Pourquoi le succès du placement chypriote est inquiétant

Chypre a levé facilement 750 millions d'euros sur les marchés mercredi. Une preuve qu'une bulle se forme sur les États périphérqiues de la zone euro.
Un euro chypriote. L'île est encore en pleine récession

Désormais, tous les pays sous programme de la zone euro sont revenus sur les marchés financiers à moyen et long terme. Mercredi, Chypre a émis un emprunt de 750 millions d'euros à 5 ans à un taux de 4,85 %. La demande a dépassé l'offre de 4 fois. Comme précédemment en Irlande, au Portugal et en Grèce, le gouvernement a crié victoire. Le président Nikos Anastasiades a jugé qu'il « s'agissait d'un vote fort de confiance dans les perspectives de l'économie chypriote. » Et son ministre des Finances Harris Georgiades a estimé que « les efforts menés pendant des mois ont été un succès absolu. »

Appel à l'UE en 2013

Chypre avait dû faire appel à l'aide européenne en mars 2013 alors que son système bancaire hypertrophié était sur le point de s'effondrer. Après une première tentative avortée et une « pression amicale » de la BCE (qui a menacé de couper l'accès du pays à la liquidité), le MES et le FMI avaient prêté 10 milliards d'euros au pays, moyennant non seulement un plan d'austérité drastique, mais aussi une participation des déposants de plus de 100.000 euros au renflouement du secteur financier de l'île.

Bon élève de la troïka

Depuis, la troïka (formée de représentants de la BCE, de la Commission et du FMI) n'a eu qu'à se féliciter du gouvernement chypriote qui a strictement respecté sa feuille de route et est même souvent allé au-delà. Dans la déclaration effectuée après la dernière visite de la troïka en mai, cette dernière estime que « les objectifs budgétaires pour le premier trimestre 2014 ont été atteints avec une marge considérable, reflétant une performance meilleure que prévue des recettes et une exécution prudente du budget. » Le déficit primaire a atteint 2 % du PIB en 2013 contre 3,1 % prévu. Nicosie a tout fait pour être le « bon élève. » En mars, le parlement avait rejeté un projet de loi de privatisation exigée par la troïka. Il a été représenté quelques jours plus tard, après quelques manœuvres politiques et a été adopté. Une lecture simple (voire simpliste) de la situation voudrait donc que le retour sur le marché de Chypre soit la récompense de ces « efforts consentis. »

Récession profonde

La réalité est beaucoup plus complexe. La situation à Chypre est en réalité très difficile. Certes, la récession a été plus faible que prévu en 2013 à - 4,2 % contre - 8,7 % annoncé d'abord par les officiels européens. Sauf qu'il apparaît aujourd'hui évident que cette première estimation était surestimée, ce qui a permis de transformer une contraction considérable du PIB en une victoire de l'austérité. Sauf que cette année, la contraction doit encore s'approfondir à -5,4 % et qu'en 2012, la contraction - car Chypre est entrée dans l'austérité avant la troïka - était déjà de 2,5 %. En tout, donc, le PIB chypriote aura perdu en trois ans 11,5 % de sa valeur. Pire même, le retour à la croissance, prévu - cette fois avec beaucoup d'optimisme - pour 2015 sera très lente : +0,6 % l'an dernier. Un chiffre revu en mai à la baisse par rapport au 1,1 % prévu jusqu'ici. Difficile de considérer qu'il s'agit là d'une quelconque victoire. D'autant que le chômage - inexistant dans l'île avant la crise - reste très élevé à 16,4 % en avril. Depuis un an, il évolue entre 16 % et 17 %.

Pas de moteur de croissance

En réalité, donc, Chypre subit le même sort que ses compagnons d'austérité. Sans doute, même, la potion est-elle plus amère que pour beaucoup, car le modèle économique chypriote, fondé sur les services financiers s'est écroulé. Depuis mars 2013, des contrôles de capitaux vers l'extérieur ont été instaurés et n'ont pas été levés. C'est, d'ailleurs, une des raisons de la « résistance » de l'économie chypriote. Sans ces mesures, le désinvestissement étranger aurait été bien plus fort. Malgré la restructuration du secteur bancaire, ce dernier ne saurait réellement avoir le rôle moteur qu'il avait jadis sur l'économie. Quant aux gains de compétitivité dégagés par la baisse du coût du travail, ils peuvent certes jouer sur le tourisme, mais la concurrence en Méditerranée est rude. En revanche, l'industrie chypriote est inexistante et ne peut guère contribuer par ses exportations à la croissance. Et, évidemment, pendant ce temps, la réduction des dépenses publiques et la baisse du coût du travail pèse sur une consommation qui a été le pilier de la croissance chypriote dans le passé.

