Chypre : le leurre de la victoire contre un paradis fiscal

Beaucoup se réjouissent que les Européens aient réussi à mettre à genoux un paradis fiscal au sein de la zone euro. Mais cette vision angélique du plan chypriote ne résiste pas à l'examen.
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Ainsi donc, l?argument ultime a été trouvé pour défendre le plan « de sauvetage » de Chypre : la lutte sans merci de l?Union européenne contre les « paradis fiscaux. » Les "méchants" chypriotes cachaient dans leurs coffres l?argent des "méchants mafieux" russes. On veut mettre fin à ce scandale par une ponction directe dans le coffre-fort des oligarques ? Qui peut s?en plaindre ? Et voici que les défenseurs de la politique européenne entament sur toutes les ondes cette antienne : « On ne croyait pas que fût possible, mais l?on peut mettre à genoux un paradis fiscal dans l?UE », etc. Fermez le ban ? Pas si simple.

Pas de volonté de lutter contre le paradis fiscal chypriote

Ce discours semble trop beau pour être honnête. D?abord, il n?y a jamais eu de volonté de « casser » Chypre comme paradis fiscal avant ce week-end. Sur ce sujet, les Européens ont toujours avancé prudemment. Voici un mois, le nouveau président de l?Eurogroupe, Jeroen Disselbloem, affirmait que la clé du blocage chypriote était le refus de l?ancien président communiste de privatiser les biens de l?Etat chypriote. Nullement de frapper les exilés fiscaux. Jeudi dernier, avant l?ouverture du conseil européen, le secrétaire d?Etat allemand aux Finances, Stefan Kampeter, connu pourtant comme un « dur », a explicitement affirmé qu?il « n?y avait aucun signe à Chypre de dépôt illégal. » Bref, les ministres des Finances de la zone euro ont revêtu leur armure de défenseur de la veuve et de l?orphelin dans la nuit de vendredi à samedi. Pas très crédible.

Une taxe contre les exilés fiscaux ?

Par ailleurs, si l?ambition de l?Europe avait été de mettre fin à ce scandale d?un « paradis fiscal » au c?ur de l?Union européenne, la taxe sur les dépôts aurait été ajustée en conséquence, en la limitant aux non-résidents ou aux citoyens étrangers. Il est difficile de croire que les Chypriotes qui vivent et travaillent à Chypre le font pour échapper au fisc allemand, français ou russe. Or, il n?a jamais été question d?une telle mesure. Il eût pourtant suffi de taxer à 23 % l?ensemble des dépôts des non-résidents qui s?élève à 25 milliards d?euros pour obtenir les 5,8 milliards d?euros. Mais c?eût été sans doute envoyer un signal très dangereux à l?ensemble des investissements étrangers en zone euro qui aurait pesé sur les autres « paradis fiscaux » de la zone euro, ceux du nord de l?Europe.

Chypre, un tuyau dont on se passera

Car, on ne cessera jamais assez de dire que, dans la lutte contre les « paradis fiscaux », les dirigeants européens font d?abord de la communication en étrillant quelques boucs émissaires bien choisis. Ce fut la Suisse, c?est aujourd?hui Chypre. Mais le fond du problème n?est réellement jamais traité. Le fond du problème, c?est le manque de transparence des trusts basés dans les dépendances de la couronne britannique comme les îles Cayman ou Jersey, sans compter ceux basés à Londres même. Sans ces systèmes, Chypre n?est qu?un tuyau qui, si on le casse, sera aussitôt remplacé par un autre. Et cette fois, certainement en dehors de la zone euro. Rappelons que Berlin, aujourd'hui donneur de leçons, avait en décembre voulu imposer l'accord Rubik avec la Suisse, ce qui aurait protégé le secret bancaire suisse...

