Y aura-t-il encore un modèle social européen ?

Faciliter les licenciements pour encourager les embauches. Moins de protection pour plus de fluidité. Partout en Europe les politiques de l'emploi s'orientent vers un modèle plus libéral pour tenter de redresser le marché du travail. Est-ce la fin d'un modèle social européen ? Ou simplement un ajustement imposé par des taux de chômage toujours plus élevés ? Le réseau associatif Entreprise&Personnel, spécialiste de la gestion des ressources humaines, apporte son éclairage pour mieux comprendre les enjeux des politiques économiques et sociales.
Mario Draghi, président de la BCE, a déclaré au Wall Street Journal : "le modèle social européen est mort". Copyright Reuters

En France, il a passé la barre symbolique des 10% (9,6% sans les Dom-Tom). En Allemagne, celle des 5%. Et en Grèce et en Espagne, 20%. Partout en Europe, le taux de chômage fait figure d'épée de Damoclès sur les politiques de l'Emploi. Au point que Mario Draghi, le successeur à la tête de la BCE de Jean-Claude Trichet, a annoncé dans le Wall Street Journal que "le modèle social européen est mort". Un modèle qui repose sur des niveaux élevés de protection sociale contre les aléas de la vie (santé, chômage....) assurés par le biais d'assurances collectives et la redistribution des richesses, l'importance de la négociation collective et du dialogue social dans de nombreux aspects de la régulation sociale (les conventions collectives....), l'existence des droits sociaux fondamentaux et réglementations du travail protecteur du fait syndical, du droit de grève, définissant les conditions de la possibilité de licenciements collectifs. A cela s'ajoute une conception du rôle de l'Etat conçu comme responsable en matière de plein emploi, de cohésion sociale, etc. Croissance, protection sociale et redistribution y sont étroitement associées. Mais ce modèle a une faille de taille : il a échoué à assurer une de ses finalités : l'accès à l'emploi.

Libéralisation des marchés du travail

"Il s'agit donc de redéfinir les conditions de la croissance économique et d'une meilleure fluidité du marché du travail autour de quelques principes simples énoncés depuis plus de 20 ans. "Le consensus de Washington", qui semble être devenu le "consensus de Bruxelles" : austérité budgétaire et diminution drastique de la dépense publique, privatisations, libéralisation des échanges, déréglementations.... La libéralisation des marchés du travail en est une composante essentielle. C'est le credo de la très libérale Commission européenne", analyse Jean-Pierre Basilien, d'Entreprise&Personnel.
Un Credo de fait assez suivi par les pays concernés où les réformes engagées cherchent à libéraliser le marché du travail pour encourager l'embauche. "On comprend dans les propos des dirigeants européens que la rigidité des dispositifs permettant des licenciements collectifs est considérée comme un obstacle à la fluidité du marché du travail et à la compétitivité des entreprises. Trop protégés les "insiders" bloqueraient l'entrée dans l'emploi des "outsiders", essentiellement les jeunes", précise Michèle Rescourio-Gilabert d'Entreprise&Personnel. Mais ces politiques de l'emploi se payent partout d'une précarité croissante, comme en Allemagne avec les "mini-jobs" à 400 euros/mois sans couverture sociale qui constituent une grande partie des embauches dans les secteurs des services. "Même les travailleurs pauvres qui cumulent travail et minimum social, incarnent aux yeux de l'opinion publique une nouvelle pauvreté", note le CIDAL (Centre d'Information sur l'Allemagne). En Espagne et Italie des pans de protection des emplois permanents sont remis en cause et les motifs de licenciements sont élargis de façon à réduire leur coût mais également le poids de l'intervention des juges. La réforme du système d'assurance chômage n'échappe pas non plus à ces nouvelles règles en revoyant les durées d'affiliation et d'indemnisation. "Avec ce qu'impulsent la Commission européenne, la BCE et les agences de notation, tout converge pour fluidifier le marché du travail et on voit mal comment la France peut passer à l'écart de ces réformes", note Jean-Pierre Basilien.

Réduire la précarité des uns sans nuire au statut des autres

Dans ces conditions le dialogue qui s'ouvrira en juillet avec les partenaires sociaux saura-t-il être pragmatique ? "Ils y seront contraints par les chiffres du chômage qui va continuer à se dégrader. Ce qui caractérise la période actuelle c'est l'affaiblissement idéologique des débats au profit de plus de pragmatisme. Les marges de man?uvre sont tellement faibles que toute solution capable d'apporter une contribution sera la bienvenue. Il s'agirait moins de détruire le droit du travail que de l'adapter en revenant sur des avantages qui se révèleraient aujourd'hui "injustes" vis-à-vis de ceux qui veulent se faire une place dans le monde du travail", ajoute Entreprise&Personnel.
Réduire la précarité des uns sans nuire aux statuts des autres : tel est l'enjeu. Mais il n'est pas sûr qu'en déshabillant Paul on arrive à habiller Pierre. Car comme l'analyse le sociologue Robert Castel, qui parle de "précariat", "le progrès social a du plomb dans l'aile. Ce qu'on observe dans le monde du travail, c'est un processus de décollectivisation. Notre sortie du capitalisme industriel dans le début des années 1980 a donné lieu à une remise en question de ces formes d'organisation collective du travail, auxquelles étaient rattachées des protections collectives. Il y a donc un difficile débat à poursuivre et un équilibre à trouver entre ce qui peut relever de la responsabilité personnelle et ce qui doit relever de la solidarité nationale dans la couverture des risques sociaux. La période que nous venons de traverser a marqué la fin de l'hégémonie de "l'État national social". Ce qui fait défaut, ce sont des institutions internationales qui auraient le pouvoir d'imposer de réelles protections face à la concurrence impitoyable qui se déploie à l'échelle de la planète sous l'égide du capitalisme financier international".
L'analyse des réformes pays par pays menée par Entreprise&Personnel montre qu'elles ne sont pratiquement jamais sans contreparties, sans réallocations de moyens, sans redéfinition des cibles prioritaires. "Bien entendu, il y a des "perdants". S'il est trop tôt pour évaluer l'impact de ces politiques, le risque, déjà perceptible en Allemagne est celui de l'extension de la pauvreté à court terme" conclut l'association. Personne ne croit plus désormais aux solutions miracles. La France un peu moins fragile que ses voisins méditerranéens ne doit pas trop attendre. Et il y a fort à parier que le contexte sera de moins en moins à la mobilisation nationale contre les réformes, l'opinion publique étant aujourd'hui largement divisée sur la justesse des changements à mener.

