Chypre prépare un inévitable contrôle strict des capitaux

Par Romaric Godin  |   |  1272  mots
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Dans le cadre du nouveau plan de sauvetage, des restrictions sur le mouvement des capitaux devraient être instaurées dès mardi dans l'île méditerranéenne. Une mesure pas si anodine.

Un contrôle des capitaux à Chypre semble inévitable. Quelle que soit l'issue des négociations, qu'il y ait un nouveau « plan de sauvetage » de l'île méditerranéenne ou une sortie de la zone euro du pays, il faudra que l'Etat chypriote maîtrise à partir de mardi les flux de capitaux qui entrent et sortent de son territoire. Déjà, une proposition en ce sens a été déposée au conseil des ministres et, selon le quotidien allemand Handeslblatt, la Banque centrale européenne (BCE) se prépare à cette éventualité qui, rappelons-le, est prévue par les traités européens.

1. Pourquoi ?

Si Chypre demeure dans la zone euro et frappe une taxe sur les dépôts bancaires et restructure une de ses banques, il est crucial pour que l'opération réussisse que les déposants ne vident pas leurs comptes. Autrement, l'argent réservé au sauvetage s'envolerait dans la nature. Selon une évaluation de Raoul Ruparel, chef économiste du think tank britannique Open Europe, parue sur le site de City AM, si la fuite des capitaux atteint 10 milliards d'euros, « les banques chypriotes pourraient à nouveau paraître insolvables. » Il faudrait alors tout recommencer ! Il est donc nécessaire de bloquer les comptes et les sorties de capitaux. Si Chypre sort de la zone euro, il faudra de même bloquer l'inévitable hémorragie de capitaux qui chercheront à éviter leur redénomination en nouvelles livres chypriotes ou du moins de minimiser les effets de cette conversion. Afin de freiner cette chute de la monnaie, le gouvernement devra limiter les possibilités d'acheter des devises. Par ailleurs, le pays ne peut vivre en autarcie, son déficit commercial atteint 20 % du PIB et sa balance courante est également déficitaire. Toutes les devises présentes sur le sol chypriotes devront être mobilisées pour l'achat des importations. Un strict contrôle des changes et des capitaux devra donc être mis en place pour éviter (ou du moins ralentir) l'effondrement rapide de l'économie.

2. Comment ?

Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dans son article 65 alinéa b prévoit explicitement la possibilité de rétablir un contrôle des capitaux au sein de l'UE en reconnaissant que l'article 63 qui interdit toute restriction au mouvement des capitaux ne « porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres de prendre des mesures liées prendre des mesures indispensables (...) justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique. » C'est sur ce pilier que va reposer toute l'argumentation juridique de la BCE et de Nicosie, car une « ruée vers les guichets » pourrait représenter un « motif d'ordre public. »

Reste à déterminer les modalités de ce contrôle. Selon le Handelsblatt, les clients des banques chypriotes seraient limités dans leurs retraits quotidiens aux distributeurs automatiques de billets (DAB). Aujourd'hui, la limite est fixée à 400 euros par jour, 260 euros pour les clients de la Laïki. Sera-t-elle inférieure à partir de mardi dans l'hypothèse d'un maintien dans la zone euro ? Rien n'est moins sûr. Par ailleurs, la BCE envisagerait de bloquer l'accès aux comptes épargne que l'on ne pourrait plus fermer par anticipation. Enfin, le Handelsblatt affirme que les transferts électroniques ne pourraient plus se faire sans l'autorisation de la banque centrale.

Dans un projet de loi rendu public par le quotidien chypriote Phileleftherios, ces mesures sont encore plus lourdes : des restrictions seraient posées également pour tous les paiements, pour les transferts interbancaires, pour l'usage des cartes de crédit et pour l'ensemble des mouvements de capitaux. Ce projet prévoit que « toute mesure supplémentaire jugée utile pour des raisons d'ordre publique » pourra être prise par le gouvernement.

Si Chypre sort de la zone euro, il y a fort à parier que ces mesures soient plus strictes, mais leur nature ne changera guère : le pays entrera dans une nouvelle ère, celle de l'ultra réglementation des mouvements de capitaux et de l'étatisation extrême de son économie. Et la durée de ces mesures est inconnue.

3. Quelles conséquences ?

Le contrôle du mouvement des capitaux est rendu plus simple aujourd'hui que jadis par l'aspect électronique et virtuel de la monnaie. Bloquer un programme informatique est plus aisé que de traquer des mallettes aux frontières. Chypre étant une île, les contrôles de ces « mallettes » pourraient en être également facilités, d'autant que les restrictions de retrait seront instaurées. Mais la république de Chypre a une frontière terrestre avec la zone occupée par la Turquie. Déjà, le régulateur bancaire de la république turque de Chypre du Nord (RTCN) a prévenu ses banques de se préparer à un afflux de dépôts en provenance du sud. D'autant que le système bancaire nordiste, accolé au système turc, est une porte de sortie idéale vers le reste du monde, malgré le blocus officiel dont il est l'objet. Sans doute, cet afflux sera moindre si Chypre reste dans la zone euro. En réponse, on peut imaginer que le gouvernement décide de fermer les points de passage autorisés entre les deux zones. Dans ce cas, la frontière est quasi infranchissable, car elle est très militarisée depuis 1974. Mais on imagine qu'Ankara protestera fermement.

Au niveau économique, Chypre sera sous perfusion et vivra au ralenti. En cas de maintien dans la zone euro, une partie des déposants prendra son mal en patience et rapatriera ce qu'il pourra. Mais les investissements et la consommation seront fortement frappés. La récession qui suivra risque d'être très violente. D'autant que les rentrées de capitaux seront très réduites. Chypre vivra donc des mesures d'urgence de la BCE (l'ELA) et du système de paiement interbancaire Target 2. Mais il est difficile d'envisager que ces mesures puissent durer indéfiniment. Dès la mise en place du contrôle des capitaux, la question de la date de sa levée sera centrale. Car, alors, la fuite des capitaux sera inévitable, chacun voulant échapper au « piège chypriote. » Il faudra prévoir une sortie progressive en levant peu à peu les restrictions. Mais la fuite des capitaux est à terme inévitable. Il faudra donc parvenir à redonner à Chypre des moyens d'attirer les capitaux à nouveau pour compenser cette fuite. Là encore, ce sera difficile.

Pour la zone euro, les conséquences ne seront pas non plus anodines. Pour la première fois, elle sera coupée en deux. Les citoyens chypriotes auront la même monnaie que les autres, mais pas les mêmes droits de s'en servir. Ce sera, quoi qu'on en dise, un vrai coup porté au projet de l'Union économique et monétaire qui visait précisément à en finir avec les restrictions monétaires nationales. Certes, on ne cessera de répéter que « Chypre est un cas spécial », mais les petits pays de la zone euro qui connaissent des difficultés comme la Slovénie, risque de pâtir de la situation. Les investisseurs, pour éviter de se retrouver « piégés » comme à Chypre, y regarderont à deux fois avant de placer leurs fonds dans ces pays qui, pourtant, en ont besoin. Dans les pays candidats à l'euro, également peu peuplés, comme la Lettonie, la Lituanie ou l'Islande, les populations pourraient également y réfléchir à deux fois avant d'approuver l'entrée dans la zone euro. La confiance et la sécurité liées à la détention de l'euro prendront sans doute un rude coup dans cette décision aujourd'hui inévitable.