Les Bosniaques payent un prix social élevé à la politique d'une monnaie forte

Si le peuple bosniaque se soulève aujourd'hui contre le chômage et la misère, c'est aussi le fruit d'un choix économique fait après la guerre, celui d'une monnaie "forte."
Dans les rues de Sarajevo, un manifestant brandit une pancarte : "La révolution, seule solution"

La situation ne s'apaise guère en Bosnie-Herzégovine. Les troubles qui ont débuté voici une semaine et ont culminé vendredi 9 février dans l'incendie volontaire de plusieurs bâtiments gouvernementaux se poursuivent, de façon plus sporadique. Désormais, les manifestants réclament des élections anticipées qui ne sont pas prévues par le code électoral bosniaque.

Les raisons de la crise

Pour autant, il ne faut pas oublier que ces émeutes, les plus graves depuis la fin de la guerre civile en 1995, ont débuté comme une réaction contre la pauvreté et le chômage. Les origines de ces troubles sont donc économiques. Du reste, le mouvement n'a guère été marqué par les divergences ethniques et a touché tant la fédération croato-bosniaque (FHB) que la Republique serbe (RS), les deux entités qui constituent l'Etat de Bosnie-Herzégovine.

On a beaucoup insisté avec raison à l'étranger sur l'effet de la corruption de la classe politique du pays qui prospère sur le très complexe édifice institutionnel issu des accords de Dayton qui mirent fin à la guerre. On a aussi pointé du doigt l'incapacité de cet édifice incroyable, formé de 13 entités gouvernementales et de 160 ministères, à gouverner un pays de 3,8 millions d'habitants.

Salaires faibles, chômage fort

Toutes ces critiques sont justes, mais elles peinent à expliquer à elles seules la détresse dans laquelle se trouve aujourd'hui la population bosniaque. Le taux de chômage dans l'ensemble du pays est de 28 %, dans certaines régions, comme celle de Tuzla, d'où sont partis les émeutes, il atteint 44 % de la population active. Pour ceux qui ont un emploi, le salaire moyen brut atteint 414 euros. C'est un peu plus qu'en Bulgarie (389 euros), mais c'est moins qu'en Macédoine (505 euros) et surtout qu'en Croatie (716 euros).

Le choix du currency board

Car il est un point que l'on ne trouve guère dans les critiques occidentales du système bosniaque, c'est celle du régime monétaire imposé au pays après la guerre. Les accords de Dayton - qui ont rang constitutionnel en Bosnie-Herzégovine - ont imposé un système à l'allemande, un « currency board », où la banque centrale indépendante devait maintenir un taux de change fixe de 1 pour 1 avec le deutsche Mark, la monnaie la plus stable de l'époque. Pour bien appuyer ce fait, la monnaie bosniaque a été baptisée « mark convertible. » En 1999, l'euro a remplacé le mark comme référence, mais le cours pivot n'a pas été modifié.

L'euphorie des années d'après-guerre

Depuis la fin de la guerre, la banque centrale bosniaque a parfaitement maintenu cette stabilité monétaire. La logique d'alors était simple : grâce à la stabilité monétaire, les investisseurs internationaux se presseront pour développer le pays, tandis que la compétitivité sera garantie par la faible inflation et le moindre coût des importations. Pendant dix ans, on a pu croire que cette stratégie allait fonctionner. Certes, les investissements directs étrangers étaient plus faibles qu'en Serbie et - souvent - qu'en Croatie, mais dans l'euphorie générales, ils étaient suffisants pour assurer un taux de croissance satisfaisants. Entre 2003 et 2006, la croissance annuelle moyenne du PIB est de 3,5 %.

Croissance faible

En réalité, la stratégie de la stabilité a, alors, déjà échoué. Ce taux de croissance est ainsi un des plus faibles de la région sur cette période. La Croatie a crû de 4,7 %, la Serbie de 5,2 %, la Macédoine de 4,2 %. Concrètement, l'objectif du « Currency Board » a donc été manqué. Il est vrai que pour maintenir leur compétitivité, les entreprises exportatrices, n'ayant pas une monnaie adaptée à la situation réelle du pays, ont dû compresser les coûts, ce qui a comprimé la demande intérieure.

2007 : la fin du mythe

Mais c'est la crise de 2007-2008 qui va mettre à jour le piège du « currency board. » Les investissements étrangers se sont effondrés et, pire, ont été rapatriés. En 2009, l'équivalent de 0,5 % du PIB a quitté le pays, un record pour la région. Les exportations se sont effondrées. Pour survivre avec une monnaie forte, les entreprises bosniaques ont dû licencier et comprimé les salaires. Entre 2010 et 2013, les salaires nets ont progressé de 2,3 %, tandis que les prix ont progressé de 4,8 %. Le recul du salaire réel est donc flagrant.

Difficultés économiques et budgétaires

Plus que jamais, le pays se retrouve dans une situation de dépendance de l'extérieur. Mais les problèmes politiques et la corruption ne permettent pas de faire repartir les investissements étrangers. Les exportations bosniaques souffrent de ce manque d'investissement et ne profitent plus assez de la croissance européenne en 2010-2011. Le rebond économique est faible et, la récession européenne en 2012 fait à nouveau chuter le PIB de 1,1 %.

Sur le plan budgétaire, le budget bosniaque, excédentaire jusqu'en 2008, passe dans le rouge et malgré - ou à cause de - son « mark », le pays ne peut plus se financer. Fin 2013, il doit faire appel au FMI qui lui impose un « plan d'ajustement » qu'en réalité, il avait déjà commencé puisque les dépenses publiques sont passées en 2013 de 40,7 % à 39,1 % du PIB. En 2015, on doit parvenir à 35,1 % du PIB. L'austérité règne donc à Sarajevo.

