La social-démocratie, un rêve bien français

Partout, on se réjouit de la conversion de François Hollande à une "ligne sociale-démocrate." Mais que signifie ce terme ? Et est-ce une panacée universelle ?
François Hollande aux 150 ans de la SPD allemande, avec Sigmar Gabriel et Angela Merkel

A observer la conférence de presse du président de la république et les réactions qui l'on suivie, on se dit que, plus encore que les questions du financement des mesures annoncées ou que la fameuse affaire de cœur présidentielle, le seul vrai événement de ce mardi 14 janvier était enfin la fameuse « conversion de François Hollande à la social-démocratie. »

Cette conversion a été arrachée par un feu roulant de questions de journalistes qui voulaient, une fois pour toute, savoir si le président était « social-démocrate. » L'acmé de cette offensive a été atteinte par Ivan Levaï qui mi-suppliant, mi-impératif s'est exclamé : « Mais pourquoi ne dites-vous pas que vous êtes social-démocrate ! »

« Mot magique »

« Social-démocrate » est en France, du moins chez une grande partie de l'intelligentsia française, une forme de mot magique. Depuis des décennies, on en fait la condition sine qua non de la réussite du Parti socialiste lorsqu'il est dans l'opposition et du gouvernement lorsque le PS est au pouvoir. Rien ne semble convaincre la presse française que le parti socialiste n'est pas un parti marxiste soucieux, comme le proclamait François Mitterrand lors du congrès d'Epinay en 1971, de « rompre avec le capitalisme. »

Le PS, jamais assez social-démocrate

Peu importe que, en 17 ans d'exercice du pouvoir depuis 32 ans, le PS n'ait pas réellement renversé le capitalisme en France. Peu importe le « tournant de la rigueur » de 1983, ou la baisse des impôts et les privatisations engagées par le gouvernement Jospin ou même le fameux crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) de François Hollande. Rien n'y fait. Le parti socialiste est socialiste, donc il n'est pas « social-démocrate. »

Une définition peu idoine

Pour comprendre ce paradoxe, il faut s'interroger sur ce que signifie « social-démocrate. » Le mot est un objet linguistique particulièrement intrigant. Les dictionnaires, il faut bien le dire, y perdent eux-mêmes leur latin et ne sont guère utiles à une bonne compréhension du terme.

L'Académie, dont la dernière édition du dictionnaire date de 1932, l'ignore. Le Larousse y voit « des organisations politiques qui se rattachent au socialisme parlementaire et réformiste », le Robert y comprend un « socialisme réformiste. » Mais les journalistes qui l'interrogeaient ne demandaient pas à François Hollande mardi de devenir un « socialiste réformiste », autrement dit un partisan de l'établissement de la socialisation des moyens de production par la réforme et la voie parlementaire. Ils lui auraient reproché vertement toute intention de ce genre. Et du reste, il n'est pas sûr que François Hollande se reconnaisse lui-même dans cette définition.

La première social-démocratie : le réformisme

C'est qu'en réalité, les dictionnaires sont - comme toujours - en retard sur l'usage du terme. Lequel a en fait beaucoup évolué au fil du temps. Les définitions avancées par le Robert et le Larousse semblent s'appliquer plutôt à ce qu'était la social-démocratie avant la seconde guerre mondiale, lorsque les partis socialistes acceptaient, sans le reconnaître, le réformisme d'Eduard Bernstein contre la volonté révolutionnaire des partis communistes. Ce fut notamment le cas de la SPD allemande qui, en 1919, a combattu, dans le sang, les tentatives révolutionnaires et s'est alliée au centre et au centre-droit pour mener, par la voie parlementaire, une politique de réforme du capitalisme.

La deuxième social-démocratie : le keynésianisme

Mais depuis, le terme a encore changé deux fois de sens. Après la seconde guerre mondiale, il est devenu le synonyme d'une politique assumant son attachement au capitalisme, mais sous une forme keynésienne. Le but n'est plus de « dépasser le capitalisme » par la réforme, mais de rendre le capitalisme favorable aux masses par une politique de soutien à la demande. En 1947, l'aile droite du PS italien a ainsi fait scission pour créer le parti social-démocrate italien (PSDI) qui refusait la rupture avec le capitalisme encore défendue par le PSI. En 1959, au fameux congrès de Bad Godesberg, la SPD allemande avait aussi rejeté toute référence au marxisme et à la révolution et prônait une politique keynésienne de relance en opposition à « l'ordolibéralisme » de Ludwig Erhard.

