Comment les juges de Karlsruhe ont tué l’OMT de la BCE

Les juges constitutionnels allemands ont joué finement, mais ils ne laissent désormais quasiment aucune chance de survie au programme de la BCE. Encore une fois, Karlsruhe pèse sur l’Europe.
Les juges de Karlsruhe ont piègé la BCE en désamorçant l'OMT

Depuis 2009, les décisions de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe ont des conséquences notables sur la nouvelle architecture institutionnelle de l'Union européenne. Sa décision sur le traité de Lisbonne en octobre 2009 réduisait désormais le champ des abandons de souveraineté. Trois ans plus tard, en septembre 2012, la validation du traité instituant le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) plaçait le Bundestag en état d'accepter ou de refuser tout programme d'ajustement décidé au niveau européen. Ce 7 février, les juges en rouge ont une nouvelle fois marqué de leur empreinte l'avenir de la zone euro.

La transmission à la CJUE est liée au droit européen

Pour saisir de quelle façon, il faut reprendre la logique de la Cour. Vendredi, la Cour a refusé de statuer sur la constitutionnalité ou non du programme de rachat d'obligations souveraines de la zone euro par la BCE, l'OMT (Outright Monetary Transactions). La raison ? Une majorité de juge estime que l'OMT est contraire aux traités européens, que la BCE a « outrepassé » le mandat fixé par ces traités et que, en conséquence, c'est à la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) de sanctionner ce programme. Le dossier a donc été transmis à Luxembourg.

Karlsruhe conserve une balle dans le barillet

Mais, cette transmission ne signifie pas que la Cour de Karlsruhe en a fini avec l'OMT. Dans sa décision, la Cour se réserve en effet le droit de sanctionner ce programme après la décision de la CJUE sur la base de sa constitutionnalité ou non en Allemagne. C'est ce que signifie clairement cette phrase sibylline : « la question de la constitutionnalité de l'OMT reste ouverte. » Cette méthode a plusieurs conséquences importantes.

Karlsruhe plus fort que Luxembourg

La première est juridique et elle a été mise en relief par un texte publié par la Fondation Bertelsmann ce lundi. Karlsruhe se place en effet en « censeur » de la CJUE au cas où cette dernière ne rendrait pas une décision « satisfaisante » du point de vue des juges constitutionnels allemands. Autrement dit, la CJUE n'a plus le monopole de la sanction du droit européen. Ses interprétations peuvent ensuite être censurées par les cours nationales du point de vue des constitutions nationales. C'est une conséquence majeure, dans la mesure où, désormais, la primauté du droit européen peut être remise en cause dans les Etats. Du point de vue de Karlsruhe, c'est la conséquence logique de sa décision de 2009 : puisque l'UE n'est pas un Etat fédéral, c'est la souveraineté nationale qui prime. La constitutionnalité des actes européens, y compris ceux de la seule institution « fédérale » européenne, la BCE, doivent donc être validées constitutionnellement dans les Etats.

L'essence de l'OMT

La deuxième conséquence concerne l'OMT lui-même. La foi dans ce programme qui a été lancé par la BCE le 4 septembre 2012, est qu'il est la traduction concrète du fameux « whatever it takes » (Quoi qu'il en coûte) de Mario Draghi, mots prononcés à Londres en juillet à propos du sauvetage de l'euro. C'est la certitude que la BCE n'hésitera pas à utiliser les montants nécessaires pour maintenir les écarts de taux à des niveaux raisonnables. C'est une réponse aux défis lancés par les investisseurs : n'attaquez pas les dettes souveraines de la zone euro, ou il vous en coûtera… Bref, pour résumer, la force (dissuasive, rappelons que l'OMT n'a jamais été utilisé) de ce programme se résume à deux de ses caractères : il est illimité et il est imprévisible (son seuil d'intervention n'est pas explicitement fixé). De quoi faire reculer les spéculateurs les plus hardis…

Pas de programme illimité possible pour la Cour de Karlsruhe

Mais la Cour de Karlsruhe estime précisément que l'essence même de l'OMT pose problème. En prévoyant des rachats illimités, l'OMT met en quelque sorte sur le tapis le bilan de la BCE. Cette dernière peut encaisser des pertes et réclamer une recapitalisation de ses actionnaires, les banques centrales nationales. Dans ce cas, la Bundesbank, donc in fine l'Etat fédéral allemand, devra payer. Pour Karlsruhe, l'OMT est un chèque en blanc tiré sur le contribuable allemand. Or, dans sa décision sur le MES de 2012, les juges de Karlsruhe ont prévenu que tout engagement de l'Allemagne vis-à-vis de ses partenaires européens ne pouvait être pris qu'après l'accord du Bundestag. Ceci, afin de respecter la souveraineté budgétaire du peuple allemand représenté par ses députés puisque l'UE n'est pas un Etat national et que cette souveraineté réside toujours dans les Etats (décision de 2009). Bref, la BCE n'a pas le droit de procéder à des achats « illimités », elle doit demander au Bundestag de lui ouvrir une garantie sur une somme donnée et obtenir son accord.

