Chypre, nouveau maillon faible de la zone euro ?

Par Romaric Godin  |   |  1062  mots
Dimitris Christofias, président de Chypre. Copyright AFP
Alors que le président de la république a refusé de renouveler le mandat du patron de la banque centrale, la petite république méditerranéenne tente d'éviter d'avoir recours à l'aide européenne. Une tâche qui s'annonce délicate.

 Athanasios Orfanides va devoir céder sa place. A l?issue d?une lutte d?influence intense, le gouverneur de la Banque centrale de Chypre ? et à ce titre membre du conseil des gouverneurs de la BCE ? ne sera pas reconduit pour un nouveau mandat. Selon l?agence Reuters, le président chypriote Dimitris Christofias a informé les représentants politiques chypriotes de sa décision de nommer un autre gouverneur. Sa décision devra être prise avant le 2 mai suivant.

Pilier de la BCE
Cette décision peut paraître lointaine, mais elle n?est pas entièrement anodine pour la zone euro. Athanasios Orfanides était un banquier central très respecté à Francfort. « Colombe » au sein du conseil des gouverneurs, il avait été partisan de la baisse des taux et un des artisans du programme de rachat d?obligations d?Etat de la BCE. La plupart des partis politiques chypriotes défendait d?ailleurs l?idée de sa reconduction.


Inimitié avec le président


Le banquier central s?était cependant fait un ennemi féroce du président. Dimitris Christofias a été élu en 2008 premier chef de l?Etat membre de l?AKEL, le parti communiste chypriote. Certes, l?AKEL est loin d?être un parti aussi orthodoxe que le KKE grec. Il gouverne en effet le pays avec son allié centriste du Diko. Mais Dimitris Christofias n?est pas un grand partisan de l?indépendance des banques centrales et il s?est souvent heurté sur ce point à la résistance d?Athanasios Orfanides. D?une réputation assez autoritaire, le chef de l?Etat a refusé de rencontrer le gouverneur de la banque centrale pendant un an et demi et ne s?est pas privé de critiquer publiquement la banque centrale tant sur ses demandes de réduction des dépenses publiques que sur l?exposition des banques du pays à la Grèce.


Banques fragiles


La non reconduction du gouverneur de la banque centrale survient cependant à un bien mauvais moment pour la petite république insulaire. Le secteur financier du pays, totalement hypertrophié au regard de cette petite économie de 20 milliards d?euros de PIB est en effet frappé de plein fouet par la crise grecque. L?exposition des banques chypriote à la Grèce s?élève à 23 milliards d?euros, soit 120 % du PIB chypriote. C?est dire si à Nicosie, on suit avec intérêt ce qui se passe à Athènes. Après les élections du 6 mai en Grèce, le secteur bancaire de ce pays devra être restructuré : les banques chypriotes y perdront forcément des plumes. Et la note devra être payée par Nicosie.


1,4 milliard d?euros, vite !


Avant même cette échéance, la situation de la banque Marfin Popular Bank, dont le bilan s?élevait à 34 milliards d?euros fin 2011, inquiète les investisseurs. « Marfin doit trouver impérativement 1,4 milliard d?euros de nouveaux fonds propres d?ici à la fin juin pour satisfaire aux exigences de ratio de solvabilité fixées par l?autorité européenne bancaire, l?EBA », explique Dominique Daridan, responsable de la recherche Crédit chez Aurel BGC. Marfin tente pour le moment sans succès de trouver des investisseurs au Moyen-Orient et en Russie. « La BCE et Nicosie s?efforceront de ne pas laisser tomber une telle banque », souligne-t-il.


Etat sous pression


L?ennui, c?est que Chypre n?a plus accès pour le moment aux marchés financiers. Son obligation à 3,75 % qui arrive à échéance en 2015 affiche sur le marché actuellement un rendement de 15,90 ! L?Etat a certes pris des mesures budgétaires sévères et vise un déficit des comptes publics en 2012 de 3,7 % du PIB contre 6,6 % en 2011, mais vendredi, le gouvernement a refusé de couper le treizième mois des fonctionnaires et envisage de relever le salaire minimum de 20 %. On est loin des réformes appliquées en Grèce ou au Portugal. Nicosie entend ainsi faire repartir une croissance au point mort, mais la confiance reste en berne. Et l?affaire du gouverneur de la banque centrale n?améliore pas la situation.


La Russie à la rescousse


Où trouver alors de l?argent ? « En décembre dernier, Chypre a reçu un bol d?air de la Russie avec un prêt de 2,5 milliards d?euros à 4 ans et demi et à un taux très généreux de 4,5 % », rappelle Dominique Daridan. Une aide providentielle qui s?explique en grande partie par l?importance des intérêts russes dans l?île qui ont fait de Chypre une de leurs plates-formes financière off-shore les plus importantes. Mais ce qui reste de cette somme ne suffira sans doute pas à renflouer Marfin et faire face aux conséquences de la situation grecque. D?autant que si la Grèce entre dans le chaos après le 6 mai, la facture risque d?être très lourde pour Nicosie qui doit, en novembre prochain rembourser 2,2 milliards d?euros d?obligations d?Etat. « Les autorités chypriotes feront tout pour éviter le recours à l?aide européenne », affirme Dominique Daridan. Mais la tâche semble ardue.


Espoirs ?


Il y a quelques raisons d?espérer, cependant. Les gisements de gaz qui ont été découverts entre Chypre et Israël ouvrent un potentiel économique important d?ici quelques années. Les investisseurs pourraient vouloir être présents à bon compte aujourd?hui pour profiter demain de ces richesses. De même, la chute du régime syrien pourrait faire perdre à la marine russe les facilités dont elle dispose dans le port de Tartous, à 150 km de la côte chypriote. Dans ce cas, il est important pour Moscou d?être au mieux avec Chypre pour que sa marine puisse encore mouiller dans un port de la Méditerranée. Mais la Russie peut-elle encore mettre la main à la poche après le prêt de décembre dernier ? Rien n?est moins sûr. Enfin, la question turque reste déterminante. Après le rejet par les citoyens de la république de Chypre, peuplée de grecs, du plan de réunification en 2004, les négociations sont au point mort. Une aide financière pourrait-elle être accordée moyennant une avancée sur ce point ? Rien n?est moins sûr. Alors que le temps passe, le maillon faible chypriote de la zone euro commence à inquiéter de plus en plus.