Le danger d'une aggravation demeure

L'enthousiasme de Nikos Anastasiades et de Harris Georgiades semblent donc hors de propos. Même le MES et l'agence de notation Fitch doivent mettre en garde contre les « risques » qui demeurent car l'effondrement de la conjoncture a fortement pesé sur la qualité des prêts détenus par les banques. Du coup, les besoins de recapitalisation pourraient être plus importants que prévu. On voit mal alors comment la production de crédit pourrait s'améliorer. Et, sans crédit, l'économie chypriote ne pourra repartir et s'enfoncera dans une apathie économique durable, faute de moteurs de croissance et de modèle économique. Comme pour la Grèce, l'austérité appliquée à Chypre a été purement comptable, aucune réflexion économique réelle n'a été menée. Logiquement, ses résultats sont purement comptables : c'est un déficit plus faible que prévu.

Les raisons du succès

Ce retour sur les marchés de Chypre n'est donc pas le fruit de la situation chypriote. Ce n'est que celui d'une situation de marché. Les investisseurs estiment que, grâce à l'OMT, le programme de rachat illimité par la BCE garantit les titres souverains de la zone euro sont « garantis » par les autorités de Francfort. Par ailleurs, les investissements sûrs offrant des rendements de 4,85 % sont désormais fort rares. C'est donc une aubaine pour les investisseurs et les banques qui doivent placer des liquidités qu'ils ne peuvent plus déposer auprès de la BCE sans devoir payer un taux négatif. On voit combien les fondamentaux ne jouent plus guère dans ces achats. Dans le cas de Chypre, le constat est évident : c'est la preuve qu'il se forme une bulle sur les pays périphériques qui, sans doute, n'en avaient guère besoin.

 

Commentaires 10
à écrit le 22/06/2014 à 7:50
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bien vu,la situation est plus que catastrophique,et le dernier paragraphe est la seule partie vraie et intéressante ,le reste c'est du bidon comme de croire comme tout les crétins de keynèsiens que la consommation est le moteur de la croissance,cett...

à écrit le 21/06/2014 à 14:06
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Et pour nous la spoliation M Godin c'est pour 2015?

à écrit le 21/06/2014 à 13:27
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Il est clair que là, les BC, états, fonds, etc, sont tellement sur la corde que la première rupture... Et néanmoins bien remarqué que le chômage sert d' "autres"...

à écrit le 21/06/2014 à 12:00
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Un pays sans aucune industrie ne vivant que du tourisme et du secteur bancaire (oasis fiscaux) . boof .... on a pas pas tellement besoin !

le 21/06/2014 à 13:25
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Eeet... en France, hormis l'assemblage d'avions et de voitures, il reste de l'industrie..?? Lorsque le vin devra être produit en suède, il ne restera que le fromage.

le 22/06/2014 à 11:04
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ET un pays qui est un enfer fiscal, qui est en pleine déconfiture, qui a été truandé pendant 5 ans et qui a toujours vécu aux crochets des autres, que ce soit les colonies hier ou les pays du Sud européen aujourd'hui, vous croyez qu'on en a besoin ? ...

à écrit le 21/06/2014 à 12:00
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Un pays sans aucune industrie ne vivant que du tourisme et du secteur bancaire (oasis fiscaux) . boof .... on a pas pas tellement besoin !

le 21/06/2014 à 14:05
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@papa fox c'est sur qu'il vaut mieux un pays ou les gens sucent des cailloux et volent les autres pour survivre -)

à écrit le 21/06/2014 à 11:14
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bientôt la faillite!!!!

à écrit le 20/06/2014 à 20:24
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"une participation des déposants de plus de 100.000 euros au renflouement du secteur financier de l'île" ... Romaric, vous auriez été plus inspiré d'écrire "spoliation" ou "vol" puisque tel était le cas.

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