L'épée de Damoclès de « l'aléa moral »

Deuxième élément de rejet de la Cour de Karlsruhe : la volonté de limiter les écarts de taux sans fixer de seuil. Pour les juges de Karlsruhe, ceci fait peser une menace sur le budget allemand. Car l'OMT pourrait inciter les pays endettés à ne « rien faire », se sachant protéger par la BCE. En cas de hausse « justifiée » des taux, liée à la situation budgétaire du pays, la BCE devrait néanmoins intervenir pour sauver l'euro « quoi qu'il en coûte. » Mais alors, la BCE financerait de facto ce gouvernement, ce qui est interdit par les Traités européens. C'est le fameux «aléa moral. » Du point de vue de la cour allemande, ceci revient encore une fois à tirer un chèque en blanc sur le contribuable allemand pour financer d'autres Etats sans contrôle démocratique. C'est donc une brèche dans la souveraineté de l'Allemagne et c'est donc inconstitutionnel.

Un programme sans doute inconstitutionnel

Il ne faut donc pas s'y tromper : l'interprétation des juges de Karlsruhe est claire : l'OMT n'est pas compatible avec la constitution allemande. Simplement, il leur faut, avant de le déclarer ouvertement, transmettre le dossier à la CJUE pour qu'elle juge de la conformité du programme avec les traités, ce qui ne relève pas de sa compétence.

Un compromis possible ?

Mais alors, que peut-il se passer ? La fondation Bertelsmann table sur une décision de la CJUE qui « pourrait pacifier » Karlsruhe, sans préciser le contenu de ce compromis. Mais on voit mal comment cela serait possible. Si la CJUE insiste sur le caractère « conditionnel » du programme, autrement dit sur la nécessité du pays qui demande la protection de la BCE de se soumettre au « programme d'ajustement » du MES, et en précise les contours, cela ne pourra satisfaire Karlsruhe. En effet, la « conditionnalité » peut réduire « l'aléa moral », mais il ne peut réduire le caractère illimité du programme qui, on l'a vu, pose problème. Or, si la CJUE touche à cet aspect illimité, elle tue immédiatement la raison d'être de l'OMT et, pire, place la BCE dans la dépendance des décisions du Bundestag, donc du pouvoir politique. Ce serait dévastateur pour l'institution de Francfort qui, pour sauvegarder son « indépendance », serait alors obligé d'en finir avec l'OMT.

Si Luxembourg donne raison à Karlsruhe…

Bref, un « compromis » semble difficilement possible. Reste alors deux «scénarios extrêmes. » Le premier - le moins probable - est que la CJUE suive les « recommandations » de la Cour de Karlsruhe. Dans ce cas, la BCE est désavouée, elle doit stopper l'OMT ou en présenter une version limitée, donc peu crédible. De facto, l'OMT aura cessé d'exister. La BCE aura subi un revers qui risque de jouer sur sa crédibilité et la CJUE se sera laissé dicter sa décision par la cour allemande. L'UE et la zone euro seront juridiquement et financièrement atomisées. Il n'est pas sûr que l'euro réchappe à terme d'une telle décision. C'est pourquoi elle est improbable.

Si Luxembourg donne raison à Francfort…

Deuxième scénario : la CJUE confirme que la BCE n'a pas outrepassé son mandat et réclame simplement plus de « garde-fous », comme la constitution de réserves supplémentaires ou une conditionnalité plus explicite. La BCE triomphe, mais la Cour allemande peut alors se ressaisir du dossier et déclarer l'OMT contraire à la Loi Fondamentale (constitution fédérale). Dans ce cas, Karlsruhe peut exiger de la Bundesbank qu'elle ne participe pas à l'OMT.

Qu'adviendra-t-il alors ? En théorie, l'OMT subsistera, mais la Bundesbank ne participera pas aux rachats des titres. Ceux-ci seront donc effectuer par la BCE elle-même ou les autres banques nationales. Mais il y a une conséquence majeure à cette décision : la Bundesbank ne participant pas à l'OMT, elle ne prendra pas sur elle la responsabilité lié à ces rachats. En cas de pertes, Berlin ne pourra en effet constitutionnellement pas renflouer la Bundesbank pour qu'elle participe à l'augmentation de capital de la BCE. De facto donc, la Bundesbank sera placée hors de l'Eurosystème. Or, chacun le sait : la confiance dans l'Eurosystème ne repose que sur l'Allemagne. Les Pays-Bas, la France, la Finlande, l'Autriche pourront-ils assumer l'OMT avec leurs seules forces ? L'OMT aura-t-il alors la même crédibilité ? Evidemment non. Sans la Bundesbank, l'OMT perdra toute existence réelle. Ce ne sera qu'un morceau de papier.