La troisième social-démocratie : « la politique de l'offre »

Mais avec la crise des années 1970, le terme « social-démocrate » a encore pris un autre sens, celui d'un parti de gauche acceptant les politiques de l'offre. C'est le moment où le chancelier SPD Helmut Schmidt a prononcé son fameux « théorème » qui n'est pas sans rappeler le mot de François Hollande « l'offre crée la demande » : « les profits d'aujourd'hui, sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain.»

Au début des années 2000, ce sens prend une connotation un peu plus radicale avec les réformes Schröder du début des années 2000 : est désormais social-démocrate tout parti de gauche qui mène les « réformes structurelles » de détricotage de l'Etat Providence mis en place par la social-démocratie version 1950. Les mesures phares de la social-démocratie sont alors l'assouplissement du marché du travail, les réformes des retraites et la hausse de la TVA visant à financer des baisses de charges sur les entreprises (la fameuse « TVA sociale »). Le nouveau théorème social-démocrate - un peu plus raccourci que celui d'Helmut Schmidt - est celui de Gerhard Schröder : « Est social ce qui crée des emplois. » C'est bien ce sens du mot « social-démocrate » qu'Ivan Levaï avait en tête lors de sa supplique au chef de l'État.

L'Allemagne comme référence

On le voit : la référence de cette évolution sémantique de la social-démocratie, c'est bien évidemment l'Allemagne. Le terme « social-démocratie » suit, en français, l'évolution politique de la SPD allemande. Rien d'étonnant à cela. Le mot « social-démocratie » n'est pas un mot français, c'est un calque de l'allemand Sozialdemokratie apparu, selon le dictionnaire du CNRS, en 1893 dans la traduction française d'un document de la deuxième internationale. Preuve en est l'antéposition de l'adjectif et la présence du tiret qui, en théorie permet, comme en allemand, à « social » et « démocratie » de faire bloc (si l'usage accepte désormais « sociaux-démocrates », on doit écrire « social-démocratie » sans faire l'accord). Derrière l'exigence social-démocrate, il y a donc l'exigence d'une germanisation de la pratique sociale et politique de la France, de l'application du « modèle allemand. » Là encore, François Hollande dans sa volonté de « convergence » avec l'Allemagne se montre digne de cette exigence.

Un calque bien difficile à appliquer

Parce que précisément le terme « social-démocrate » calque la situation allemande, il est un mythe basé sur une proposition en apparence logique. Si l'Allemagne va bien, et la France moins bien, la France doit imiter l'Allemagne pour aller bien. Et la première condition, c'est que ses « socialistes » deviennent « sociaux-démocrates. » Sauf que le calque linguistique est plus aisé que le calque économique. La France de 2014 n'est pas l'Allemagne de 2000. La situation industrielle de l'Allemagne alors était bien plus enviable que celle de la France aujourd'hui. L'outil industriel allemand a toujours réussi à exporter.

La politique de « l'offre » de Gerhard Schröder, couplée - il faut le rappeler - à un désinvestissement massif de l'État et à l'effet de l'euro qui empêchait les concurrents de l'Allemagne de dévaluer, avait beaucoup plus de chance de jouer rapidement sur la compétitivité du pays. Pour la France de 2014, beaucoup plus désindustrialisée et dont la compétitivité est plus faible, la tâche sera beaucoup plus complexe. Croire qu'une conversion sémantique d'un président permettra de dépasser ce problème par la fameuse « confiance », c'est pour le moins un peu naïf.

Vérité de ce côté-ci du Rhin, erreur au-delà

L'idéalisation en France de la social-démocratie doit également être tempérée par l'expérience allemande. On oublie souvent, de ce côté-ci du Rhin, combien ce que les réformes Schröder ont coûté à la SPD et aux Verts. Ces deux partis n'ont plus été depuis 2005 capables de former une majorité. Une partie de l'électorat de la SPD l'a quitté définitivement. En 1998, le parti avait obtenu 40,9 % des voix. En 2013, il a obtenu 25 % des voix, à peine plus que les 23 % de 2009. La SPD a changé clairement de dimension outre-Rhin et il a dû, en conséquence, modifier son discours en le gauchisant à nouveau.