La "flat tax" n'est pas un péché en Europe

Sur la question purement fiscale, il est vrai que Chypre a une très faible imposition sur les entreprises, avec une « flat tax » (impôt à taux unique) de 10 % (qui sera relevée à 12,5 %). Cela pose un problème de compétition fiscale au niveau de la zone euro, mais ce n?est pas interdit par les traités, bien au contraire, et n?a jamais été sérieusement combattu par les ministres des Finances de la zone euro. Plusieurs pays européens ont eu recours au levier fiscal pour attirer les capitaux. La Slovaquie ou la Bulgarie, exemples parmi les plus choyés de libéralisme réussi par la Commission, ont utilisé la « flat tax » avec succès pour dynamiser les investissements dans les années 2000. L?Irlande en est un autre exemple d?imposition très faible. Un exemple gênant pour les Européens puisque dans le plan de sauvetage irlandais, ils n?avaient pas demandé un relèvement significatif du taux d?imposition. Mais il est vrai que les investisseurs irlandais étaient non des Russes ou des Grecs, mais des Allemands et des Français. Enfin, les Européens tolèrent également fort bien la fiscalité néerlandaise. Au point que le président de la république française peut accueillir dans son palais la signature d?un contrat historique d?EADS, une entreprise basée aux Pays-Bas pour des raisons purement fiscales?

L?Europe et les oligarques

Mais enfin, qui se plaindra de la ponction faite aux oligarques russes ? Sur ce point encore, la position de l?Europe n?est guère convaincante. Lorsque l?argent russe va vers Chypre, il est forcément « sale. » En revanche, lorsque l?argent russe construit un gazoduc sous la baltique vers l?Allemagne ou investit dans le football britannique, il devient respectable. Autant que lorsque, pour sauver le site de Florange, le gouvernement français fait les yeux doux au groupe russe Severstal. Mais si ce dernier avait repris le site, il l?aurait sans doute fait avec de l?argent ayant transité par Chypre? Les Européens, prompts à pleurer sur le sort peu enviable de Vladimir Khodorkovski qui croupit dans une geôle sibérienne, oublient que ce dernier, avait construit son empire sur la banque Menatep, basée à? Chypre ! Ceux qui fustigent la république chypriote sur ses liens avec Moscou étaient connus lorsque, en 2004, ne se sont guère manifesté lorsque l?on a accepté l?île dans l?UE puis dans la zone euro. Pourtant, chacun savait déjà que Chypre était le coffre-fort de l?économie russe. Autrement dit, si l?Europe avait voulu donner une leçon aux oligarques, elle ne ferait pas les yeux doux devant leurs investissements et elle leur aurait donné depuis fort longtemps.

Frapper le point faible, sans se soucier des conséquences

Pour finir, il faut rappeler que Chypre a certes beaucoup vécu de ses avantages fiscaux, mais que, contrairement à ce qu?on entend ici ou là, cela n?a jamais suffit. Sa balance des paiements est en déficit chronique. Autrement dit, l?argent quitte plus le pays qu?il n?y rentre. Chypre n?est donc pas le Luxembourg ou les îles Cayman, pays qui ont construit l?ensemble de leurs économies sur les flux de capitaux entrants. Du reste, ce n'est pas l'activité offshore de Chypre qui l'a conduit à demander l'aide européenne, mais le PSI de la Grèce, décidé par les dirigeants européens ! Frapper les dépôts chypriotes, c?est simplement affaiblir le seul point fort de son économie, mais un point fort déjà insuffisant. Et comme Chypre ne deviendra jamais le centre d?une industrie exportatrice, c?est mettre à mort cette économie. Sans proposer d?alternative, sans proposer de plans d?investissement pour assurer la relève.

Conclusion : un leurre pour cacher le manque de solidarité

La réalité, c?est que le plan chypriote n?a jamais réellement eu pour vocation de mettre fin à un paradis fiscal. Simplement, parce que l?Europe n?a aucune stratégie de lutte cohérente contre les paradis fiscaux. Ce plan est le simple fruit de la loi du plus fort. Devant des Chypriotes aux abois, sans poids dans la zone euro, banquiers des « autres » (c?est-à-dire des Russes), on a imposé la solution la moins douloureuse pour les « grands » et la plus douloureuse pour Chypre. Sans se soucier des conséquences. Le vrai fond de l'affaire, c'était de faire payer les autres. C?est la nouvelle version de la solidarité européenne. Et pour redorer le blason de cette peu glorieuse logique, on a construit a posteriori ce mythe de la lutte contre un paradis fiscal.

 

 

Commentaires 44
à écrit le 25/03/2013 à 15:56
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Article absolument limpide! Bravo a l'Auteur !

à écrit le 22/03/2013 à 13:51
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Excellent article

à écrit le 20/03/2013 à 12:10
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D'abord il faut absolument que la dépense du gouvernement serait transparente et raisonnables. A ce moment là, des contribuables seraient contents de payer des impôts et des taxes.

à écrit le 20/03/2013 à 11:44
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Article qui titille bien les neurones, excellent.

