Chypre : le gouverneur de la banque centrale qui résistait au président démissionne

Le gouverneur de la banque centrale chypriote a démissionné lundi. Un succès de plus pour le président pro-austérité et les Européens. Un coup de canif, en revanche, dans le principe de l'indépendance des banques centrales en zone euro.
Panicos Dimitriadis, président de la banque centrale de Chypre, a démissionné. Son adversaire, le président chypriote, jubile.

Après un an de guerre de tranchées avec le président Nikos Anastasiadis, le gouverneur de la Banque centrale de Chypre (CBC), Panikos Dimitriadis, a annoncé lundi sa démission. Nommé par l'ancien président, le communiste Dimitris Christofias, en mai 2012, ce dernier était immédiatement devenu la bête noire de la nouvelle administration arrivée au pouvoir en mars 2013, en plein milieu de la tempête financière qui a porté le pays dans les bras de la troïka.

Un gouverneur accusé de jouer pour son camp politique

En juillet dernier, Nikos Anastasiadis s'était à peine caché de chercher la démission du gouverneur de la CBC, s'attirant les foudres de la BCE. Il s'était, depuis, montré plus prudent dans ses commentaires, mais la rancœur demeurait. Le nouveau président accusait Panikos Dimitriadis d'avoir maintenu artificiellement en vie la deuxième banque du pays, la Laiki Bank, aujourd'hui liquidée, jusqu'au moment des élections législatives de mars 2013 pour éviter de faire porter le chapeau des mesures de rigueur au gouvernement de gauche.

En un an, la Laïki Bank a en effet bénéficier de 9,5 milliards d'euros d'aide à la liquidité d'urgence (ELA), un programme de la BCE, censé permettre à une banque de survivre à une crise de liquidité, mais pas à une crise de solvabilité.

Une affaire de commissions étrangement calculées

Depuis, une nouvelle affaire, qui avait éclaté en octobre, avait éclaboussé le gouverneur de la CBC. La presse chypriote avait ainsi révélé qu'un cabinet de conseil avait obtenu de la banque centrale une rémunération proportionnelle à l'ampleur du besoin de recapitalisation des banques chypriotes. Autrement dit, ce cabinet avait plutôt intérêt à faire grossir la facture pour l'Etat. Panikos Dimitriadis avait nié avoir eu connaissance de ce contrat et, selon le Cyprus Mail, la justice ne semble pas vouloir l'inquiéter dans ce dossier. Mais son image en avait pris un sérieux coup.

Pourquoi maintenant ?

Reste que l'on doit s'interroger sur le moment de cette démission. Jusqu'ici, le gouverneur avait pu compter dans son duel avec le président, sur le soutien de la BCE, soucieuse de prouver son indépendance face au pouvoir politique. Mais Panikos Dimitriadis n'est pas réellement non plus en odeur de sainteté à Francfort, surtout depuis qu'Angela Merkel a repris en main le directoire de la BCE. Comment l'institution dirigée par Mario Draghi pouvait-elle longtemps soutenir un banquier central des plus « colombes », qui avait même osé réclamé que la croissance soit une priorité pour la BCE, nommé par un président communiste et peu enthousiasmé par le programme imposé à Chypre par la troïka ?

Rejet de la loi de privatisations

Les événements des deux dernières semaines ont sans doute précipité la chute de Panikos Dimitriadis qui n'a guère donné de raisons convaincantes à sa démission. Le 26 février, le président chypriote a perdu sa majorité parlementaire avec le départ du parti centriste Diko de la coalition. Le soir même, sur fond de violentes manifestations, le parlement rejetait la loi de privatisations de plusieurs entreprises publiques exigée par l'Eurogroupe comme une condition au versement de la prochaine tranche de l'aide.

Reprise en main du président

Mais le président Anastasiadis qui ne manque jamais une occasion de rappeler qu'il est un « proche » d'Angela Merkel, a utilisé cette épreuve de force pour prouver sa détermination à accepter les termes de la troïka, quelles que soient les protestations de la rue. Après avoir menacé Chypre des foudres de l'enfer, il a obtenu le 4 mars, un vote favorable de la chambre. En passant, il a décrédibilisé le leader du Diko qui avait décidé de la sortie de la coalition. Ce mardi, les quatre ministres Diko ont ainsi annoncé qu'ils ne démissionneraient pas, comme leur demandait leur parti. La majorité pro-austérité est sauvée.

Récompense ?

Nikos Anastasiadis et son ministre des Finances, le fringant et très « anglo-saxon » Harris Georgiadis, ont donc passé leur brevet de résistance à la rue et aux intrigues politiques avec succès. Ils ont obtenu le feu vert de l'Eurogroupe pour le versement de la quatrième tranche de l'aide (150 millions d'euros. Mais sans doute cela méritait bien une petite récompense supplémentaire. Comme le départ de Panikos Dimitriadis, par exemple. 

Une démission qui sera plutôt bien vue en Europe, particulièrement à Berlin. D'autant que le remplaçant de Panikos Dimitriadis, qui pourrait être la présidente de la cour des comptes locale, Christalia Georgadji, devrait encore renforcer le camp des « faucons » au sein du conseil des gouverneurs de la BCE. Un mouvement qui tend donc à se renforcer et dont on voit déjà les effets sur la politique monétaire de l'institution de Francfort.

Erreur de banquiers centraux

La figure de Panikos Dimitriadis était certes controversée. Mais ses erreurs ne sont pas isolées. Le relèvement du taux directeur en juillet 2008, juste avant la crise de Lehman, n'a pas discrédité Jean-Claude Trichet. Mario Draghi a, rappelons-le, travaillé chez Goldman Sachs quand cette banque « maquillait » les comptes grecs et le vice-président actuel de la BCE, le portugais Vitor Constancio, était sur le grill médiatique pour sa mauvaise supervision bancaire avant que sa nomination ne mette fin à toutes les interrogations. Enfin, la Bundesbank elle-même n'est pas à l'abri des critiques dans son travail de régulation d'un secteur bancaire allemand qui connaît aussi des défaillances (Landesbanken, Deutsche Bank, etc.). Mais les démissions après ces erreurs sont rares.

Nature de l'indépendance

Cette « démission » d'un gouverneur prouve bien que l'indépendance des banques centrales dans la zone euro, quoique garantie par les traités, est toujours soumise à certaines réalités de terrain et de certains rapports de force. Un gouvernement pro-austérité aura bien plus de facilités à se débarrasser d'un banquier central « indépendant » que l'inverse. Les formes dans lesquelles la démission de Panikos Dimitriadis a été emballée ont bien de la peine à dissimuler cette vérité.

 

Commentaires 2
à écrit le 11/03/2014 à 14:23
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... l'Allemagne et ses nervis européens, la servile et larvaire france en tête, sont occupés à truander l'europe et à provoquer sciemment un génocide économique à dimension continentale. On en a envoyé au TPI pour bien moins que cela.

à écrit le 11/03/2014 à 14:10
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Quand on a fait des "conneries" comme l'admet le FMI et pas encore la BCE, le mieux pour ne pas perdre la face est de persévérer dans la mauvaise direction. L'inconvénient évidemment est que cela ne fait que renforcer les difficultés pour les acteu...

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