L'impact du "plan d'aide" sur l'économie de Chypre sera considérable

Le PIB de l'île méditerranéenne pourrait se contracter de 15 % en deux ans, car les ménages vont payer le tribut le plus lourd. Le secteur financier est, lui, voué à disparaître.
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Quelles seront les conséquences sur l?économie chypriote de la taxe sur les dépôts bancaires décidée ce week-end par l?Europe ? Pour répondre à cette question, il convient sans doute d?abord de pouvoir déterminer la structure de l?économie de l?île méditerranéenne. Ou plutôt de sa partie hellénophone, la République de Chypre, la seule reconnue internationalement et membre de l?Union européenne. Car rappelons que le nord du pays est occupé unilatéralement par la Turquie qui y a installé un régime ami appelé "République turque de Chypre du Nord."

Le PIB de Chypre était de 17,8 milliards d?euros à fin 2011, soit l?équivalent de l?ensemble des fonds nécessaires à renflouer les deux grandes banques du pays, la Marfin (officiellement Banque populaire de Chypre) et la Banque de Chypre. Le pays est une plaque-tournante de la finance, non seulement en provenance de l?ex-URSS, mais aussi des pays du Moyen-Orient et de la Grèce. Le secteur bancaire est donc démesuré : les deux banques "sauvées" ce week-end cumulaient en 2011 pas moins de 82 milliards d?euros de bilans, soit 4,6 fois le PIB du pays! C?est évidemment beaucoup, mais pas insolite : ce ratio est inférieur au rapport entre la somme des bilans de Crédit Suisse et UBS et du PIB suisse.

De la finance ? Pas entièrement

Pourtant, l?économie chypriote est loin d?être une simple économie financiarisée. Le secteur financier ne compte que pour 7,9 % du PIB (données de 2011) de l?île si l?on exclut le secteur immobilier (fortement dépendant du tourisme). Au Luxembourg, par exemple, le secteur financier compte pour plus de 20 % du PIB. Le premier secteur qui génère de l?activité à Chypre, c?est la vente de détail (11 % du PIB), suivi de l?immobilier et des activités de l?administration centrale. Voici qui écorne l?image de Chypre "trou noir de la finance" qui serait une sorte de coffre-fort au milieu de la Méditerranée. En réalité, Chypre n?est souvent qu?un séjour temporaire pour les investisseurs : l?argent transite par l?île depuis l?ex-URSS pour passer vers d?autres paradis fiscaux avant de revenir pour être finalement investi en ex-URSS.

Au final, l?économie chypriote gagne un peu dans cette affaire, mais pas suffisamment : si le compte financier du pays est excédentaire, sa balance des paiements est chroniquement déficitaire. Autrement dit, Chypre ne « vit » pas de la finance comme le Luxembourg et la Suisse qui dégagent grâce à leurs secteurs financiers des excédents courants considérables. Du reste, le PIB par habitant de Chypre n?est pas comparable à ces deux pays : selon la Banque mondiale, il est 2,8 fois inférieur à celui de la Suisse et 3,7 fois à celui du Luxembourg.

La part des non-résidents

La taxe sur les dépôts doit rapporter 5,8 milliards d?euros, soit pas moins d?un tiers du PIB. Son impact devrait donc être considérable sur l?économie de l?île. Selon les données de la Banque centrale chypriote et de l?office des statistiques, les dépôts bancaires s?élevaient à 69,94 milliards d?euros en novembre 2012. Les non-résidents comptaient pour seulement 35 % du total, soit 25 milliards d?euros. La part de la « Russie » dans ce total est difficile à estimer : officiellement, les déposants russes détiennent 1,2 milliard d?euros seulement (soit moins que les 1,24 milliard déposés par les Français) et les Britanniques sont les premiers déposants à Chypre. Sauf que souvent les oligarques passent par les « dépendances de la Couronne » et par Londres pour déposer leurs avoirs à Chypre. On le voit : non seulement la "faute" de Chypre n?est pas isolée, elle s?inscrit dans des pratiques internationales d?évitement fiscales, mais la contribution des non-résidents sera plus réduite que celle des résidents. Enfin, il faut compter avec les dépôts des expatriés nombreux à Chypre, notamment des Britanniques qui travaillent dans la grande base militaire du pays laissée à Londres après l'indépendance en 1960.

Les Chypriotes paient l?addition

Ce sont donc d?abord les Chypriotes qui paieront l?addition. Les dépôts des ménages, 26 milliards d?euros, sont ainsi supérieurs à ceux des non-résidents. Selon Eric Dor, directeur de recherche à l?école de gestion IESEG, la contribution par ménage serait de 2.500 à 2.900 euros en moyenne. Pour des ménages français, ceci contribuerait à une taxe de 4.000 à 5.000 euros. La banque japonaise Nomura estime que la perte pour les ménages sera, en moyenne, de 15 % de leurs revenus. Une ponction à l?économie qui devrait coûter cher au secteur de la consommation, dont on a vu le poids dans l?économie de l?île. Les entreprises non financières seront aussi pénalisées, puisqu?elles disposent de 9 milliards d?euros de dépôts. Ce sera autant de moins pour l?investissement.

Enfin, le secteur financier chypriote est sans doute en état de mort clinique depuis vendredi soir. Après un tel coup, les investisseurs internationaux ne feront plus jamais confiance aux banques de l?île. Les inévitables retraits qui vont intervenir vont achever de fragiliser les deux grandes banques déjà affaiblies par le PSI grec décidé par l?Europe. On doit, ici, s?attendre à des licenciements massifs dans le secteur et, sans doute, à un "credit crunch."