Au point qu'Angela Merkel et ses alliés ont pu mettre en garde contre le « socialisme » de la SPD, que Peer Steinbrück, le candidat social-démocrate allemand, a pu prendre exemple de la politique de François Hollande et que les journaux conservateurs se sont étranglés en voyant les concessions faites dans le cadre de la « grande coalition. » Ironie de l'histoire, l'éditorial de la Frankfurter Allgemeine Zeitung de mercredi utilise l'exemple du « tournant » de François Hollande pour faire la leçon aux sociaux-démocrates allemands qui, « eux aussi doivent se montrer raisonnables. » N'est pas toujours social-démocrate celui qui croyait l'être…

Commentaires 13
à écrit le 04/04/2014 à 19:17
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Je tombe sur cet article avec retard. J'en profite aussi pour féliciter l'auteur (dont j'ai déjà pu apprécier d'autres articles), cela le changera peut-être des éternels geignards dans les commentaires: c'est très très bon, félicitations. C'est suffi...

à écrit le 16/02/2014 à 10:27
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si HOLLANDE arrivait a nous établir un parti politique qui ressemble a ceux de l allemagne, cela serait un bon point pour lui, et une claque à la droite trop financière qui a abandonner le peuple

à écrit le 22/01/2014 à 13:45
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La marque de fabrique de la gauche et la droite française, c'est plutôt le social-clientélisme : administrations locales pléthoriques, aides en tout genre, cadeaux aux minorités bruyantes etc

à écrit le 22/01/2014 à 13:32
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Tout ça n'est que de la com. En quoi Hollande a-t-il fait quoi que ce soit qui mérite qu'on catalogue son action de social-démocrate? Quant au rêve français, il me semblait qu'il avait tout avoir avec la liberté et la nation et au final fort peu ave...

à écrit le 18/01/2014 à 11:14
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C'est une Europe qui fait du caca politique sur l'humanité, c'est pas pour rien qu'il y a un gros tas de fumier sur l'Assemblée! alors décrète-t-on par papiers des radiations d'entreprises, de chômeurs de diplômés dans ce radeau de la méduse? Le maxi...

à écrit le 18/01/2014 à 11:12
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Il existe dans l'europe sud des papons politiques anti jeunes et c'est dans le baby boom qu'on les trouve! Des papons à pous et des papons à pates et à aîles en moins! On est dans la crise de rire!

à écrit le 17/01/2014 à 12:06
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Remarquable analyse. Bravo à l'auteur. Il est très rare de lire dans la presse de tels décryptages aussi enrichissants. J'espère que La Tribune se rend compte de la chance qu'elle a de posséder un tel journaliste dans sa rédaction. Car nombreux sont ...

à écrit le 16/01/2014 à 21:39
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Alors Européka nous avons la formule! C'est formidables, alors que nous étions fourmis nulles! A moins de prébendes chez les gueulards et subventions cachées.

à écrit le 16/01/2014 à 15:13
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L'autre conclusion que l'on peut en tirer, c'est que "l'intelligentsia française", d'ailleurs subventionnée, ne vaut pas grand chose...

à écrit le 16/01/2014 à 12:46
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Que de boniment illusoire ! La querelle est celle de l'offre et de la demande, des puissants et des faibles, des riches et des pauvres... ; ils sont pourtant complémentaires, notamment à l'échelle patriotique des Etats, voire familles. Qui gouverne d...

à écrit le 16/01/2014 à 12:08
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On change l'étiquette, mais pas le paquet cadeau ...

à écrit le 16/01/2014 à 10:47
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Si la social démocratie c'est le peuple dans des hlm et les dirigeants dans des palais sans aucun espoir de sortir de sa condition par le travail ou les études ça ressemble à l'ancien Régime

à écrit le 16/01/2014 à 10:38
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Hollande fait-il du sarkozysme ? Il est évidemment trop tôt pour répondre . Dans l'immédiat , on ne peut que constater deux choses . 1) Il parle comme Sarkozy , il rejette le keynésianisme pour une politique de l'offre . 2) Il atomise l'UMP , avec...

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