"L'Allemagne ne peut pas être un modèle pour la zone euro"

"Il faut d'urgence changer la politique européenne", c'est le cri d'alarme que lance Philippe Legrain, ancien conseiller économique de José Manuel Barroso et chercheur associé à la London School of Economics. Pour La Tribune, il livre sa vision très critique du modèle allemand et de l'Europe.
Philippe Legrain estime que le "modèle allemand" ne fonctionne pas.

La Tribune - Dans un texte récemment publié sur la plateforme Project Syndicate, vous estimiez que le « miracle économique allemand » n'était en réalité qu'un « mirage. » Comment fonctionne, selon vous, l'économie allemande ?

Philippe Legrain - Depuis le début des années 2000, lorsqu'elle était perçue comme « l'homme malade de l'Europe », l'Allemagne n'a pas montré de vrai dynamisme économique - depuis dix ans, la productivité des travailleurs allemands augmente de seulement 0,9 % par an en moyenne, c'est moins même qu'au Portugal - elle s'est contentée de baisser les coûts, notamment salariaux. L'allemand moyen gagne moins en termes réels qu'en 1999 ! Ces coûts artificiellement bas ont dopé la compétitivité du pays et ont soutenu les exportations, ce qui a conduit à de très forts excédents. Mais ces excédents ont été très mal investis. Jusqu'en 2008, ces investissements se sont dirigés vers l'Europe du sud où ils ont alimenté les bulles et vers les produits de subprime américains.

LT - C'est ce qui explique les difficultés du secteur bancaire allemand ?

PL - Tout à fait. Les opérateurs de marché le savent bien, l'argent des banques allemandes - donc de l'épargne allemande issue des excédents - est très souvent mal investi. Partout au monde où le capital est mal alloué, on retrouve les banques allemandes.

LT - Selon vous, ce modèle économique n'a pas d'avenir ?

PL - En comprimant en permanence les salaires et en investissant peu, l'Allemagne ne peut guère compter sur le dynamisme de sa demande intérieure. Elle reste dépendante des exportations. Or, la croissance de ces dernières était tirée jusqu'à récemment par deux facteurs principaux : la croissance de l'Europe du sud et le développement industriel de la Chine. Ces deux facteurs n'existent plus. L'Europe du sud est entrée dans une longue crise et la Chine ralentit et change de modèle économique et se concentre désormais sur le développement du secteur des services, elle a donc moins besoin des biens d'équipement allemands. Le modèle allemand est donc sur le déclin. La part de marché mondiale de l'Allemagne est revenue à son niveau des années 2000 et la valeur ajoutée des entreprises allemandes est au plus bas.

LT - En Allemagne, on estime pourtant que la demande intérieure pourrait reprendre le relais...

PL - Depuis des années, on nous annonce le « rééquilibrage » de l'économie allemande. Mais rien de concret ne vient réellement. En 2013, selon l'office fédéral des statistiques, les salaires réels allemands ont encore reculé de 0,1 %. Les salaires ne s'ajustent donc pas. La demande intérieure demeure faible et les excédents continuent de battre des records...

LT - Ce serait donc une erreur de vouloir imposer le modèle allemand au reste de la zone euro ?

PL - L'Allemagne ne peut pas être un modèle. C'est une immense erreur de vouloir copier ce qui ne marche guère en Allemagne au reste de la zone euro. Dans un contexte où la croissance mondiale est faible et où les exportations ne peuvent plus guère progresser, l'Allemagne exporte sa déflation au reste de l'Europe.

LT - L'Allemagne ne semble cependant pas prête à se remettre en cause. Votre texte a provoqué de vives réactions outre-Rhin où l'on vous a accusé de « German Bashing »....

PL - Je récuse totalement cette accusation. Mon propos n'est pas xénophobe, c'est une critique d'une politique, celle menée par Angela Merkel. Il est pour moi de la même nature que les critiques que je peux adresser au gouvernement britannique. Cette réaction me rend triste, mais je constate qu'en Allemagne, il existe un mouvement qui commence à engager cette critique également. L'ouvrage de Marcel Fratzscher intitulé L'illusion allemande a été bien reçu au sein de la SPD, c'est un premier signe...

LT - Pour sortir de la crise de la zone euro, vous préconisez une restructuration des dettes...