L?enjeu du gaz

Nomura estime que le PIB chypriote devrait se contracter de 15 % en deux ans. Or, depuis l?an passé, Chypre est déjà en récession. Le gouvernement avait déjà entamé un fort tour de vis. Le PIB a reculé l?an passé de 2,3 %. Le problème, c?est qu?on voit mal où va désormais l?économie chypriote : les mesures prises vont détruire un pan de son économie et les mesures favorables à la compétitivité risquent de ne pas peser lourd. Le seul espoir de Chypre, c?est le gisement de gaz naturel qui a été découvert aux larges de ses côtes et qui sera exploité avec Israël.

Pour l?Union européenne, ce gisement aurait pu être une chance. Sauf que désormais, Chypre est à vendre et il y a fort à parier que ce gisement profitera à un tiers plus offrant. Déjà Gazprom aurait, selon la chaîne de télévision locale Sigma TV,  proposé au président chypriote de renflouer les banques du pays contre l?exclusivité de la gestion de ces gisements. L?offre aurait été déclinée. Mais face aux conséquences du plan européen, jusqu?à quand ? Au final, l?Europe, pour ne pas avoir voulu payer pour Chypre risque de voir cette source d?énergie dans les mains d'un tiers qui lui dictera sa loi?

 

Commentaires 18
à écrit le 22/03/2013 à 7:14
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Quand vous sortez comme moi de Harvard, vous avez carte blanche et tant pis si les autres récoltent des idées noires.

à écrit le 19/03/2013 à 13:28
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Je crois qu il faut acheter qq lingots car tu as raison et en plus ce jour la on aura lepen.

à écrit le 18/03/2013 à 23:03
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Malgres ses arrangements de politicien, cela reste toujours contraire à la convention européenne des droit de l homme et a la constitution chypriote qui protégé la propriété individuelle des citoyen et leur pleine et libre jouissance. Cela crée un t...

à écrit le 18/03/2013 à 22:42
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Ce que les dirigeants européens ont dans le crâne ?! Mais est-ce que le but réel ne serait pas justement de laisser une société comme Gazprom remporter l'exploitation lucrative de ce gisement ? Cette démarche s'inscrit dans la logique économique actu...

à écrit le 18/03/2013 à 22:15
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on peut se demander si les dirigeants européens ont quelque chose dans le crâne ???

à écrit le 18/03/2013 à 21:44
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L'impact ne se produira pas que sur l'économie de Chypre : à la prochaine fièvre des marchés, les ménages se rueront sur les DAB dans le reste de l'Europe du Sud pour vider leurs comptes...ce qui précipitera l'euro et l'Europe dans la crise encore pl...

à écrit le 18/03/2013 à 20:21
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Merci pour cet article

à écrit le 18/03/2013 à 19:59
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Il ne faut pas déconner Chypre est un paradis fiscal !!! Ahh c'est fun de ne pas payer d'impôts mais pourquoi en cas de problème ce devrait être les contribuables Européens et donc français qui devraient payer alors qu'ils ne vivent pas EUX dans un p...

à écrit le 18/03/2013 à 19:17
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Malgré toutes ces faillites, le délire absolu continue. La Croatie va en effet intégrer l'UE au 1er juillet prochain !! La pompe à "gros emmerds" n'est pas prête de se tarir

à écrit le 18/03/2013 à 19:07
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Article éclairant. Merci au journaliste! Il y a un bonne interview de Sapir, aujourd'hui sur BFM.. http://lesmoutonsenrages.fr/2013/03/18/on-est-dores-et-deja-dans-une-panique-bancaire-selon-jacques-sapir/

à écrit le 18/03/2013 à 18:51
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Hhmm.. Des chiffres bien différents lus par ailleurs... A priori, comme d'habitude, il faudra attendre les faillites des banques pour avoir les vrais chiffres. Notez, on en est plus à quelques dizaines de petits milliards près, au stade actuel.

à écrit le 18/03/2013 à 18:05
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Article intéressant. Il faudra juste que l'auteur se mette au goût du jour. L'ex-URSS s'appelle dorénavant la Russie. S'il pouvait ainsi éviter l?anachronisme du Congo Belge ...

à écrit le 18/03/2013 à 17:59
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l'europe aurait été plus inspirée de proposer à chypre... de l'aider à exploiter son gisement gazier...... nous rendant ainsi un peu moins dépendant de l'ami Poutine...... et permettant ainsi à Chypre de faire un plan de redressement à moyen terme av...

à écrit le 18/03/2013 à 17:59
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il existe des journalistes compétents. La preuve. Encore merci pour votre sérieux, Romaric Godin.

à écrit le 18/03/2013 à 17:47
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c?est toujours la même rhétorique des médias, les ménages Chypriotes ne sont pas si riches que vous prétendez, combien dispose de 100 000 ou même 50 000 euros ? vous mélangez tout, les dépôts des entreprises et autres. Si l?Europe n?était pas interve...

à écrit le 18/03/2013 à 17:45
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les conseillers étaient au ski ou quoi ! si cette soluce est une stupidité qui nous surprend dès qu'elle s'affiche à la tribune , j'ai du mal à croire qu'ils pourront sauver l'europe ! sa monnaie de la misère et le chômage de masse qui enfle . vite a...

à écrit le 18/03/2013 à 17:29
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Ils seront, en tout cas, débarrassés de leur secteur financier. Et ça, ça n'a pas de prix.

à écrit le 18/03/2013 à 17:23
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L'européen moyen ne retiendra qu'une seule chose, c'est que l'Etat peut se servir sur son compte comme bon lui semble.

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