BCE : A quoi ressemblera un "QE" à l'européenne ?

Après le "feu vert" de la Bundesbank, la BCE doit entrer dans le concret. Plusieurs options s'ouvrent à elle pour réaliser un "Quantitative Easing" à sa façon. Mais les obstacles ne manquent pas. Revue de détail.
La BCE voudrait créer de la monnaie. Mais comment faire ?

L'accord de principe que la Bundesbank a fait connaître le 25 mars sur un Quantitative Easing à l'européenne, autrement dit, l'entrée dans une politique ultraccomodante de la BCE ouvre plus de questions qu'elle n'en clos. Quelles mesures seront adoptées ? Pour le moment, il n'existe que des pistes. Pistes dont il n'est pas interdit, cependant, d'explorer l'efficacité et la vraisemblance. A la lumière de plusieurs critères.

Première restriction : les traités et Karlsruhe

Les premiers d'entre eux, ce sont évidemment les traités européens. On connaît l'interdiction faite à la BCE de financer directement les Etats et les agences gouvernementales (le fameux article 123). La BCE doit d'autant plus être prudente sur ce front que la Cour de Justice de l'Union européenne examine son programme de rachat illimité d'obligations souveraines (qui n'est pas du QE, car elle serait « stérilisée », autrement dit compensée par des ponctions de liquidités). Or, la plainte a été transmise par la cour constitutionnelle allemande qui a dressé un réquisitoire en règle contre l'OMT et qui menace de pouvoir en bloquer la réalisation outre-Rhin. Autrement dit, la BCE va devoir une méthode acceptable non seulement par la Bundesbank, mais aussi par la Cour de Karlsruhe. Ou bien, il risque d'advenir du QE européen ce qu'il advient de l'OMT.

Le problème de l'efficience

Deuxième cadre : celui de l'efficacité. Le financement des pays de la zone euro n'est plus réellement le cœur du problème. Si Chypre risque de ne pas pouvoir lever d'argent sur les marchés avant encore fort longtemps, Portugal et Irlande y sont revenus et leur papier est recherché. L'Espagne et l'Italie voient leurs taux baisser. Même la Grèce peut songer à proposer sa dette aux marchés.

Le vrai problème est plus aujourd'hui de « reflater », de redonner de l'oxygène à des économies qui sont de plus en plus menacées d'asphyxie par la faible inflation ou l'inflation négative. C'est l'échec de la « doctrine Draghi » du « with low inflation, you can buy more stuff » (« avec une inflation faible, vous pouvez acheter plus de marchandises »). Ce qui est nécessaire aujourd'hui à la zone euro, c'est de relancer l'inflation (par la reprise du crédit et la baisse de l'euro )  afin de permettre aux marges de rebondir, puis aux investissements de repartir. Dans l'esprit de la BCE, l'emploi devrait suivre.

En passant néanmoins par les banques, les mesures de la BCE risque de perdre en efficacité. Le système bancaire va-t-il soutenir malgré tout l'économie, alors que le prix de l'argent sur le marché interbancaire est déjà très faible dans la zone euro et que la liquidité disponible existe ? Le problème majeur de la BCE sera celui d'ajouter de l'eau dans l'océan, alors qu'il faut irriguer les terres. Sans parler, évidemment, de l'écueil majeur : la fragmentation du secteur bancaire en zone euro qui s'est améliorée, mais qui est lion d'avoir disparu.

Les risques : l'hyperinflation

Mais il y a là des risques considérables. Le premier, le plus évident et peut-être le moins réel, est celui de l'hyperinflation. En injectant des liquidités dans l'économie, la BCE réduirait massivement la valeur interne et externe de l'euro et conduirait à une explosion des prix et des salaires. Et à une spirale hyperinflationniste. On ne peut écarter une telle logique. Mais il faut rappeler que l'Europe d'aujourd'hui n'est pas l'Allemagne des années 1920 ou l'Amérique latine des années 1980. C'est une région menacée par la déflation, disposant d'un potentiel de croissance faible. Néanmoins, cette menace est prise très au sérieux en Allemagne et la BCE devra donc trouver un moyen de la parer.