PL  - La dette publique et privée n'a pas baissé depuis le début de la crise en 2007. Alors que l'on affirme que cette crise est une crise de surendettement. C'est une preuve que les politiques actuelles ne réussissent pas. Vu les contraintes imposées par les règles fiscales européennes et les tabous monétaires allemands, je ne pense pas que la zone euro puisse échapper à la stagnation et croître assez rapidement pour sortir de la dette. Il faut donc réfléchir à la restructuration des dettes. C'est le seul moyen d'éviter la déflation. Dans le cas de la dette publique, cela paraît inévitable en Grèce et hautement souhaitable dans le cas du Portugal. Dans le cas de la dette privée, le FMI défend l'idée qu'il faut restructurer la dette des entreprises en Europe du sud, ainsi que la dette immobilière. Les Etats-Unis sont parvenus à réduire leur dette immobilière par la restructuration et l'inflation. En Europe, nous n'avons ni l'une, l'autre. La sortie de crise n'est pas possible dans ces conditions.

LT - L'euro peut-il continuer à exister si la zone euro reste dans la logique du « modèle allemand » ?

PL - Il existe deux forces très puissantes en faveur de l'euro : un engagement fort des institutions pour sauver la monnaie unique et une volonté majoritaire des épargnants de vouloir que leur épargne demeure libellée dans une monnaie forte. Il y a aussi la peur du changement. Mais qu'en sera-t-il après 10 ans ou plus de stagnation ? Les opinions publiques peuvent changer et choisir des gouvernements qui souhaitent ou qui sont prêts à sortir de la zone euro. Si Matteo Renzi échoue en Italie, le mouvement de Beppe Grillo pourrait imposer un référendum sur l'euro. Syriza pourrait l'emporter dès l'année prochaine en Grèce. Sans compter qu'avec la politique actuelle, on peut imaginer que l'Italie devienne insolvable. Comment alors sauver l'euro ?

De façon générale, je suis frappé de constater que les dirigeants européens sont davantage obsédé par le sauvetage de l'euro que par le bien-être des européens. J'ai pu en faire l'expérience lorsque je travaillais à la Commission européenne. Mais si le chômage reste élevé, les salaires bas et la croissance faible, ce n'est pas une réussite. Si une génération perdue de jeunes ne peux pas trouver d'emploi, ce n'est pas une réussite. Si l'Europe est de plus en plus impopulaire et Marine Le Pen de plus en plus populaire, ce n'est pas une réussite. Certes, je souhaite que l'euro survive, mais le plus important, c'est le bien-être des européens. Il faut donc changer de politique d'urgence.

Philippe Legrain est l'auteur de European Spring : Why Our Economies and Politics are in a Mess - and How to Put Them Right, (Le printemps européen : pourquoi nos économies et nos politiques sont en désordre et comment le remettre d'aplomb), édition Creative Books, 484 pages, 13,70 euros.

Commentaires 53
à écrit le 09/10/2014 à 15:02
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l'Allemagne a - depuis longtemps - d'immense atouts. Elle a une main d'oeuvre hyper qualifiée, un industrie dont la qualité et reconnue qui lui permettent un positionnement haut de gamme donc de vendre plus cher ses produits (on pourrait presque dire...

le 09/10/2014 à 19:22
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Allez y vivre et essayez d'y travailler... Ou disons plutôt essayez d'aller là bas y survivre. Avec les salaires à 500 euro pour un pays de ce type; ca s'appelle de l’esclavagisme plus qu'un exemple.

à écrit le 09/10/2014 à 12:16
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A force de déngrer l Allemagne et même de traiter Angela Merkel d´ennemie (lue dans la presse d aujourd´hui) un beau jour l Allemagne enverra le reste ballader. La tendance avec l essort de l AfD est indiscutable. Critzquer, rouspeter...

à écrit le 09/10/2014 à 10:22
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Un peu plus et notre ami Legrain va nous vanter les vertus du modèle français... Modèle déja en faillite depuis 20 ans. C'est comme mes enfants lorsqu'ils ont une mauvaise note : c'est de la faute du prof...

à écrit le 09/10/2014 à 9:41
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Moi, tout ce que je sais, c'est que les ménages allemands se coûtent facilement deux fois moins cher pour se loger que les ménages français. Et que par conséquent l'économie allemande est bien mieux gérée que l'économie française. Il sait çà, Mr Legr...

le 09/10/2014 à 12:09
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Ce ne sont pas que les logements. je me promene beaucoup entre ces pays et constate entre temps que dans beaucoup de domaines la vie coûte de 20 a 30 % moins cher en Allemagne. Allez a l hotel et au restaurant vous comprendrez vite. Ava...

à écrit le 09/10/2014 à 8:20
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On peut critiquer l'Allemagne autant qu'on veut, ce n'est pas le sujet : le sujet c'est l'Europe. Qui est la plus grande économie du monde, ce qui énerve beaucoup de gens qui voudraient bien que çà s'arrête : les américains, par exemple, qui voient l...

