EADS, révélateur de la crise du couple franco-allemand

Le cas EADS met à jour la réalité de la relation franco-allemande : une relation déséquilibrée, pleine de défiance et de sous-entendu et où l'aspect symbolique reste le seul ciment.
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A quoi a donc pensé François Hollande lorsqu'il a raccroché ? Lorsque s'est achevé ce coup de fil où Angela Merkel lui a signifié sèchement son refus de la fusion EADS-BAE ? Il est impossible qu'à un moment, le mot « ingratitude » ne lui ait pas traversé l'esprit.

Un gouvernement français fort accommodant

Car enfin, François Hollande s'est montré, depuis le mois de juin, un président français bien commode et un partenaire peu encombrant. Ne venait-il pas, d'ailleurs, la veille de le prouver encore une fois en faisant voter par le parlement français et par l'immense majorité du groupe socialiste un pacte budgétaire dont il affirmait ne pas vouloir durant la campagne présidentielle ? Et n'a-t-il pas cédé à fort bon marché, moyennant un « volet croissance » de forme qui fait plaisamment sourire outre-Rhin ? La chancelière aurait pu en tenir compte.

Comme elle aurait pu tenir compte de la bonne volonté affichée par la France depuis le mois de juin sur le dossier européen. Voici un an, Nicolas Sarkozy lui-même, avant d'adopter lui aussi une position très « merkélienne » à partir de décembre, n'hésitait pas à pousser des feux pour faire flancher la résistance allemande sur certains sujets, comme les Eurobonds. Cette fois, on chercherait en vain un tel positionnement du gouvernement français qui affiche, depuis le Conseil européen de fin juin, un profil bas marqué par l'absence de toute contre-proposition. C'est bien plutôt Mario Monti aujourd'hui qui joue ce rôle en avançant clairement sa différence, très fédéraliste. Du coup, Paris n'est guère un obstacle pour Berlin qui, il faut bien le reconnaître, est seul à la man?uvre, face aux institutions européennes, sur les sujets sensibles du moment : intervention de la BCE, aide à la Grèce, cas espagnol.

Trompeuses embrassades

François Hollande a un choix, celui des sourires et des embrassades qui accompagnent les nombreux, redondantes et souvent assez creuses célébrations du cinquantenaire du traité de l'Elysée. Mais tout ceci ressemble bel et bien aux usines Potemkine que l'on faisait visiter jadis en URSS aux touristes. Le dossier de presse de cette année franco-allemande précise certes qu'elle est « l'occasion de préparer les prochaines étapes d'une relation franco-allemande intense, équilibrée (...) et résolument tournée vers l'avenir », mais la réalité est tout autre.

Déséquilibre

La réalité, c'est que jamais depuis fort longtemps, la relation franco-allemande n'a été aussi déséquilibrée, ni, partant, aussi peu intense. Prise à la gorge par ses finances publiques désastreuses, la France ne peut guère faire preuve d'indépendance ou de résistance vis-à-vis de Berlin. Elle est obsédée par la nécessité d'être « dans le bon camp. » Une faiblesse bien saisie par Angela Merkel qui a déjà ainsi « ramené à la raison » deux présidents français.

Dès lors, Angela Merkel vit sa propre vie, sans se soucier de son ami de Paris. Et sa vie, aujourd'hui, c'est clairement la question de sa réélection en septembre prochain. Désormais confrontée à un candidat social-démocrate, Peer Steinbrück, qui a décidé de mener une campagne offensive - qui commence du reste à porter ses fruits - elle doit serrer les rangs du camp conservateur autour d'elle. Et évidemment montrer qu'elle défend les intérêts nationaux et les emplois allemands. C'est le message qu'elle a voulu envoyer en stoppant la fusion. Impossible que l'Allemagne ne soit à égalité avec la France au sein d'EADS. Impossible que l'entreprise puisse gérer ses sites en ne tenant pas compte des intérêts politiques locaux. Le libéralisme allemand, si prompt à donner des leçons à l'Europe et au monde, se fait plus discret lorsqu'il n'y va pas de ses intérêts.