Les risques : alimenter les bulles

La seconde menace est celle de l'alimentation des bulles financières qui est une autre forme d'hyperinflation. Ce danger est fort réel et la situation américaine et celle des pays émergents le prouvent. En injectant de la liquidité dans le circuit bancaire, on alimente les investissements financiers à outrance et les excès. Des bulles peuvent se créer ici ou là et, en éclatant, déstabiliser à nouveau le système bancaire et replonger le monde dans la crise. C'est ce qui a poussé la BCE, jusqu'à présent, à ne pas accroître trop son bilan et à le réduire dès que cela était possible. Mais la marge de manœuvre de la BCE est désormais fort réduite : si elle veut redonner aux banques les moyens de prêter massivement, elle va devoir accepter ce risque. Peut-être au prix de quelques garde-fous.

Dans ce cadre, quelles actions la BCE peut-elle se permettre ?

Le QE à l'américaine ou à la japonaise, qui consiste à acheter massivement de la dette d'Etat est assez peu envisageable. On a vu que les traités l'interdisent et que la Cour de Karlsruhe peut être assez dissuasive. Surtout, Jens Weidmann, mardi, a immédiatement rejeté cette option. Elle reviendrait en effet à financer des Etats qui, dès lors, seraient tenter d'abandonner leurs « réformes structurelles. » Ce n'est pas dans l'intérêt de l'Allemagne et dans ses considérants du jugement sur l'OMT, la Cour de Karlsruhe a clairement indiqué que la BCE ne pouvait intervenir dans « la constitution du prix » de la dette des Etats membres (paragraphe 4 de sa décision). « Le rachat d'obligations d'Etat pour décharger quelques Etat membres apparaît comme l'équivalent de fait d'une mesure d'aide, sans toutefois le contrôle et la légitimité parlementaire », indique la Cour qui y voit une contradiction flagrante avec les traités. Bref, le rachat massif et inconditionnel de titres d'Etat par la BCE semble une option peu crédible.

Rachat de dette privée titrisée ?

Une autre mesure consisterait à racheter des titres privés. La BCE évoque depuis longtemps le rachat de créances de PME « titrisées », autrement dit mis ensemble dans des produits financiers. Ce sont les fameuses Asset Backed Securities (Titres garantis par des actifs) dont la BCE voudrait tant voir le marché renaître. Grâce à ces achats, la BCE pourrait espérer encourager les prêts aux PME, puisque les banques pourraient ensuite obtenir, grâce à ces prêts des liquidités à son guichet. Ce système, plusieurs fois évoqué par Mario Draghi, est difficile à mettre en œuvre car le marché des ABS est mort avec la crise de 2007-2008. La valorisation de ces produits est donc délicate. Par ailleurs, la question sera de savoir, ensuite, qui portera le risque lié à ces ABS : les banques ou la BCE ? Dans le deuxième cas, le plus logique, on risque de grincer des dents en Allemagne. Dans le premier cas, les banques seront toujours aussi réticentes à prêter. Enfin, les liquidités accordées aux banques profiteront-elles à l'économie ou iront-elles alimenter des bulles spéculatives ?

Un nouveau LTRO ?

La même question peut se poser en cas de nouveau LTRO, autrement dit de prêt à long terme accordé par la BCE aux banques. En 2011-2012, 1.000 milliards d'euros avaient ainsi été distribués sous forme de prêt à 3 ans et il reste encore 546 milliards d'euros à rembourser au 25 mars. Cet argent avait surtout servi aux banques à acheter des titres de dettes d'Etat à l'époque. Aujourd'hui, on peut espérer que ces fonds servent à financer l'économie. Mais l'on n'en aura aucune garantie. Surtout, il faudra rembourser l'argent versé. Les prêts accordées par les banques risquent donc de ne l'être que sous condition et au compte-goutte. L'économie de la zone euro n'en sera donc que modérément « reflatée. »

Un guichet pour l'économie réelle ?