à écrit le 20/03/2013 à 9:54
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Article vraiment excellent. L' Europe néoliberale et germanique a choisi un chemin abusif. C' est l' Europe des spéculateurs!

à écrit le 20/03/2013 à 9:21
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La meilleure façon de détruire ces paradis fiscaux, c'est d'en devenir un!

le 20/03/2013 à 9:55
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Tout à fait d'accord avec vous ! Ce sont les enfers fiscaux tels que la france ou la belgique notamment qui provoquent la créationd e pseudo paradis fiacaux où, curieusement, le niveau et la qualité de vie des populations sont systématiquement nettem...

à écrit le 20/03/2013 à 9:13
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La République de Chypre, est devenue un important centre de transit pour la traite des femmes et les autorités sont en partie à blâmer, selon un rapport du médiateur de cette île de la Méditerranée orientale. Plus de 2000 étrangères transitent annuel...

le 20/03/2013 à 10:15
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Si transit de femmes par Chypre il y a, c'est parce qu'il y a une demande en europe, et notamment en france. Ce sont donc les européens français, clients de ces femmes"faciles", qui doivent être montrés du doigt et cloués au pilori.l'offre existe par...

le 20/03/2013 à 11:25
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Je suis une affranchie et abolitionniste de surcroit ,merci pour votre prise de position très tranchée .Mais pour moi le vrai coupable reste le proxénète, pour le client il faudra surtout de l?éducation sur les rapports égalitaires entre homme et fem...

à écrit le 20/03/2013 à 6:19
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Si le matraquage fiscal ne suffit pas, on sait aujourd'hui que l'Union Européenne aura recours à l'extorsion de fonds sur les comptes des particuliers pour renflouer les caisses des Etats en difficultés. Où il y a de la gène il n'y a pas de plaisir. ...

le 20/03/2013 à 9:38
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Rappelons que sans aide de l'Union Européenne, les banques chypriotes seront en faillite et les épargnants perdront encore plus.

à écrit le 20/03/2013 à 0:30
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Excellent article mais combien de temps Mr Godin va t il encore reste à LT? En tous cas, maintenant il est clair que cette Europe allemande nous mène à la guerre ou tout au moins à la mort.

à écrit le 19/03/2013 à 23:10
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Intéressante rétrospective. La machinerie qui dirige le délétère foirail européen, outre la caporalisation des pays du club Méditerranée, a longtemps, jusquà cette année, fait présider l'euro-groupe des ministres des finances par le chef de gouvernem...

à écrit le 19/03/2013 à 22:35
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Qui veut tuer son chien, dit qu'il a la rage. L'UE a trouvé un prétexte bien amusant pour justifier son coup de force : nous aimerions savoir ce qu'en pense l'Eurocrate Juncker, lui de si longtemps premier ministre du Grand Duché du Luxembourg. Le pr...

à écrit le 19/03/2013 à 22:06
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Si paradis il y a , c'est que quelque part ailleurs existe l'enfer. Mais ou est-t-il ? Serait-ce en France , pays du matraquage fiscal ? probablement oui Mais notre pays n'est pas le seul. Une solution, harmoniser les fiscalités dans la zone euro une...

le 19/03/2013 à 23:18
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Vous ne faites que répéter une idée fausse répétée par les amateurs d'exil fiscal.

le 20/03/2013 à 8:08
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@des vessies.... a parfaitement raison. Réussir en France c'est un crime ou presque. Et si le matraquage fiscal n'existait pas en France, nul besoin d'ouvrir un compte ailleurs. Les amateurs d'exil fiscal ne sont pas ridicules. Ils ont parfaitement ...

à écrit le 19/03/2013 à 21:19
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bon article qui replace dans le contexte, si l?Europe veut faire une harmonisation fiscale, pourquoi le faire seulement a Chypre puisque ce n'est pas le seul paradis fiscale d?Europe. d'ailleurs les gouvernements ne sont pas pressé d'y remédier puisq...

à écrit le 19/03/2013 à 21:05
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C'est un paradis fiscal. Que ceux qui ne payent pas d'impôts labas (étrangers OU chypriotes) payent avant que les contribuables Européens qui payent eux des impôts plein pot crachent au bassinet. Et oui un paradis fiscal de moins c'est une EXCELLENTE...

le 20/03/2013 à 9:45
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n'en déplaise aux malheureuses victimes de la dictature de la pensée unique, dont vous faites manifestement partie, les pseudo paradis fiscaux n'existent que parce que les enfers fiscaux existent aussi ! Si l'impôt sur le revenu ou le capotal faisait...

le 20/03/2013 à 14:23
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Bonjour! Et quel est ce charmant pays ou vous vivez? P.s.: question venant d'un suisse curieux....