 

Commentaires 16
à écrit le 13/06/2012 à 15:32
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cette petite oligarchie ne se cache même plus pour annoncer tranquillement le retour deux siècles en arrière. C'est tout ce que l'Europe à a offrir aujourd'hui ? alors vite changeons en. Jamais il n'y a qu'un seul modèle.

à écrit le 10/06/2012 à 19:35
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Il le faudra bien, sous peine de désordres graves dans toute l'Europe !

à écrit le 09/06/2012 à 14:53
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Les loups sortent à présent du bois. Le modèle social européen est mort nous dit tranquillement Mario Draghi, le président de la BCE. Or jusqu'à présent toutes les mesures d'austérité, visant à faire payer aux plus pauvres (plutôt qu'aux plus riches)...

le 10/06/2012 à 12:47
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Tout à fait. "Ils" ont mis 30 ans pour nous faire avaler la pilule, en dépouillant les caisses de sécu et de retraite. Et maintenant, une bonne partie des gens sont convaincus que le "modèle social" n'est pas tenable... Quelle bonne blague ! Lisez Be...

le 11/06/2012 à 20:21
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+1 surtout sur "le peuple serait descendu dans la rue ; maintenant il se terre chez lui, peureux et égoïste. " Le problème fondamental est ici: nous sommes passés du citoyen au consommateur individualiste et tout puissant. A partir de là, rien ne peu...

à écrit le 09/06/2012 à 9:54
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Il faut dire adieu à l' "emploi" et re-bonjour au "travail". Le modèle actuel de protection sociale dérive de l'industrie alors que ce sont les services qui fournissent l'essentiel de la demande aujourd'hui. Les règles en sont changées car l'expérien...

à écrit le 09/06/2012 à 8:39
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On ne peut pas comparer les 10% de chômeurs en France avec les 5% en Allemagne sans donner des précisions : En Allemagne il y a les jobs à 400 euros, un système d'indemnisation plus léger, et une vision du travail différente: en Allemagne vous n'ent...

à écrit le 09/06/2012 à 1:39
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Je ne sais pas si le modèle social européen est mort, ce que je sais par contre, c'est que le patron de la BCE bénéficie de pouvoirs très importants et en particulier d'une liberté d'action par rapport au monde executif et politique. Mais cette liber...

à écrit le 08/06/2012 à 21:02
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merci les retraités, merci les 68ards, merci aux politques que vous avez porté aux pouvoir ces 30 dernières . Merci de vous etes auto-voté une super retraite et de super avantages sociaux sans faire les reformes nécessaires pour les financer. c'st pa...

le 08/06/2012 à 21:52
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Tout à fait d'accord avec vous mais vous avez oubliez les niches fiscales avec les intérêts d'emprunt déduits pour se gaver sur le dos des jeunes avec l'immo....

à écrit le 08/06/2012 à 19:53
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Quel tissu de manipulation collective: "Mais ce modèle a une faille de taille : il a échoué à assurer une de ses finalités : l'accès à l'emploi." ---> Parce qu'aux Etats unis par exemple, très socialiste, hein, l'emploi est en plein essor ? Non bien ...

le 08/06/2012 à 21:24
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Attention, vous êtes en train de parler de certaines idées de la charte de la Havanne que tous les pays avaient ratifiés mais que les US ont refusé au dernier moment pour se gaver sur le dois des autres ... Le maître mot est : équilibre des échanges ...

le 09/06/2012 à 0:05
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Je connaissait pas. C'est fortement intéressant. Comme quoi, quand je vois tout ces gens défaitiste sur un avenir qui ne peux exister que par la loi de la jungle. Et bien cette charte montre qu'un jour, des responsables ont pensé une économie plus ju...

le 09/06/2012 à 11:21
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"Moi je vous le dis, chaque pays devrait être indépendant pour la nourriture, chaque produit vendu doit être construit localement. Ainsi les consommateurs seront les producteurs, et ce ne sera plus, les esclaves produisent ce que les chômeurs ne peuv...

le 09/06/2012 à 11:21
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"Moi je vous le dis, chaque pays devrait être indépendant pour la nourriture, chaque produit vendu doit être construit localement. Ainsi les consommateurs seront les producteurs, et ce ne sera plus, les esclaves produisent ce que les chômeurs ne peuv...

le 09/06/2012 à 11:21
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"Moi je vous le dis, chaque pays devrait être indépendant pour la nourriture, chaque produit vendu doit être construit localement. Ainsi les consommateurs seront les producteurs, et ce ne sera plus, les esclaves produisent ce que les chômeurs ne peuv...

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