Il y aurait ensuite la possibilité d'intervenir plus directement dans l'économie. La banque centrale hongroise (NMB) et avant elle la Banque d'Angleterre (BoE) avait mis en place des programmes de ce type. Les programmes Funding for Growth (financement pour la croissance) de la NMB et Funding for lending (financement pour le prêt) de la BoE ont mis à disposition des sommes considérables afin d'irriguer directement l'économie. Il s'agit de fonds permettant de prêter aux banques à faible taux pour qu'elle prête à leur tour aux PME (et dans le cas britanniques aux particuliers désireux d'acheter un bien immobilier). Avec des conditionnalités. Ce type de projets n'est actuellement pas évoqué par la BCE. Sans doute y voit-on une méthode trop inflationniste…

Une intervention sur le marché des changes ?

Mario Draghi l'affirme depuis plusieurs jours : le taux de change de l'euro avec le dollar devient un critère croissant pour estimer la stabilité des prix à moyen terme. En clair : l'euro est trop fort. Pour le faire baisser et cesser l'effet négatif de l'euro fort sur l'activité et les prix à l'importation, la BCE pourrait intervenir directement sur le marché des changes, par exemple, en achetant de la dette américaine. Légalement, elle en a le droit. L'idée circule parmi certains économistes depuis quelques semaines, mais la BCE se fait discrète sur le sujet. Il est vrai, qu'outre-Rhin, on craint une gestion « à la baisse » de l'euro qui ne favorise pas les exportations allemandes et pénalise ses importations de matières premières et d'énergie. En Allemagne, on craint aussi l'usage immodéré (inflationniste) de la planche à billet pour parvenir à une politique efficace sur le marché des changes. D'autant que la BCE, depuis 1999, refuse tout objectif de change et que la Buba demeure ferme sur ce sujet.

Les armes émoussées de la BCE : taux de dépôt négatif, réserves obligatoires, taux

La BCE dispose d'autres armes dont l'efficacité demeure incertaine. Le taux de dépôt négatif ne semble pas en mesure de véritablement aider l'économie. Au 25 mars, il n'y avait que 35 milliards d'euros déposée dans la facilité de dépôt de la BCE. On est loin d'un QE à l'américaine. On n'a du reste aucune certitude que l'argent retiré de cette facilité ne finisse tout simplement sur le compte courant des banques (au 25 mars, 196 milliards d'euros), devenu plus attractif. On n'y aurait rien gagné. L'abaissement des réserves obligatoires est une mesure du même ordre et dont l'efficacité sera aussi faible. Sans parler de la baisse des taux de 0,25 % à 0,10 % qui ne relève pas du QE et qui n'aurait pas davantage d'impact sur l'économie que les précédentes baisses.

La fin de la stérilisation du programme SMP

Une méthode est souvent avancée : celle de la fin de la « stérilisation » du programme de rachat d'obligations d'Etat (SMP) effectué jusqu'en 2011 et qui s'était élevé à 200 milliards d'euros. C'est, selon le Wall Street Journal, le choix qui aurait été effectué par la Bundesbank. Concrètement, la BCE cesserait de racheter des liquidités sur le marché pour « compenser » les achats effectués jadis. Ceci laisserait donc plus de liquidités aux banques. Là encore, la transmission par le système bancaire présente des risques certains et une efficacité incertaine. Selon les experts de RBS, il n'y a aucune certitude que cela conduise à une plus forte production de crédit. Mais c'est, pour l'instant, la seule formule qui puisse contenter tout le monde à la BCE.

 

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Commentaires 19
à écrit le 01/04/2014 à 14:11
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Le QE c'est du PQ, la bumf economy à la française, la prolifération des fonx et des chômeurs, l'Etat tue la croissance, pseudo instituteur du social... ex le QF. Un billet sans travail associé, ça vaut quoi?

à écrit le 01/04/2014 à 13:48
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On nous publie, la France, au son de la musique républicaine, la marche des trainards de la croissance! Voila qu'on joue aux bulles dévastatrices maintenant? Et combien on doit filer aux banques? En 2012 la bagatelle de 300 milliards en zone euro! On...

à écrit le 30/03/2014 à 12:19
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Rappelons que le QE américain a produit la crise dont on parle dans les émergents...

à écrit le 30/03/2014 à 12:14
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Après l'euro fort déconnecté des économies, voici la politique des bulles!