à écrit le 09/10/2014 à 7:20
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Le socle de la réussite allemande est la QUALITE de ses produits et l'avance technologique. On n'en parle pas? Cet article est réducteur. La réalité économique n'est pas que dans les statistiques et les livres. Les consommateurs le savent bien quand ...

à écrit le 09/10/2014 à 7:15
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Le pb est politique. Dans tous les domaines ou forums, groupe de recherche, europeens l'Allemagne est le seul pays qui ne coopère pas ou cherche a nuire aux intérêts français. Même les britanniques sont plus coorects.

le 09/10/2014 à 9:37
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@ helios : je vous vous trouve bien péremptoire : c'est vous qui cherchez à nuire

à écrit le 09/10/2014 à 7:11
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"les dirigeants européens sont davantage obsédé par le sauvetage de l'euro que par le bien-être des européens" tout est dit.

à écrit le 09/10/2014 à 7:04
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Avec 10% de chômage, peut on se permettre d'acheter allemand? Non, alors achetez français : elgydium dentifrice, linvosges, l'arbre vert lessive, le slip français, archos téléphone, etc.

le 10/10/2014 à 17:55
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On produit autre chose que des chômeurs? En tous cas dans tous ce que vous citez, peux de chose son de fabrication française... Au mieux elles sont fini d'être assemblé en France.

le 13/10/2014 à 0:09
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Hé bien proposez quelque chose plutôt que critiquer quelqu'un qui apporte une solution. Soyez fier de votre pays bordel. Soyez positif et constructif.

à écrit le 08/10/2014 à 21:41
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la solution a tous les problemes economiques: emprunter plus et repayer moins..

à écrit le 08/10/2014 à 21:36
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Mr Legrain parle de "ces coûts artificiellement bas" qui aurait dopé la compétitivité; incroyable comme introductions dans la "matière", car je ne connais que des coûts -réellement- bas. En ce qui concerne la productivité, il faudrait que M Legrain a...

le 08/10/2014 à 21:46
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Pourquoi ne pas pas sortir de l'UE et de l'euro pour en finir?

le 09/10/2014 à 1:21
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pour en finir avec la France ??? ne vous inquiétez pas, c'est pour bientôt : apprétez-vous à travailler !!!

à écrit le 08/10/2014 à 20:12
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D'ailleurs le grand diva a chanté aujourd'hui devant l'esplanade de l'assemblée de Bruxelles, invité par des eurodéputés pour lutter contre les discriminations et les fausses notes. mdr

le 08/10/2014 à 22:47
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ouais! pauvre monde !!!!!

à écrit le 08/10/2014 à 19:02
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Résumer la réussite de l Allemagne a du dumping social il faut oser et etre de mauvaise fois Les audi bmw mieile hilti still etc.. Les clients les achètent car c est du très bon matériel Renault Peugeot moulinex etc ont choisis le bas gamme et a pr...

le 08/10/2014 à 21:49
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L"Allemagne a su parasiter le reste de l'UE au bon moment très simplement!

le 08/10/2014 à 22:26
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Les audi bmw et mercedes avaient aussi du succès il y a 30 ans et à l'époque c'était de la vrai qualité (maintenant c'est du pipo, de la com, tous les possesseurs d'Audi que je connais sont emmerdés) . Mais elles étaient 30% plus cher que maintenant ...

le 13/10/2014 à 0:11
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+1

à écrit le 08/10/2014 à 18:09
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on aime les discours baveux sur ce qui ne marche pas chez les autres ( surtout les allemands ou les americains)..... on va se contenter de regarder les resultats, ca ira plus vite... et la, pas de pot il semblerait que l'allemagne ait de meilleurs re...

le 08/10/2014 à 18:13
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Tu parles!!!

le 08/10/2014 à 19:32
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@churchill bonsoir,L'économie ne se regarde pas à 10 ans, les politiques ont besoin d'une vision à court terme car la se joue le bulletin de vote pas l'avenir d'un pays encore moins d'une zone comme l'Europe. En comparaison une grande entreprise se p...