à écrit le 19/03/2013 à 20:53
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Ce braquage est à mon avis un coup d'essai ..car ils vont je pense nous le servir dans d'autres pays .Des bandits tout simplement....des vrais bandits

à écrit le 19/03/2013 à 20:22
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Excellent article.

le 20/03/2013 à 3:19
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+ 100000

le 20/03/2013 à 8:16
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Ah bon ? Je ne trouve pas.

à écrit le 19/03/2013 à 19:45
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Ce que vient de faire l'Europe a ses citoyens, c'est dégueulasse. Mais elle n'en tirera pas longtemps un profit. La défiance dans le système bancaire et dans les institutions européennes va se généraliser. Ce signal est du même ordre que la chute de ...

à écrit le 19/03/2013 à 19:40
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La suite logique de l'article est de revenir à une Europe à 6 nations,quant aux autres pays les 21 autres on conclut un contrat de simple partenariat.En conséquence l'UE doit suivre une cure d'amaigrissement gargantuesque,de mème que le parlement eur...

à écrit le 19/03/2013 à 19:11
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Assez bon article qui replace dans le contexte des vérités bien senties. Pas mal !

à écrit le 19/03/2013 à 18:13
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Romaric Godin poursuit sa croisade anti-UE toujours avec très peu d'arguments solides. Mais vu les commentaires, il a sa clientèle fidèle ici.

le 19/03/2013 à 18:20
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Il n'y a pas besoin de lancer une croisade, l'UE est en train de se saborder elle-même. Seuls les politiques et technocrates recevant un salaire de l'UE trouvent encore un avenir à cette pétaudière.

le 19/03/2013 à 18:45
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Quid d'une harmonisation fiscale en zone euro.

le 19/03/2013 à 19:25
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VIVE L'UE A RAISON. Il n y'a cas faire un bilan objectif de 20 ans d'UE : chomage, misère et perte de démocratie. Allez sur site et vous comprendrez : www.u-p-r.fr

le 20/03/2013 à 8:56
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Autant de niaiseries dans vos propos serairt assez amusant si cela n'en devenait pathétique. Il n'y a que vous pour encore faire semblant de croire à une Union européenne à laquelle personne ne croit et n'a d'ailleurs jamais cru. Pas plus les citoyen...

le 20/03/2013 à 10:18
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Super votre post. C'est quoi ce superbe pays ?

à écrit le 19/03/2013 à 18:10
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Bravo Mr. Godin votre article est excellent

à écrit le 19/03/2013 à 18:03
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BRA-VO ! QUEL ARTICLE, IL FERA SANS DOUTE LA UNE DE LIBE DEMAIN, CHICHE ?

le 19/03/2013 à 18:13
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Dans les échos, c'est moins sûr.

à écrit le 19/03/2013 à 17:57
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Article de très bonne facture, une analyse objective de la situation...

à écrit le 19/03/2013 à 17:56
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Enfin un très bon article dans la presse française comme je n'en avais pas lu depuis longtemps !

à écrit le 19/03/2013 à 17:50
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LAISSONS LA CHYPRE PAYER LE PLUS LOURD TRIBUT ET C'EST LA ZONE EURO QUI EN PAIERA LE PRIX FORT L' EUROPE CE VIEUX CONTINENT EST EN FAILLITE SUR TOUS LES POINTS QUE CE SOIT MORAL INTELLECTUEL ÉCONOMIQUE ET LES PLUS FAIBLES VONT PÉRIR L' EUROPE VA PÉRI...

à écrit le 19/03/2013 à 17:49
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Superbe article , bravo. C'est clair, expliqué, justifié. Enfin du journalisme !

à écrit le 19/03/2013 à 17:36
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Parlons en de la victoire en question: Le vol des épargnants de Chypre est un signal clair pour l'ensemble des citoyens européens. Ils vont tous retirer leur argent des comptes en banques et placer leur économie dans leur matelas en désespoir de caus...

le 19/03/2013 à 18:11
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De grandes chances que vous ayez raison.

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