Appauvrissement

Sous la double pression de la recherche du coût le plus bas et de la consolidation budgétaire, la population bosniaque a donc dû s'appauvrir encore. La demande intérieure est restée en berne. Mais c'est le prix d'une monnaie forte. En réalité, le mark est une monnaie bien trop forte pour l'économie bosniaque et qui est devenu une véritable entrave à son développement et surtout au bien-être de sa population. En choisissant le currency board, on a donné la priorité aux grands équilibres macroéconomiques au détriment du bien-être des Bosniaques. Ils se rappellent aujourd'hui au bon souvenir des théoriciens.

Une situation proche du cas bulgare

La situation bosniaque est très comparable à celle de la Bulgarie, elle aussi attachée depuis la fin des années 1990 à la stabilité monétaire et qui, l'an passé, a connu également des émeutes. Les salaires bulgares figurent parmi les plus faibles d'Europe et sont encore inférieurs à ceux de la Bosnie. Du reste, la Bulgarie est également un des pays les plus corrompus du vieux continent.

L'Europe et le monde ne sont pas à la hauteur

Ces émeutes qui signent l'échec de cette logique de la stabilité que l'Allemagne impose à l'Europe sont donc gênantes pour l'UE. On comprend donc la grande discrétion des dirigeants européens autour de ce mouvement, surtout lorsqu'on la compare aux réactions vis-à-vis de l'Ukraine. Il est vrai que l'UE n'a pas proposé un traité d'association avec la Bosnie qu'elle laisse en dehors du processus d'élargissement depuis des années. Pire même, l'entrée de la Croatie dans l'UE l'an dernier, a pénalisé certaines exportations bosniaques qui n'avaient pas besoin de cela. La situation bosniaque semble donc bloquée : le pays ne peut sortir du currency board imposé à Dayton et sur lequel l'Europe continue à se payer de mots et la communauté internationale n'a pas trouvé de meilleures réponses que de menacer le pays d'une intervention militaire. 100 ans après, Sarajevo reste une poudrière.

 

Commentaires 15
à écrit le 14/02/2014 à 15:48
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voilà l'echec patent de l'europe , faire croire aux pauvres qui peuvent être riches sans retour de baton , ils sont au chômage avec une monnaie forte sans inflation , idem pour bien des pays de la zone euro , on a pas pris en compte la différence en...

à écrit le 14/02/2014 à 13:03
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Les bosniaques, vous voulez dire les serbes musulman qui se trouve dans les villes en l'ex Yougoslavie.... Et oui la vie est duré pour tous le monde, il y a des problème économique, du chômage, mais il me semble que cela est comme cela dans toute l'E...

à écrit le 13/02/2014 à 23:13
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Avant d'écrire des brûlots mal informés, mieux vaudrait réfléchir. La politique monétaire de caisse d'émission (Currency board) n'est pas un problème en soi. L'alternative, ce serait quoi? Des dévaluations génératrices d'inflation, et qui rogneraient...

le 14/02/2014 à 0:07
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Si vous ne faites que de l inflation vous avez raison , mais si vous augmentez les salaires les pme nationales deviendront compétitives d abord sur le plan intérieur et puis pourquoi pas , hors frontières.

à écrit le 13/02/2014 à 14:29
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Il faut laisser les boches dominer l'Europe en servant leurs intêrets économiques....

à écrit le 13/02/2014 à 9:45
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la cas bosniaque est très révelateur de ce qui se passe dans la zone euro

le 13/02/2014 à 11:05
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Tout à fait, l'article est clair et pas compliqué. La zone euro est un chef-d'oeuvre, avec si longtemps son leader appartenant à un notoire paradis fiscal , aujourd'hui potentiel successeur signalé du Barrosso. Le cas de la France, moins cru, y resse...

à écrit le 13/02/2014 à 9:11
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Dans un tel systeme corrompu qui veut investir dans ce pays ? C est ca le vrai problème et certainement pas le " currenvcy board".et la monnaie "forte" . Ceux qui ont essaye ont compris et sont repartis. C´est la maladie du Balkan, depuis toujo...

le 14/02/2014 à 23:57
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Les Balkans n'ont pas le monopole de la corruption. Observez la politique locale près de chez vous...

à écrit le 13/02/2014 à 9:04
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Bosniens pour les habitants de bosnie et bosniaques pour les bosniens de confession musulmane.

à écrit le 13/02/2014 à 8:59
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La tension monte , et ils ont de la chance la majorité des peuples sont ignare en économie, croire qu' une monnaie forte est un signe de prospérité est le début de l enfumage et puis arrive les chartes de bonne conduite puis les pactes avec ou sans c...

à écrit le 13/02/2014 à 8:50
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"formé de 13 entités gouvernementales et de 160 ministères, à gouverner un pays de 3,8 millions d'habitants" Ah oui quand même,on s'incline pas mieux.

à écrit le 13/02/2014 à 8:00
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Même cause, mêmes effets, il n'y même pas de surprise!

le 13/02/2014 à 9:32
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Quand on considère la monnaie comme un "but" a atteindre au lieu de la considéré comme un "moyen" d'échange, les désillusions ne sont pas loin!

le 13/02/2014 à 11:09
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Pareil pour la finance. Les deux font une sacrée paire, solidement soutenue par les gouvernants commanditaires.

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