à écrit le 28/03/2014 à 16:33
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imprimez ,puis pretez aux banques ,qui achetent des actions ,comme ca ca monte et un jour ......le tout c est de ne pas sortir le dernier ,allez y speculez ....moi j attend le big crunch ...et ce jour la champagne ,car apres c est l eau et le pain s...

à écrit le 27/03/2014 à 9:52
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Il y a une bulle immobilière en France. Le prix du logement est 30% (au moins) plus élevé qu'en Allemagne. Il devient néfaste de la gonfler encore plus, ce que ne manquerait pas de faire ce QE de la BCE !

à écrit le 27/03/2014 à 6:58
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Et le renouvellement de billets de banque genre 5 et 10 euros ce n'est pas de QE peut-etre???? La BCE est une banque à l'allemande et pour nous le Pole emploi, comprenne qui voudra.....

à écrit le 27/03/2014 à 0:42
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La BCE est donc inculpée pour violation de ses prérogatives.

à écrit le 27/03/2014 à 0:16
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L'Europe du Sud et en France, c'est un charnier de chômeurs jeunes, il faut y mettre de l'ordre et de la croissance. Il faut une politique de travail en France, pas de chômage!

le 27/03/2014 à 9:12
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Il suffirait de supprimer le smic et de laisser les salaires s'ajuster. Cela sauverait l'activité dans pas mal de zones rurales. Évidemment c'est politiquement suicidaire.. Alors que tout mettre sur le dos de l'Euro est facile.

le 27/03/2014 à 18:22
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@ Voc La condamnation au chômage des jeunes , du fait des politiques d'ajustement par la variable emploi de l'europe est un crime contre la jeunesse , un mauvais choix social et politique et en même temps la pire poudrière sociale qui soit.

à écrit le 27/03/2014 à 0:03
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On a combien d'années d'évasion fiscale ou de comptes à l'étranger? Et pour la BCE, combien encore d'actifs toxiques dans les banques pourries? 75%? Dans notre société le riche ne paye pas l'impôt on taxe les familles avec le QF et on fait des diplôm...

à écrit le 26/03/2014 à 23:38
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Parler de l'efficacité du QE, c'est comme savoir si une Commode est aussi confortable qu'une chaise, c'est comme faire Caligula empereur et son cheval sénateur, et on en parle aux Européennes du joli moi de Mai après les ides de Mars, mais alors on v...

à écrit le 26/03/2014 à 23:15
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Les QE, les bulles de logement et les citoyens suicidés, les démolitions des nations, dehors! Faisons ce qui détruit le travail et les foyers, voila la politique conduite! Contre le léporisme la société demande de bonnes serres en terme de dépenses.....

à écrit le 26/03/2014 à 22:52
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Alors on peut attaquer la BCE pour violation des statuts? Et qui n'est pas révolté contre l'Europe du chômage, de la précarité surtout dans le sud, la désindustrialisation et la croissance de la dette pour aucun résultat? Pourtant la population deman...

à écrit le 26/03/2014 à 22:36
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Plus y a d'euros, moins y a de pouvoir d'achat... on fait comme en grèce une politique à -25% de PIB? Est-ce une bonne politique?

à écrit le 26/03/2014 à 16:29
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Bonjour, Pour rebondir sur les dires de ROS, modifier l'article 123 du traité de Lisbonne est tout simplement impossible pour un seule raison: Pour modifier un traité européen, quel qu'il soit, il faut l'unanimité des état membres. et l’Allemagne...

à écrit le 26/03/2014 à 15:47
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Concernant la dette d’Etat, la BCE peut l’acheter sur le marché secondaire, ce qui n’est pas expressément interdit par l’article 123, même si on peut considérer que c’est un moyen pour contourner l’interdiction de cet article, c’est ce qu’a dû consid...

le 26/03/2014 à 21:43
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Toujours trouver des artifices pour empêcher l'éclatement de la zone euro. Vous n'avez pas l'impression que le problème vient de cette monnaie qu'il faut toujours sauver, envers et contre tout ? Quelque chose qui fonctionne, il n'y a pas besoin de le...

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