En Italie, la formation d'un gouvernement n'est pas pour demain

Par Romaric Godin  |   |  1088  mots
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A cinq jours de la première séance du parlement italien, les tensions politiques ne s'apaisent guère. Le scénario d'un « gouvernement d'objectifs » avant des élections à l'automne semble le seul probable. L'agence Fitch vient de dégrader la note du pays.

Le chaos politique ne se dément pas en Italie. Ce lundi, près de 150 députés du centre-droit ont envahi le palais de justice de Milan où Angelino Alfano, le dauphin de Silvio Berlusconi, a donné une conférence de presse improvisée. Les élus du « Peuple de la Liberté » (PdL), parti arrivé de peu en deuxième position lors des élections générales des 24 et 25 février, voulaient ainsi protester contre les « pressions judiciaires » que subiraient leur leader.

Affaire Ruby et visite médicale pour Silvio Berlusconi

Silvio Berlusconi était en effet convoqué au procès de l'affaire « Ruby », cette affaire de détournement de mineurs et de prostitution qui avait éclaté en 2011. Or, le Cavaliere a refusé de se rendre au tribunal, prétextant des raisons de santé, et a été hospitalisé à l'hôpital San Raffaele de Milan. Les juges ont alors mandaté une expertise, et une visite médicale a eu lieu ce lundi pour évaluer l'état de santé de l'ancien président du conseil. C'est ce qui a déclenché l'ire des députés. Ce pourrait n'être qu'une énième péripétie de la vie judiciaire de Silvio Berlusconi, mais dans la situation actuelle de l'Italie, l'affaire prend un tour politique.

Retrait sur l'Aventin ?

Angelino Alfano a ainsi mis en garde : « Nous réfléchissons à ne pas participer à la première séance du parlement [prévue vendredi, ndlr], parce que ce qui se passe est contraire aux principes de la démocratie et des institutions républicaines. » Selon le bras droit du Cavaliere, la justice tenterait de casser politiquement par voie judiciaire le leader du centre-droit. Silvio Berlusconi avait déjà, voici quelques jours, évoqué un scénario « à la Craxi », du nom de l'ancien président du conseil italien, leader du parti socialiste (Psi) qui, après l'opération « mains propres » en 1992, avait été contraint de quitter la vie politique.

Menace peu probable

En réalité, la menace d'Angelino Alfano est plus symbolique que dangereuse. L'article 64 de la Constitution indique que le quorum des chambres est constitué par la moitié de ses membres et que leurs décisions sont prises à la majorité absolue des présents. Le PdL ne dispose d'aucune majorité, ni au Sénat, ni à la chambre. Leur « retrait sur l'Aventin » offrirait même une majorité inespérée au centre-gauche au Sénat. Il y a donc peu de chances que la menace du dauphin du Cavaliere soit suivie d'effet. D'autant que certains leaders du centre-droit ont déjà fait savoir qu'il rejetait cette possibilité.

Equation insoluble

Reste que cette nouvelle affaire éloigne toute possibilité de participation du PdL à une future majorité. Elle montre combien les tensions politiques semblent fortes dans la péninsule. L'équation politique demeure insoluble, à cinq jours de la première séance du parlement fraîchement élu. Aucune majorité ne semble pouvoir se dessiner. Le Mouvement 5 Etoiles (M5S) de Beppe Grillo ne cesse de durcir le ton vis-à-vis de Pier Luigi Bersani. Il a ainsi défié le centre-gauche de renoncer aux remboursements des dépenses électorales prévues par la loi, comme le fait le M5S. Parallèlement, la présidente des députés « grillistes », Roberta Lombardi, a prévenu qu'il n'y aura aucun vote de confiance en faveur du centre-gauche. « Ceux qui voteraient la confiance seront exclus du mouvement », a-t-elle précisé. Ce lundi, Pier Luigi Bersani a d'ailleurs indiqué que son parti était "incapable de gouverner", sorte d'aveu d'échec de ses projets de gouvernement minoritaire.


Ce qui va se passer ce vendredi

Que se passera-t-il alors ? Vendredi, la Chambre et le Sénat devront élire leurs présidents. Dans le cas du Palazzo Madama (le siège du Sénat), il sera intéressant de remarquer si une personnalité parvient à rassembler une majorité. Selon le règlement de cette assemblée, au bout de trois tours, une majorité absolue des présents est suffisante. Au quatrième tour, une majorité relative entre les deux candidats arrivés en tête au troisième tour suffit. Le 19 mars, le président de la république commencera ses consultations officielles en vue de la formation d'un nouveau gouvernement. Si elles échouent, notamment si Pier Luigi Bersani échoue à réunir une majorité au Sénat, comme cela est hautement probable, la situation sera bloquée.

Trouver un nouveau président

Le président de la République, Giorgio Napolitano, ne peut en effet dissoudre le parlement, car il arrive en fin de mandat. Il faut donc attendre l'élection d'un nouveau chef de l'Etat. Ce scrutin, auquel participeront les parlementaires et les représentants des régions, aura lieu à partir du 15 avril. Mais il pourra durer longtemps. Dans le cas de l'élection du président Oscar Luigi Scalfaro, en 1992, il avait fallu 16 tours de scrutin et deux semaines pour parvenir à trouver un président de la République. Certes, les parlementaires pourraient aller vite pour accélérer le retour aux urnes, mais ils ne voudront pas non plus se tromper : en ces temps troublés, le rôle du président, élu pour 7 ans, est décisif. Au regard de la situation politique actuelle, un compromis sur la présidence de la république semble difficile. Il faudra donc attendre sans doute plusieurs jours pour connaître le nouveau chef de l'Etat.

Gouvernement « d'objectifs »

Une fois élu, ce dernier pourra dissoudre les chambres s'il ne parvient pas non plus à trouver de solution. Le scrutin devra alors avoir lieu entre 45 et 70 jours plus tard. Soit, au mieux à la mi-juin, mais plus vraisemblablement début juillet. Or, il sera difficile de faire voter les Italiens durant les mois estivaux. Du coup, l'hypothèse qui se développe actuellement est celui de la constitution par le président Giorgio Napolitano d'un « gouvernement d'objectifs », formé d'experts et chargé de gérer le pays autour de certains buts acceptables par une majorité de parlementaires, notamment la réforme électorale, sans volonté de durer. De nouvelles élections auraient alors lieu à l'automne, à une date proche du scrutin allemand, prévu fin septembre. C'est l'hypothèse avancée dans le Corriere della Sera par Stefano Passigli, ancien sénateur de centre-gauche et professeur de sciences politiques. Une chose est sûre,  en attendant il n'y aura pas de vraies réformes économiques pendant cet interrègne où devra cependant se préparer le budget 2014. Et ce, alors même que Fitch vient de dégrader la note du pays.