à écrit le 08/10/2014 à 17:31
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magnifique discours de gauchiste, déconnecté de la réalité comme d'habitude et avec qu'un seul objectif : que rien ne change. Peu importe que la France emprunte chaque année plus que la masse salariale et les retraites des fonctionnaires, tout va bi...

le 08/10/2014 à 18:12
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Très bien, alors adoptons le ce superbe modèle allemand... N'oublions pas toutes les équations... Car les aides sociales que vous connaissez en France n'ont pas cours en Allemagne. Ceci est également valable pour la politique familiale, qui est très ...

le 08/10/2014 à 18:13
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...il n'est pas question de coups de pieds aux fesses justifiés ou pas! il est question que l'Allemagne n'est pas à même de donner des leçons aux autres, vu le niveau de vie de ses habitants, du taux auxquels ils sont payés, etc ce n'est pas pour ri...

le 08/10/2014 à 19:04
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Tout à fait d'accord avec vous !! on étouffe lentement, on agonise "lentement mais sûrement " !

le 09/10/2014 à 1:27
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je vais régulièrement en Allemagne, et je vois tout le contraire de ce que vous dîtes, mais alors tout le contraire : l'allemand moyen est 2 fois plus riche que le français. Des allemands pauvres, je n'en vois qu'à Berlin !!!

à écrit le 08/10/2014 à 16:41
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eh! bien, voilà, un autre son de cloche, qui somme toute, parait juste !!!

à écrit le 08/10/2014 à 16:32
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Pour ce coco, le modele c´est surement la politique de Bercy! Que ce minable aille se faire voir par Borroso et compagnie. Triste de lire des inepties du genre de celles professees par ce gus.

le 08/10/2014 à 16:42
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_100000000

le 08/10/2014 à 17:12
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Ce que j'ai lu me semble mesuré et juste. Donc pour vous ce sera -1000

à écrit le 08/10/2014 à 16:25
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En attendant le modèle allemand va être appliqué encore plus à la France dans quelques semaines car, à la demande de la commission européenne, elle va devoir réviser son budget dans le sens du modèle allemand. Même s’il ne marche pas il faut l’appliq...

le 08/10/2014 à 16:43
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Sortons de cette m...de !!!

le 08/10/2014 à 19:06
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ils veulent nous y laisser de force, c'est bien qu'ils ont GRAND INTERET à nous y laisser avec cet euro et cette europe dévastatrice.

à écrit le 08/10/2014 à 15:51
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Tres bonne analyse. Le pb de fonds est celui de traiter globalement sous le vocable europeen des situations nationales sans rapport et sans convergence. Il est clair que l'allemagne n'est pas un modele, reste a trouver le modele avec une Europe qui s...

le 08/10/2014 à 16:41
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+ 10000000

à écrit le 08/10/2014 à 15:51
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Le modèle allemand, le sujet de prédilection de R.Godin. Chaque semaine, il nous pond inlassablement le même article. Lassant.

le 08/10/2014 à 16:05
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ceux qui nous lassent sont ceux qui depuis 30 ans nous vantent le modèle néolibéral, le plus immoral et inégalitaire qui soit ! ce que dit ce Mr est tres intéressant et novateur ne vous en déplaise .....

le 08/10/2014 à 16:44
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ABSOLUMENT de votre avis !

le 08/10/2014 à 16:54
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La France est tout l'inverse du modèle libéral. Alors ne critiquez pas ce que vous n'avez jamais vécu. Vous êtes dans le modèle le plus égalitariste du G20 avec 57% de dépenses publiques. Ca ne marche pas depuis 40 ans. Qu'est ce qui reste à tanter...

le 08/10/2014 à 17:00
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Tout à fait d'accord, j'ai 34 ans et depuis mon plus jeune âge j'entends nos hommes et femmes nous vanter les joies de la mondialisation; que seul cette voix allait nous sauver... Voilà le résultat... Ce n'est pas en faisant des chômeurs ou des trava...

le 08/10/2014 à 17:16
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+ 1

le 08/10/2014 à 17:40
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"Qu'est ce qui reste à tenter?..... le modèle libéral" Mutualisation des dettes, privatisation des bénéfices… spoliation et esclavagisme... ! Quel beau programme Henri…

le 08/10/2014 à 19:27
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Bien vu !

le 08/10/2014 à 23:02
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@Henri Arrêtons de nous bassiner avec les 57%. Ils sont moins problématiques que les 4,4% de déficit qui sont au moins autant dus au manque de productivité de certaines fonctions pas si nombreuses que ça au demeurant (enseignement secondaire, santé,...

à écrit le 08/10/2014 à 15:48
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Je ne connaissais pas le modèle allemand, à priori les ouvriers allemands fabriquent des voitures allemandes mais ne peuvent les acheter. Si on reprend bien la logique nos investissements à l'étranger comme Renault en Afrique ne son pas déconnant.

le 08/10/2014 à 21:54
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C'est simplement le principe du parasite sur un corps sain grâce a un environnement qui a changé en sa faveur!

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