Défiance

Mais au-delà du duo bancal entre François Hollande et Angela Merkel, cette affaire EADS met à jour le caractère artificiel de « l'amitié franco-allemande » entre deux classes politiques qui se connaissent mal, se comprennent encore plus mal et n'ont aucune confiance mutuelle. Le gouvernement fédéral allemand n'a pas voulu de cette fusion parce qu'il a craint de voir le futur groupe diriger par une alliance franco-britannique, une sorte de peur panique de l'Entente... Bel preuve en vérité de la confiance mutuelle et de cette relation « tournée vers l'avenir » que vante le dossier de presse de l'année franco-allemande. A chaque pas d'un côté du Rhin, on cherche, de l'autre, les sous-entendus et le piège caché. La crise européenne n'a du reste fait que renforcer le phénomène.

Le mythe du partenariat commercial

Comment pourrait-il en être autrement ? Sur le plan commercial, la France n'est plus essentielle pour l'Allemagne. Certes, elle reste la première destination des exportations allemandes, mais ce chiffre, dont se rengorgent tous les apôtres du franco-allemand, est gonflé par EADS, justement, dont les échanges comptent pour un quart du total. Hors matériel aéronautique, la France est un partenaire de second rang pour l'Allemagne. Ce qui est donc le cas pour les entreprises allemandes qui ne sont pas dans ce secteur.

Un chiffre, du reste, suffira à prouver que la France est de moins en moins le centre des préoccupations de Berlin : en 2009, la Chine représentait 4,6 % des exportations allemandes, en 2011, elle pesait pour 6,1 %. Parallèlement, la part de la France est passée de 10,1 % à 9,6 %. On en déduira où se trouve aujourd'hui la source de la croissance allemande et où se trouve l'essentiel pour les Allemands.

Vieux couple désabusé

Le seul lien qui lie encore les deux pays est symbolique et s'explique par le traumatisme encore ouvert de la dernière guerre. L'Allemagne a besoin du couple franco-allemand pour ne pas apparaître comme hégémonique en Europe. D'où les « initiatives communes » du précédent septennat où Nicolas Sarkozy portait devant le conseil européen les propositions d'Angela Merkel. La France, de son côté, y trouve son compte, vivant par procuration une partie de la puissance allemande qui lui rappelle sa gloire d'antan. Elle ne veut pas, en s'opposant à l'Allemagne, donner l'impression de relancer la germanophobie dont le cas grec a montré encore la réalité de ce danger. Ce filet symbolique explique donc encore que, cahin-caha, le couple franco-allemand fasse bonne figure devant les photographes.

Mais il ressemble de plus en plus à ces vieux couples où chacun regarde ailleurs, pense à un avenir différent et se défie de l'autre, mais où l'on reste ensemble parce que le divorce serait la preuve irréfutable de l'échec. Et que la vérité serait trop difficile à accepter.
 

Commentaires 19
à écrit le 13/10/2012 à 13:49
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Un "observateur" assez mal informé qui pretend " c est que les Allemands par patriotisme et intelligence économique achètent surtout des voitures allemandes". La verité: Selon l´office des statistiques de Flensburg, 66 % des vehicules im...

à écrit le 12/10/2012 à 10:52
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Apparemment, après tant d'articles sur cette fusion, le journal La Tribune n'a pas l'air de digérer cet échec! Pourtant il devrait se pencher sur le passé trouble et corrupteur de BAE. Cela donnera un éclairage au public sur la réticence de Berlin à ...

à écrit le 12/10/2012 à 1:14
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Quel couple Franco-allemend ? Dans un couple on decide à 2; là ce n'est pas le cas puisque c'est toujours l'allemagne qui impose sa position quelque soit l'avis de la France. L'allemagne depuis quelle a retrouvé sa puissance apres les couts de la gue...

le 12/10/2012 à 6:49
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ne pas limiter la problématique à Merkel, mais dire les Allemands au lieu de "l'Allemagne": si vous parlez à vos amis allemands vous verrez qu'un nombre non négligeable ne s'aligne pas sur la ligne electoraliste-sommet de la pyramide des âges, type C...

le 12/10/2012 à 10:30
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@Allemands, ayant ma famille des deux cotés de la frontière, je ne peu plus partager entièrement votre avis. Mme Merkel (qui vient de l'ex partie est allemande) a profondément transformé les allemands, en particulier sur la vision de regrets et de re...

