Sarkozy, objectif 2012 ou bien 2025 ?

Par Philippe Mabille, éditorialiste à "La Tribune"  |   |  1140  mots
Par Philippe Mabille, éditorialiste à "La Tribune".

A voir les derniers indices du moral des industriels, le mois de septembre marquera l'entrée de la France, comme d'ailleurs du reste de l'Europe, dans la récession. C'est donc par cette réalité nouvelle que Nicolas Sarkozy devrait commencer, ce soir, son discours de Toulon, pour sa première prise de parole sur les questions intérieures depuis l'annonce du financement du revenu de solidarité active par une taxe nouvelle sur les revenus du capital, à la fin du mois d'août.

Alors que plus d'un Français sur six juge mauvaise la politique économique du gouvernement, selon un sondage BVA, ce discours de Toulon devrait marquer un tournant dans la rupture telle qu'elle a été appliquée, avec plus ou moins de bonheur, depuis l'élection présidentielle. Force est en effet de constater que même si elle n'est pas seule à être affectée par la contagion de la crise financière américaine, la France n'a pas connu le "choc de confiance" annoncé il y a un peu plus d'un an par François Fillon. Sa croissance est en berne, ses comptes publics se creusent, la dette s'envole, bref, la France devient, avec l'Italie, le plus mauvais élève de la zone euro, alors même qu'elle préside l'Union européenne jusqu'en décembre.

Certes, cet échec est principalement imputable à des chocs extérieurs ; dans l'ordre d'importance, la flambée des prix du pétrole et des matières premières, le ralentissement de l'économie américaine et l'arrêt du marché immobilier. Mais la crise a bon dos : aucun de ces chocs n'était imprévisible au moment où la France a décidé, de façon solitaire, de procéder à une relance de son économie, en épuisant toutes ses marges de manoeuvre budgétaires. Le ver était dans les promesses électorales: Nicolas Sarkozy a pris le risque, considérable, de mettre en oeuvre d'un seul coup tous ses engagements de campagne, de la défiscalisation des heures supplémentaires à la réduction d'impôt pour intérêts d'emprunts immobilier, en passant par la forte réduction des droits de succession...

Or, aucun de ces instruments fiscaux n'a fait la preuve de son efficacité pour affronter la crise actuelle. Et, à constater que la France aura cette année, et probablement l'an prochain, une croissance d'à peine 1%, inférieure à la moyenne de la zone euro, on se prend à douter de l'utilité de ces 10 milliards d'euros ainsi injectés en pure perte dans l'économie.

Cet échec donne raison a posteriori à tous ceux qui, l'an dernier, avaient prédit que cette politique de soutien de la demande serait inefficace. Et qu'il aurait mieux valu commencer par actionner le levier de l'offre, en continuant de réduire les déficits et en soutenant la compétitivité de l'appareil productif.

Balayée à l'époque par un argument rhétorique - il faudrait paraît-il mener à la fois une politique de l'offre et une politique de la demande -, cette polémique va reprendre de la vigueur dans les mois qui viennent, comme en témoigne le cri d'alarme sur la hausse des impôts que vient de lancer, au nom du Medef, Laurence Parisot, qui n'est pourtant pas connue pour figurer parmi les principaux opposants à Nicolas Sarkozy. C'est que la patronne des patrons voit le coup venir. En période de disette budgétaire, les gouvernements sont vite tentés de ponctionner les entreprises. La floraison récente de taxes diverses lui donne plutôt raison.

Au procès de la politique économique s'ajoute une autre critique sur les débuts du quinquennat, celui des réformes inachevées. Le président de la République a certes innové en lançant tous les chantiers en même temps, avec l'argument que cette méthode permettrait de prendre de vitesse les conservatismes traditionnels et d'impulser une dynamique vivifiante après les années d'immobilisme chiraquien. Mais avec le recul, le bilan de cet activisme élyséen s'avère décevant.

A part quelques symboles forts, qui ont consommé beaucoup d'énergie - le service minimum dans les transports, les régimes spéciaux de retraite, l'assouplissement de la réglementation du temps de travail -, qui peut dire que le visage de l'économie française a radicalement changé en un an? Il y a bien sûr eu beaucoup de bonnes réformes: le crédit d'impôt recherche, la loi sur l'autonomie des universités, la revitalisation du dialogue social.

Mais le pouvoir politique est resté prudent devant les principaux tabous français. La sélection à l'université, la fin de la retraite à 60 ans, la suppression de l'impôt sur la fortune (qui sera, au 1er janvier prochain une nouvelle exception française puisque même l'Espagne socialiste va le faire disparaître) ne figurent pas au programme de Nicolas Sarkozy. Le chef de l'Etat en reste à ce qu'il a promis de faire. D'où la question clé pour la fin du quinquennat : fera-t-il aussi ce qu'il n'a pas promis ?

La réponse ne viendra sans doute pas ce soir à Toulon. Face au risque de récession, le mot d'ordre devrait être de poursuivre les réformes engagées et de serrer les dents en attendant la reprise, qui, comme chacun le sait, est toujours "au coin de la rue". C'est-à-dire, si l'on est optimiste, pour 2010. Si c'est le cas, cela laissera bien le temps à Nicolas Sarkozy de préparer sa candidature pour un second mandat, en 2012, en bénéficiant d'un environnement mondial plus favorable.

Une autre attitude, plus ambitieuse, pourrait consister à se fixer un autre horizon, à savoir 2025, pour les réformes de la seconde partie de son quinquennat. Pourquoi 2025? Parce que le chef de l'Etat attend, pour la fin de l'année, un rapport prospectif sur "la France de 2025", confié à Eric Besson. Ce travail, qui est une sorte de "Grenelle de la politique économique", devrait faire une série de propositions pour permettre à la France de rester une des dix premières économies du monde à cette date.

Un objectif ambitieux, et pas si évident, qui suppose de mobiliser toutes nos ressources en faveur de la troisième révolution industrielle, celle de l'économie de la connaissance, des énergies nouvelles et des nouvelles technologies. Un investissement rentable à terme, mais dont le succès repose sur notre capacité à faire dès aujourd'hui les économies nécessaires. Donc à prendre, drastiquement et clairement, le cap de la rigueur, en coupant les dépenses inutiles, y compris dans la sphère sociale, en supprimant les doublons administratifs, y compris à l'échelon local, en engageant une vraie réforme fiscale, quitte à augmenter certains impôts pour en supprimer d'autres. Bref, une vraie rupture. Nicolas Sarkozy y est-il prêt, quitte à amoindrir ses chances d'être réélu en 2012?