Feu l'OMT

Voilà pourquoi les grands économistes ordolibéraux allemands, comme Hans-Werner Sinn, jubilent depuis la décision de Karlsruhe : parce que cette décision a de facto et quoi qu'il arrive vider l'OMT de sa substance. L'OMT est bel et bien mort. Sa seule force, c'est qu'il est mort avant d'avoir vécu. Ayant toujours été une fiction, sa vie fictive se poursuit avec l'appel à la CJUE. Pour la BCE, c'est l'essentiel. La seule question est désormais de savoir jusqu'à quand cette usine Potemkine européenne tiendra…

 

 

Commentaires 23
à écrit le 14/02/2014 à 15:41
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triste de voir les faits êtres têtus , l'Allemagne restera seule dans sa vision européenne c'est tout ce qu'elle va gagner .. au final la dislocation européenne faute de strates supplémentaires du fédéralisme européen est impossible dit cette cour a ...

à écrit le 11/02/2014 à 21:59
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Mais vous savez que Bruxelles menace de 'boycotter' les produits en provenance de Suisse ? Rendez-vous compte les Suisses ont osé défier les gugusses de Bruxelles, donc menaçons les Suisses, et continuons à commercer avec le Qatar ou le gouvernemen...

le 12/02/2014 à 16:43
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Non ce n'est pas Bruxelles qui menace c'est les Suisses qui ont dénoncé les accords avec l'UE. Ils veulent rétablir leurs frontières, le problème c'est qu'une frontière ça marche dans les deux sens.

le 13/02/2014 à 9:23
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Et du fait de l effet " guillotine" de 7 accords tous dépendants ( si l un d entre eux est denoncé, les 6 autres le sont egalement) ce revirement va coûter très cher à la Suisse. A commencer par la certification des produits suisses qui ne se...

à écrit le 11/02/2014 à 19:51
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Vous êtes fâché avec les participes passé : "a de facto... vidé" et plein d'autres.

à écrit le 11/02/2014 à 18:42
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Ils nous font ch... les barbares !

à écrit le 11/02/2014 à 14:59
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Vous tombez dans le panneau. On agite devant vous le chiffon rouge "OMT"... et vous ne parvenez à voir la forêt qui se cache derrière. Interrogez-vous.... Comment les taux sur les souverains (du sud) ont-il pu baisser aussi fortement ? Juste...

à écrit le 11/02/2014 à 14:38
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Il me semble qu'en droit francais, le droit europeen prime sur le droit francais.

le 12/02/2014 à 14:42
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... et tu crois qu'en droit européen, le droit européen prime sur le droit européen ,??

à écrit le 11/02/2014 à 14:25
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Marine le Pen a tord, ce n'est pas la France qui doit quitter l'Euro mais l' Allemagne.

le 11/02/2014 à 19:38
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C'est surtout l'euro qui doit disparaître. Le drame de ce débat, c'est qu'iul est politique alors qu'il ne devrait être qu'économique. Le dogme l'emporte donc sur le pragmatisme.

à écrit le 11/02/2014 à 13:31
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Je ne suis pas et de loin de ceux qui cèdent à la germanophobie mais l'allemagne devrait sérieusement reflechir à son attitude qui consiste au nom de sa rigeur et de son "efficacité" à tirer un profit quasi exclusif de l'UE . A trop vouloir accaparer...

le 11/02/2014 à 23:20
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ah ces teutons, décidément ils ne changeront jamais.

le 13/02/2014 à 11:57
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C'est faux, l'Allemagne contribue massivement au budget de l'UE. Excuser la de ne pas vouloir éponger les dettes des cigales incapables de se gérer... Et qui trouvent génial le "système économique" qui consiste à vivre systématiquement au dessus de s...

le 23/03/2014 à 14:21
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CEs pays incapables de se gérer comme vous dites, se géraient très bien avant d'entrer dans l'euro.

à écrit le 11/02/2014 à 13:19
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La Finlande semble avoir une probabilité bien plus élevée que l'Allemagne de quitter l'euro, elle l'a explicitement dit "si on doit encore payer, on se barre". Que la BCE finance les états attaqués sur le taux de leur dette ne coutera rien de plus à...

à écrit le 11/02/2014 à 12:34
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Comment l'Allemagne a gagne la guerre, 70 ans plus tard ...

le 11/02/2014 à 13:25
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@ Kro magnon, la guerre n'est jamais gagné et jamais perdue, elle est perpétuelle. Il y aura un nouveau Stalingrad!

le 11/02/2014 à 15:05
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L'Allemagne a déjà gagné la guerre il y a 60 ans, grâce à la rigueur budgétaire du professeur Erhard. Car l'ennemi, c'est la mauvaise gestion des finances...

à écrit le 11/02/2014 à 12:06
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La fin de l'euro viendra de l'Allemagne. Les politiques allemands sont beaucoup plus soucieux de leur peuple que nos gouvernants.

le 11/02/2014 à 12:53
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Effectivement, un vrai soucis de leur Etat que nous aimerions pouvoir constater chez nous également

le 11/02/2014 à 23:19
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ils en sortiront quand l'Allemagne aura anéanti toute l'industrie de ses partenaires européens dont principalement la France

à écrit le 11/02/2014 à 12:04
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Mais qui sont ceux qui ont manigancé ce traité de Lisbonne ? Côté Français, l'on a compris que le référendum populaire défavorable n'était pas convenable pour l'appareil gouvernemental et politique. Dans l'Allemagne plus démocratique, comment a-t-on ...

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