à écrit le 11/10/2012 à 23:33
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Ce que je vois surtout, c'est l'incapacité des allemands à négocier. Toute personne ayant dû négocier avec des allemands vous diront que c'est impossible, ils comprennent pas ce que veut dire le mot compromis et il serait temps que l'on sorte de cet...

à écrit le 11/10/2012 à 22:10
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Le c?ur du problème c?est la dégradation de notre balance commerciale avec l'Allemagne, qui est la source de tous les déséquilibres passés et à venir. Pour sauver l Europe, arrêtons d acheter allemand ! Nous pourrons alors parler d'égal à égal. Il fa...

le 12/10/2012 à 8:57
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Vous n'êtes sans doute jamais monté dans un véhicule allemand pour affirmer que la qualité des voitures françaises est aussi bonne. Les voitures françaises sont des produits de mauvaise qualité qui se dégradent rapidement mais qui actuellement arri...

le 12/10/2012 à 10:58
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Exact, chaque fois que je suis monté dans une voiture française, j'ai cumulé panne sur panne. A force de se faire une fixation sur la voiture populaire de basse qualité qui ne rapporte que peu de marge, les fabricants français se tire une balle dans ...

à écrit le 11/10/2012 à 21:50
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On magnifie le couple franco allemand, et surtout du coté français, depuis trop longtemps. On oublie souvent que des le traité de l'Elysée les allemands nous avaient surpris et déçu. Il est presque pathétique de voir la volonté des politiques françai...

le 11/10/2012 à 22:23
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"Le couple franco-allemand" est en effet un concept français uniquement : en Allemagne, ils ne l'évoquent pas ainsi. C'est un mythe.

à écrit le 11/10/2012 à 19:42
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Merci pour cet article qui exprime enfin avec courage la nécessité pour la France de passer à autre chose et pour nos élites de cesser leur aveuglement à l'égard de l'Allemagne. Que l'Allemagne joue ses intérêts soit, mais que nos dirigenats défenden...

le 12/10/2012 à 11:03
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Vous n'y êtes pas. Lisez "le brise glace" de Suvorov pour vous donner une meilleure idée des responsabilités de la guerre. Par ailleurs, entre un Hollande qui va rassurer la City de la perfide Albion lors de sa campagne électorale et une Merkel qui ...

à écrit le 11/10/2012 à 18:59
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Cet article fournit une analyse correcte sur le rapport de force franco- allemand et les éternelles suspicions que provoque l' apparition d 'un anglais dans le jeu . Une partie à trois se termine toujours à 2 contre 1 et Merkel pouvait craindre l'uni...

à écrit le 11/10/2012 à 18:43
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L'Allemagne et la France jouent maintenant, sur un plan économique, dans deux divisions différentes. Par exemple, il y a 40 ans, Lyon et Francfort / Main, villes jumelles, étaient, avec leurs différences, dans une situation de relative parité. En 201...

le 11/10/2012 à 21:19
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Hier, sur un forum La Tribune, un lecteur regrettait le manque de vol AF Lyon/NY.... Lyon est en D2 quand Francfort, Munich, Dusseldorf jouent en L1.

le 11/10/2012 à 21:56
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tant que nos impôts lyonnais financerons la RATP parisienne, alors les impots des parigots ne financerons pas les Transports en commun lyonnais, marseillais, bordelais, etc etc ... effectivement la FRANCE hors Paris , vidée de son sang et de ses moye...

à écrit le 11/10/2012 à 18:40
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On peut mentionner aussi qu'A Merkel fait payer à F Hollande sa faute diplomatique de début de quinquennat, où il avait invité à l'Elysée ses propres opposants avant elle-même...

à écrit le 11/10/2012 à 18:17
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La vérité est beaucoup plus simple que cela. Angela Merkel vient d'un faubourg de Berlin-Est, a grandi dans le bloc soviétique et n'a pas la "fibre européenne" des grands chanceliers Allemands.qui venaient des pays rhénans ou des ports de la Hanse. C...

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