. Le nouveau traité budgétaire ne conduira pas à un rééquilibrage, cela conduira à un creusement des déséquilibres. Et cela va entraîner de nouvelles protestations qui vont se traduire dans les urnes, en France ou en Grèce. Et donc à de nouveaux refus des réformes.

Quelles solutions prônez-vous ?

Je pense que l'on a tout fait pour que les gens détestent l'Europe. Et c'est ce qui s'est passé. L'incapacité des politiques nous a conduit dans une voie à sens unique qui ne mène nulle part. La solution serait la mise en place d'euro-obligations et la création d'une véritable union budgétaire. Et c'est évidemmenttotalement improbable à court terme. Ce qu'il faut, ce sont des politiciens prêts à proposer le changement. Regardez les candidats à l'élection françaises : beaucoup envisagent de revenir en arrière, certains souhaitent continuer comme avant, personne ne veut changer. Le dernier politicien européen à avoir porté une idée de changement, c'était Margaret Thatcher. Il nous faudrait une Margaret Thatcher européenne.


Quel regard portez-vous sur la France ?

Le modèle dirigiste de la France a échoué. On se retrouve dans une situation où l'épargne est très élevée et où le secteur public est surendetté. Ce qu'il faut, c'est diriger l'épargne par des incitations vers le secteur privé, vers le capital-risque, vers les entreprises qui créént des emplois. Il faut aussi être plus innovant. Ceci ne se décrète pas, mais on peut investir dans l'éducation et la jeunesse. La bonne nouvelle c'est que, puisque la situation ira de plus en plus mal, elle contraindra le prochain président français, quel qu'il soit, à agir et à faire des réformes.

Que devrait faire le président français une fois élu ou réélu ?

Idéalement, le nouveau président devrait convoquer tous les parties et jeter les bases d'une coalition la plus large possible afin de créer une plate-forme visant à redonner de la compétitivité à la France et de cesser d'utiliser l'union européenne comme une excuse. Ce pourrait être un agenda à 10 ans avec 4 ou 5 mesures phares pour favoriser le crédit aux entreprises, réduire la part du secteur public, assainir le budget de l'Etat. Les Français, me semble-t-il, sont prêts aux sacrifices du moment qu'ils peuvent en voir les avantages.

Une renégociation du traité bugdétaire serait-elle inquiétante ?


Je ne crois pas que cela arrivera. C'est une rhétorique nécessaire en campagne électorale. Ceci changera une fois l'élection passée. Le traité budgétaire est, du reste, une bonne chose pour la France en n'accordant pas aux politiciens un blanc-seing pour les dépenses publiques.